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Ablassé Ouédraogo, candidat africain francophone à la direction générale de l’ Onudi

Publié le vendredi 18 mars 2005 à 06h49min

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Ablassé Ouédraogo

C’est très bientôt que l’Union africaine devra présenter son candidat au poste de directeur général de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi). C’est en décembre 1997 que son actuel patron, l’Argentin Carlos Alfredo Magarinos, avait été élu.

Il avait pris, à Vienne, la direction d’une des institutions des Nations unies les plus mal en point. Trop de monde pour trop peu de résultats. Bien des pays industrialisés avaient d’ailleurs cessé de lui apporter sa contribution. Magarinos a poussé pas mal de monde dehors (y compris les directeurs généraux adjoints qui n’étaient pas moins de six !) et a motivé les autres pour qu’ils quittent leur bureau et se rendent sur le terrain. Avec un mot d’ordre pour directive : "Même dans une économie de services, l’industrie joue un rôle déterminant".

Magarinos est parvenu à rendre à nouveau crédible l’Onudi. Il achèvera, en décembre 2005, son deuxième mandat et doit donc céder la place. Pourquoi pas à un Africain ? Pourquoi pas à un Africain francophone ? Pourquoi pas à un Burkinabè ? Pourquoi pas à Ablassé Ouédraogo ?

Il y a trois autres candidats Africains (un Kenyan, un Ougandais, un Sierra-Léonais). Ouédraogo présente l’avantage d’avoir été, en 2001, candidat à la candidature. Et d’avoir un parcours significatif au sein des organisations internationales et panafricaines (qui explique qu’il soit une des rares personnalités burkinabè que je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer jusqu’à présent).

Né le 30 juin 1953 à Dabaré/Gaskai, dans la province d’Oubritenga, en pays mossi, il fera ses études primaires à l’école publique de Boussé (1959-1965), sur la route de Ouagadougou à Yako, au nord-ouest de la capitale. Il obtiendra son baccalauréat, série B, en 1973, au lycée Philippe Zinda Kaboré de Ouagadougou. Il poursuivra ses études à l’université nationale du Gabon et y obtiendra, en 1975, un diplôme d’études économiques générales. Il rejoindra alors l’université de Nice : licence en 1976 ; maîtrise en 1977 ; DEA (option économie du développement) en 1979 avec un mémoire intitulé "Réflexions sur la crise industrielle en France" ; thèse de doctorat de troisième cycle en 1981 : "Les firmes multinationales et l’industrialisation des pays en voie de développement" qui obtiendra la mention Très Honorable.

Il débutera sa carrière au Pnud comme administrateur de programme associé (1982-1984), puis chargé de programme au bureau de Conakry (1984-1986), représentant adjoint du Pnud auprès du secrétariat général de l’OUA et chef adjoint du bureau de liaison du Pnud avec la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies à Addis Abéba (1986-1988), représentant résident adjoint du Pnud à Brazzaville (1988-1989) puis à Kinshasa (1991-1993), chef du bureau régional pour l’Afrique de l’Est du Bureau des Nations unies pour la région sahélo-sahélienne (BNUSS) couvrant en même temps l’lgad, la Sadec, l’OUA, la CEA et le Pnue (septembre 1993-avril 1994).

En plus de ses fonctions au Bureau du Pnud, Ablassé Ouédraogo a couvert les réunions d’experts et de ministres de la CEA et de l’OUA en 1986-1988 de même que les sommets des chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA. Au Congo, il a assisté, en 1989, la délégation de l’Onu aux négociations quadripartites sur la Namibie. C’est alors qu’il se retrouve sous les feux des projecteurs en étant nommé ministre des Relations extérieures du Burkina Faso.

Nous sommes le mardi 22 mars 1994. Marc-Christian Roch Kaboré a succédé à Youssouf Ouédraogo comme Premier ministre. Il forme son premier gouvernement. Ablassé Ouédraogo est un homme tellement neuf dans la vie politique du pays qu’un quotidien burkinabè va illustrer sa nomination avec une photo qui n’est pas la sienne. Il ne participera pas au premier conseil des ministres, le mercredi 23 mars 1994, n’ayant pas encore regagné le Burkina Faso.

Il sera reconduit aux Affaires étrangères (l’appellation Relations extérieures a été abandonnée par décision du conseil des ministres le mercredi 30 novembre 1994) le 1l juin 1995 et le 3 septembre 1996, survivant ainsi au départ de Roch Kaboré remplacé à la primature par Kadré Désiré Ouédraogo. Courant 1995, il assistera l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, Lakhdar Brahimi, lors des missions de bonne volonté menées pour tenter de résoudre la crise politique au Zaïre.

Le 14 janvier 1999 Ablassé Ouédraogo quitte le gouvernement. A cause, dira-t-on, de son tempérament "franc et trop direct" ("Le drame de l’Afrique provient de la manière dont elle est gouvernée, de ses dirigeants, de l’absence d’organisation et de la mauvaise gestion. La transparence est une denrée rare. Il se trouve que ne je n’aime pas m’associer à la médiocrité"), mais, surtout, dira-t-on également, "de l’ ’hostilité ouverte de plusieurs de ses collègues au gouvernement". Il est jugé "talentueux mais bouillant".

Il aura milité pour une "diplomatie tous azimuts" ("L’ostracisme vis-à-vis d’Israël n’a pas donné de bons résultats. Il ne sert donc à rien de persister dans l’erreur") et l’ouverture du Conseil de sécurité à l’Afrique ("Sur les 183 pays qui composent les Nations unies, 53, soit plus du quart, sont membres de l’OUA "). Il sera l’organisateur du sommet France-Afrique de Ouagadougou en décembre 1996. On lui attribuera la paternité du concept de "diplomatie de développement" ; "Le temps des idéologies est révolu, dira-t-il. Notre priorité est le développement. Notre diplomatie doit donc être repensée et réorientée vers la réalisation du bien-être des populations. Et si aujourd’hui nous nous tournons de plus en plus vers l’Asie, c’est parce que nous sommes convaincus que ce continent pourrait à terme remplacer efficacement l’Europe. Les pays européens sont fatigués. Ils ont déjà donné. Ce qui ne veut pas dire qu’ils nous ont délaissés".

Il sera en pointe dans l’offensive menée contre Salim Ahmed Salim, le secrétaire général de l’OUA ; "Le monde change de siècle. L’OUA a besoin d’un nouveau génie, de sang neuf. Son drame, aujourd’hui, c’est qu’elle vote des résolutions, et qu’ensuite, personne ne s’en occupe. Depuis deux ans, on a demandé au secrétaire général de dresser la liste des décisions prises et l’état de leur mise en oeuvre. En vain ".

Ablassé Ouédraogo disait encore, il y a près de huit ans (L’Autre Afrique - 19-25 novembre 1997) et cela garde toute son actualité (notamment pour ce qui est de la Côte d’Ivoire et du Togo) : "On a les dirigeants que l’on mérite. Qu’est-ce qu’un président démocratiquement élu, lorsqu’il se transforme en despote sous le label électif ? Ou encore lorsqu’il confisque les ressources nationales au détriment du plus grand nombre ? Il appartient au peuple concerné de prendre ses responsabilités. Toute intervention militaire extérieure ne saurait constituer qu’une solution transitoire, dans la mesure où les peuples rechignent à ce qu’on leur impose des dirigeants. Cela, 1’Histoire nous l’enseigne [...] Nous sommes d’avis que nos peuples sont majeurs et que l’on ne saurait se maintenir au pouvoir contre son gré ".

Un ton neuf sur la scène internationale sous-tendu par une réelle réflexion (ce qui ne surprend pas au Burkina Faso). A la tête de la diplomatie, Ablassé Ouédraogo a remplacé Thomas Sanon, vieux routier de la vie militante et politique plus habitué à l’ombre qu’à la lumière.

Ouédraogo a vécu off-Ouaga les soubresauts qui ont marqué l’histoire contemporaine du pays, Révolution et Rectification. Youssouf Ouédraogo, qui prendra sa suite, va imprimer à la diplomatie burkinabè tout autant de détermination et de rigueur ; mais, ayant été un acteur politique majeur, il y ajoutera un zeste "made in Burkina Faso" qui lui donnera une saveur à la fois plus corsée et plus veloutée expression d’un vécu national exceptionnellement riche qui tranche avec le technocratisme un peu froid de son prédécesseur.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche diplomatique

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