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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (30)

Publié le dimanche 15 février 2015 à 15h01min

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Le Burkina Faso est au « point mort ». Ou en « roue libre ». Enfin, il l’était jusqu’à ces derniers jours. Depuis, c’est plutôt une « terre en transes » qui s’agite dans tous les sens. Sous d’autres latitudes, on dirait que c’est un « bateau ivre ». C’est le message du Nouvel An du président de la Transition, président du Faso, président du Conseil des ministres qui a jeté un froid. « Qu’il soit bien entendu, et que cela soit bien clair, il n’y aura pas de place pour les contestations injustifiées, parce qu’on se dit que c’est dans l’air du temps » avait alors affirmé Michel Kafando. Qui laissait même entendre que le gouvernement était déterminé à utiliser « sans état d’âme » des « méthodes dures et arbitraires » (cf. LDD Burkina Faso 0475/Jeudi 1er janvier 2015).

Les révolutions sans révolutionnaires (surtout sans parti révolutionnaire) c’est rien que la chienlit. Après l’excitation de la « révolution d’octobre » où tout le monde s’est emballé et s’est empressé de stigmatiser ceux qui avaient été au pouvoir, il y a eu cette phase de fascination devant le vide politique qui a permis la mise en place des institutions de la transition. Et puis plus rien. Que le brouhaha de ceux qui, le couvercle ayant été ôté de la marmite, entendaient y glisser la main. Il est vrai que le gouvernement avait promis monts et merveilles et que la société civile avait marqué des points dans son bras de fer avec les autorités*. Restait à savoir jusqu’où chacun pouvait aller dès lors que le peuple pensait avoir pris le pouvoir tandis que les militaires n’entendaient pas lâcher les prérogatives politiques conquises.

Kafando, recevant les représentants des partis politiques et associations de la société civile, à l’occasion des vœux de nouvel an, évoquera des « couacs », des « erreurs » dans la gestion de la transition. Mais, dira-t-il alors, les acteurs de la transition ne sont que les « commis du peuple ». Sauf que personne, au Burkina Faso, ne saurait savoir qui est le « peuple » ; et surtout pas, en l’état actuel des choses, répondre à toutes ses revendications. D’autant plus que la transition a révisé ses ambitions à la baisse et s’en tient désormais au programme minimum : organiser des élections libres et transparentes. Les dates sont d’ores et déjà fixées (et c’est bien la seule chose qui l’est actuellement au Burkina Faso) : 11 octobre 2015 pour les législatives et la présidentielle ; 31 janvier 2016 pour les municipales. Mais, d’ores et déjà, les interrogations sont restées sans réponses : révision du fichier électoral ; vote des Burkinabè de l’étranger ; situation prévalant au sein du Régiment de sécurité présidentielle (RSP)… En fait, chacun attend de l’autre qu’il se prononce : l’exécutif dit être à l’écoute de la société civile et des partis politiques de l’ex-opposition tandis que la société civile et les partis politiques de l’ex-opposition attendent de l’exécutif qu’il mette en œuvre leurs souhaits. Autrement dit : il est urgent de décider de ne rien décider. Si, autrefois, le Burkina Faso était le pays où, à l’affirmation de vos préoccupations, on répondait d’un tonique : « Pas de problème ». Désormais, la réponse est moins affirmative mais tout autant tonique : « On est en train… ».

Si les partis politiques et les associations de la société civile ont été reçus par Kafando, c’est Yacouba Isaac Zida, le premier ministre, qui a reçu les syndicats. Zida avait été flamboyant au lendemain des événements qui l’avaient porté au pouvoir. Depuis, il fait plutôt profil bas ; il a appris, semble-t-il, ce qu’était le poids des mots et ne s’exprime plus à tout-va.

Contraint de se défaire de deux de ses ministres sous la pression de la rue, de tirer un trait sur des engagements souscrits au lendemain des événements des 30-31 octobre 2014, Zida est aussi confronté à la fronde des militaires. L’armée, il pense savoir ce que c’est ; le social, il le découvre. Voilà donc les centrales syndicales au rapport à la primature : la démission de Diéguimdé ayant été réglée par l’intéressé lui-même alors que le gouvernement ne cessait de dégager en touche (prétendant avoir interrogé l’ambassade US à ce sujet, les faits d’emprisonnement reprochés à Diéguimdé s’étant déroulés aux Etats-Unis) restent deux problèmes majeurs : les 5.000 travailleurs déflatés à la suite des fermetures d’entreprises consécutives à l’insurrection ; le prix des produits pétroliers (qui pèse toujours lourdement dans le budget des travailleurs et des jeunes) ne baisse pas alors que le cours du pétrole chute. Des préoccupations auxquelles le premier ministre n’apporte pas de vraies réponses.

Le porte-parole du gouvernement, Frédéric Nikiéma, a eu la rude tâche, un mois après ces audiences accordées par le président de la Transition et son premier ministre, de convaincre l’opinion publique que le gouvernement entendait serrer la vis à tout le monde, à commencer par la classe politique : limitation des missions à l’étranger ; diminution des cortèges officiels ; covoiturage (sic) pour le déplacement des ministres ; non-réfection des bureaux des ministres ; pas de cocktail pour les vœux de nouvel an ; chasse aux malversations passées.

Trois mois après les « 30-31 octobre 2014 », le gouvernement en est encore aux déclarations de bonnes intentions (« Aucun opérateur économique, aucun commerçant ne pourra encore bénéficier d’un protectorat quelconque comme cela avait été le cas jusque-là. Les réseaux de sociabilité informelle, de groupuscule politique ou d’association qui avaient une mainmise sur la gestion des finances publiques ne sont plus opérationnels ») et aux actes symboliques mais creux (le conseil des ministres du 21 janvier 2015 s’est tenu « dans la commune rurale de Komsilga, à l’issue duquel il a visité les installations de l’usine Brafaso, désormais entre les mains de l’Etat, afin de toucher du doigt les réalités de cette unité industrielle »).

Sécurité des personnes et des biens, amélioration de la justice, consolidation des acquis sociaux, affirmation de la gouvernance : ce sont là les quatre axes principaux de l’action de l’Etat a affirmé Nikiéma. Pas de quoi faire rêver les populations burkinabè ; mais comme le dit le porte-parole du gouvernement : « Le Burkina n’a pas les moyens de tout réaliser en même temps. L’Etat doit vivre à la hauteur de ses moyens ». Pas sûr que ce programme minimum ait justifié une « révolution » ! On ne parle plus d’ailleurs de « révolution », « d’exemplarité en Afrique », de « Sankara », de « renationalisation »…, on parle seulement de « serrer les boulons ».

Un mois après les entretiens politiques et sociaux – deux jours après le point presse de Nikiéma (lundi 2 février 2015) – le Burkina Faso n’est plus au « point mort ». C’est « terre en transes ». Le RSP empêche le conseil des ministres de se tenir le mercredi 4 février 2015. Zida, premier ministre mais également ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, est mis en lieu sûr dans le « palais » du Mogho Naaba, le chef traditionnel des Mossi. « Réfugié politique » se gaussera un journaliste burkinabè. Seul visiteur de la journée : Samuel Yaméogo, président de la Fédération des Eglises et missions évangéliques (FEME) du Burkina Faso. On sait que Zida revendique son appartenance aux évangéliques.

Au Burkina Faso, au XXIè siècle, le sabre refait alliance avec le goupillon sous les auspices de la tradition… ! Dans le même temps, on apprend que le 30 décembre 2014, le RSP avait déjà eu un « mouvement d’humeur » à l’égard de son ancien numéro deux et que Zida aurait subi une « humiliation » à l’occasion du dernier conseil des ministres de l’année 2014. Les frondeurs du RSP reprocheraient à leur ancien chef « certaines décisions inappropriées » qui ont « perturbé le fonctionnement normal » du régiment. Voilà le premier ministre de la transition otage d’une partie de l’armée.

* Le ministre des Infrastructures, du Désenclavement et des Transports, Moumouni Diéguimdé, contesté par la société civile, a été contraint de remettre sa démission le jeudi 8 janvier 2015. La société civile avait déjà « cassé » le ministre de la Culture, Adama Sagnon, avant même que celui-ci ne prenne ses fonctions.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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