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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (32)

Publié le dimanche 15 février 2015 à 15h18min

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Jeffrey « Jeff » Feltman est un diplomate US d’expérience. Conscient d’appartenir à la première puissance mondiale. Originaire de Greenville, dans l’Ohio, il a étudié l’histoire dans une université publique de l’Indiana (Ball State University) avant de rejoindre la prestigieuse Fletcher School of Law and Diplomacy de Tufts University à Boston. Il parle arabe (il l’a appris à l’université d’Amman, en Jordanie, en 1994-1995), français (il a débuté sa carrière comme agent consulaire à Port-au-Prince puis a été responsable de la section politique et économique à l’ambassade des Etats-Unis à Tunis) et hongrois (il a travaillé à l’ambassade des Etats-Unis en Hongrie comme chargé des questions économiques de 1988 à 1991).

C’est un spécialiste du Moyen-Orient : il a été en poste à Tel Aviv, Jérusalem, Irbil en Irak, ambassadeur au Liban (2004-2008) avant d’être nommé secrétaire d’Etat adjoint US aux affaires du Moyen-Orient (2009-2012). C’est le 11 juin 2012 qu’il a été nommé par Ban Ki-moon secrétaire général adjoint aux affaires politiques des Nations unies. On prête à Jeff Feltman une forte capacité d’influence. Le Hezbollah avait ainsi qualifié de « gouvernement Feltman » le gouvernement de Fouad Siniora qui avait la suite de Rafic Hariri en 2005 et devra faire face à l’offensive israélienne en 2006. C’est encore Jeff Feltman qui se rendra à Tunis dès après la fuite de Ben Ali (organisée avec le concours de l’ambassade US), s’efforçant d’influencer l’évolution de la « révolution de jasmin » alors que Paris était en perte d’influence dans le pays suite à ses atermoiements.

Feltman était à Lomé, le mardi 3 février 2015, pour une visite de vingt-quatre heures dans le cadre de la préparation de la prochaine présidentielle. Il y était avec Mohammed Ibn Chambas, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest. Compte tenu de la « crise » déclenchée par le Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) à Ouaga, les deux hommes ont décidé de faire un saut dans la capitale du Burkina Faso pour y être reçu par le président de la Transition, Michel Kafando dans la soirée du mercredi 4 février 2015 (cf. LDD Burkina Faso 0477/Lundi 9 février 2015). C’est à la demande du secrétaire général des Nations unies que Feltman et Ibn Chambas ont fait ce déplacement d’urgence.

« J’ai souligné, a déclaré Feltman à l’issue de ses entretiens avec les autorités de la transition et les représentants des partis politiques burkinabè, que les Nations unies sont engagées à fournir au Burkina Faso le soutien requis pour l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques. J’ai relevé qu’il est essentiel que les institutions de la transition continuent à respecter les aspirations du peuple burkinabè et qu’elles assurent le plein respect des droits humains, de l’intégrité physique de tous les citoyens. J’ai encouragé les autorités de la transition à tout faire pour mettre en œuvre la Charte de la Transition de façon inclusive et dans un esprit de cohésion nationale. Vous savez que toutes les transitions sont difficiles ; toutes les transitions sont fragiles ; il n’y a pas de transition sans problèmes. Mais en même temps, la communauté internationale ne tolérera aucune entrave à la transition. Ceux qui menacent la transition doivent savoir que la communauté internationale les observe et les tiendra responsables ». Ce déplacement onusien à Ouaga traduisait la préoccupation de beaucoup quant à l’évolution de la situation, où la menace d’un coup de force du RSP était jugée crédible.

La « crise » provoquée par le RSP, qui a entraîné la mise en sécurité du premier ministre, Yacouba Isaac Zida, et l’annulation du conseil des ministres du mercredi 4 février 2015, ne pouvait tomber plus mal. Vingt-quatre heures auparavant, le chef de la délégation de l’Union européenne, Alain Holleville, avait animé un point de presse, dans l’après-midi du mardi 3 février 2015 à Ouagadougou pour annoncer la mise en place par Bruxelles d’un « mécanisme exceptionnel de soutien budgétaire pour l’année 2015 et pour l’année 2016 » et un appui financier pour les prochaines élections. Holleville avait rappelé à cette occasion « qu’il faut que la transition soit transitoire », autrement dit qu’il y ait passage de témoin dans le délai imparti et dans un climat de stabilité.

Dans le même temps, Holleville annonçait la tenue à l’Institut français de Ouaga, le jeudi 5 février 2015, des « Journées ouagalaises du développement » permettant de préciser l’aide de l’UE en matière de politique d’aide au développement. En 2015, 408 milliards de francs CFA vont ainsi être alloués sous forme de dons et de décaissements étalés jusqu’en 2020. Environ 52 % de cette aide sera allouée à l’amélioration de la gouvernance financière, économique, politique et au renforcement de la justice et de l’Etat de droit, 13 % au secteur de la santé afin de réduire la mortalité maternelle et infantile, 30 % à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, y compris l’accès à l’eau potable, 4 % à la société civile.

C’est dire qu’alors que la communauté internationale précise ses intentions en matière de soutien à la transition, la situation prévalant au Burkina Faso ne cesse de se détériorer. Et pas seulement au plan militaire et sécuritaire. Joséphine Ouédraogo, ministre de la Justice, des Droits humains et de la Promotion civique, à la veille de la tenue du Conseil supérieur de la magistrature, évoquait un « contexte de fortes tensions internes marquées par des fortes attentes des justiciables » alors que les tribunaux avaient dû être fermés à la suite d’une « crise entre les démarcheurs et les acteurs du Tribunal de grande instance de Ouagadougou ».

Dans le même temps, les organisations de la société civile (OSC) vont appeler à une marche le samedi 7 février 2015 afin d’exprimer le rapport de force entre la société civile et l’armée. « Et si le rapport de force est grand, on pourra reprendre les choses en main. S’il ne marche pas bien, il faudra laisser les militaires nous bouffer dans leur sauce ». « La transition politique est menacée ». « Le consensus national est remis en cause ». « La transition démocratique est sabordée ». « Les espoirs et attentes politiques et sociales sont liquidées ». « La transition est prise en otage par les forces du passé ». « La contre-révolution est en œuvre »…

Les responsables de la société civile surfent sur l’obstruction exercée par le RSP pour radicaliser leurs revendications et exiger la dissolution du RSP sans se prononcer, pour autant, sur le soutien ou non au premier ministre Zida. « Il ne faut pas personnaliser les débats mais plutôt mettre en amont les principes de fonctionnement de la démocratie ». Du côté des partis politiques, on se divise. Il y a ceux qui affirment qu’il faut soutenir la manifestation des OSC au nom de la défense de la transition et de la défense de la démocratie. Ceux qui pensent qu’il faut que les OSC conservent leur « autonomie » tout en étudiant la prochaine mise en œuvre d’un cadre permettant de suivre la marche de la transition.

La tension était d’autant plus forte à Ouaga que la rumeur se faisait insistante selon laquelle le général Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré, serait candidat à la présidentielle au titre du CDP, l’ex-parti présidentiel tandis que dans les rangs de l’ex-opposition politique chacun fourbit ses armes en vue d’une investiture. A n’en pas douter, il va y avoir affluence de candidatures à la présidentielle 2015 et, pour l’essentiel, ces candidatures ne seront pas le fait de têtes nouvelles. Ni même de têtes sans képis. La question qui se pose est de savoir le poids que pèse l’armée dans la situation qui prévaut aujourd’hui au Burkina Faso ; et, au sein de cette armée, le RSP. On l’a vu en 2011 au moment des « mutineries » : c’est toujours du côté des « corps habillés » qu’émergent les problèmes. Et c’est pourquoi, d’ailleurs, la transition s’est instituée autour d’un civil (Kafando) et d’un militaire (Zida) bien plus par la force des choses (autrement dit par opportunisme) que par consensus autour d’un programme d’action politique.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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