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Ablassé Ouédraogo, candidat africain francophone à la direction générale de l’Onudi (2)

Publié le jeudi 17 mars 2005 à 13h10min

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Le 14 janvier 1999, Ablassé Ouédraogo a quitté le gouvernement burkinabè. Il aura été, pendant cinq ans, ministre des Affaires étrangères. Son bilan est largement positif : sommet France-Afrique ; sommet de l’OUA ; Abdou Diouf plutôt que Boutros Boutros-Ghali à la tête de la Francophonie ; ouverture du Burkina sur l’Asie et les pays du Golfe, etc.

Avec un profil beaucoup plus technocratique que politique, international que national (cf LDD Burkina Faso 053/Mercredi 9 mars 2005), et quatorze années passées au sein du Pnud, Ablassé Ouédraogo était destiné à ne pas rester sur la touche. Après avoir quitté le gouvernement, il sera nommé conseiller spécial du chef de l’Etat. Blaise Compaoré entendait bien ne pas se priver des compétences internationales de son ex-ministre. Il va le propulser au poste de directeur général adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

C’est le Néo-Zélandais Mike Moore qui est alors le patron de l’OMC. Il vient d’y prendre la succession de l’italien Renato Ruggiero. Dès sa nomination, Moore va s’adjoindre quatre directeurs généraux adjoints. Il y avait une quinzaine de candidats. Il sélectionnera un Américain (Andrew Stoler), un Burkinabè (Ablassé Ouédraogo), un Français (Paul-Henry Ravier, devenu depuis conseiller spécial de la municipalité de Shanghai sur les questions OMC) et un Vénézuélien (Miguel Rodriguez Mendoza).

Chaque DGA a un domaine d’action ; pour Ouédraogo : commerce et finance, développement, informatique, relations extérieures, textiles. A 46 ans, l’ex-ministre burkinabè des Affaires étrangères rejoindra Genève à la veille d’une échéance importante : la troisième Conférence ministérielle de l’OMC, à Seattle, du 30 novembre au 3 décembre 1999. Il a gardé son franc-parler : "Je vais à Genève au nom de l’Afrique tout entière. Il ne faut pas oublier que l ’OMC a été, jusqu’à présent, un club de riches".

Ouédraogo, formaté par son passage au Pnud, va jouer, au sein de l’ OMC, un rôle délicat. Celui du "mondialiste raisonnable" tenu à un devoir de réserve et de défense des intérêts de son employeur et, dans le même temps, observateur privilégié des dégâts provoqués par une mondialisation imposée par les plus forts aux plus faibles.

Son "objectif ultime", dira-t-il, était "de contribuer à renverser la tendance à la marginalisation des pays africains dans le commerce international". Il voulait rendre l’Afrique "plus visible" elle qui, selon ses propres termes, "constitue le maillon faible du système multilatéral de commerce en ne comptant que pour moins de 2 % des exportations mondiales". Là où il se trouvait, il avait conscience de l’arriération du mode de production africain : "C’est toujours l’ère de la révolution agricole avec la daba ou la pioche comme outils de base".

Mais, également, de l’irresponsabilité des gouvernants : absence de représentation permanente à Genève auprès de l’OMC, manque de moyens matériels et humains, etc. "Il est clair, dira-t-il à Jeune Afrique Economie (4-17 septembre 2000), qu’il est dans l’intérêt des pays en développement d’être plus présents que par le passé dans les activités de l’Organisation. Ces pays, qui représentent 90 % des membres de l’OMC, tout comme l’Afrique qui représente le tiers, doivent se battre pour être aussi des acteurs de la mondialisation au lieu de se comporter comme des objets".

L’OMC, héritière de l’Accord général sur les tarif douaniers et le commerce (Gatt) créé le 30 octobre 1947 et entré en vigueur le 1er janvier 1948 (à l’origine, le Gatt regroupait 23 pays ; il seront 123 à la veille de la création de l’OMC), ne suscitait qu’un intérêt très limité hors du cercle étroit des spécialistes du commerce international. Sa première réunion ministérielle s’est tenue à Singapour en 1996 sans faire de bruit ; ce sera ensuite Genève en 1998 qui verra la participation des ONG puis Seattle du 30 novembre au 3 décembre 1999, quelques jours après l’arrivée à la direction générale de Mike Moore et à une des quatre DGA de Ablassé Ouédraogo.

Seattle va être le point de départ de la structuration du mouvement antimondialiste (qui deviendra, par la suite, alter-mondialiste) ; cette rencontre américaine sera marquée par l’échec du lancement du "cycle du millénaire". L’OMC avait cessé d’être "un club de riches ".

A Doha, au Qatar, du 9 au 13 novembre 2001, les 142 pays membres de l’OMC se retrouveront dans une ambiance tendue. Il y avait les mauvais souvenirs du fiasco de Seattle et les images fortes du "11 septembre" encore dans toutes les mémoires. Au retour de Doha, Ablassé Ouédraogo se voulait optimiste. Pour l’Afrique. Même s’il rappelait, "avec regret ", qu’elle "ne participe qu’à hauteur de1,7 % au commerce international". Et plus encore pour les pays en développement. "Contrairement au rôle passif qu’ils ont jusqu’à présent joué, à Doha, ils ont été en première ligne dans les débats. Leurs préoccupations ont été prises en compte dans le nouveau programme de travail 2002-2003 ".

Le "programme pour le développement" lancé à Doha permettait de remettre l’OMC sur les rails. Mais Mike Moore n’en profitera pas. Il n’avait été nommé que pour un demi-mandat : 3 ans. En 2002, il cédait la direction générale de l’OMC au Thaïlandais Supachai Panitchpakdi.

Dès le 1er octobre 2002, quatre nouveaux DGA étaient installés : un Américain, un Brésilien, un Britannique et un Kenyan. La cinquième conférence ministérielle, qui se tiendra à Cancun, au Mexique, en septembre 2003, sera l’occasion pour les pays en développement et, notamment les pays africains (en pointe sur la question agricole et, notamment, le coton) de marquer de nouveaux points.

Ablassé Ouédraogo, ayant quitté Genève, va travailler tout d’abord comme consultant international dans un bureau de management et être conseiller auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT) dont le siège est à Genève. Il sera, également, représentant spécial du secrétaire général de la Francophonie. Avant de rejoindre, début 2004, la Banque africaine de développement (Bad), dont le siège (consécutivement à la crise ivoirienne) avait été transféré d’Abidjan à Tunis. Il y sera chargé de l’intégration régionale, des questions liées au commerce international et du suivi du Nepad.

En ce qui concerne le Nepad, le Comité des chefs d’Etat et de gouvernement chargé de sa mise en oeuvre avait demandé à la Bad de jouer le rôle de chef de file dans les domaines des infrastructures, des normes bancaires et financières et de la gouvernance, en étroite collaboration avec la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies.

L’Onudi, dont Ablassé Ouédraogo brigue la direction générale, va fêter l’an prochain, le 17 novembre 2006, son 40ème anniversaire. Ce n’est pas la plus connue, ni la plus médiatisée, des agences spécialisées de l’Onu face à la Banque mondiale, au FMI, à la FAO, l’OIT, l’Unesco, l’OMS, etc. Avec un budget assez faible (144,3 millions d’euros pour 2004 et 2005), son action vise au soutien de la production et du développement industriel ainsi qu’à la fourniture de services intégrés de coopération technique.

L’Onudi a été créée en un temps où l’industrie était encore l’outil privilégié des stratégies de développement ; le symbole de l’accession à la cour des grands. C’est un temps révolu. Voici venu celui des "délocalisations" industrielles (un aspect de la question qui, d’ailleurs, ne manque pas d’alimenter le débat sur la place de l’industrialisation dans les politiques de développement) et de la primauté des activités de production de services sur les activités de production industrielle. Avec un mémoire de DEA et une thèse de doctorat sur les questions liées à l’industrialisation, et une longue expérience dans les organisations internationales, Ablassé Ouédraogo a une longueur d’avance. Espérons qu’il la conservera.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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