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Le coton africain en difficulté : Ablassé Ouédraogo explique

Publié le mardi 15 mars 2005 à 07h39min

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En vigueur depuis le 1er janvier 1995, l’Accord Textiles-Vêtements (ATV) a pris fin le 1er janvier 2005, et avec lui les quotas d’importation qu’il permettait.

L’ATV, qui avait remplacé l’Accord Multifibre (AMF) sur les textiles et les vêtements, en place entre 1974 et 1994, disparaît ainsi et cède la place au régime général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), comme cadre de régulation du commerce international des textiles et des produits dérivés.

Au moment où cette libéralisation des exportations dans le domaine des textiles et des vêtements s’installe, il est judicieux de s’interroger sur le devenir de la chaîne de valeurs coton, textile et habillement de façon globale, et plus particulièrement en Afrique. Sur ce continent, le défi majeur pour les gouvernants et les populations demeure, plus que jamais, la lutte contre la pauvreté et la réalisation du développement durable pour tous.

Cela suppose un effort accru pour créer de la richesse et soutenir une croissance économique accélérée et partagée. La fin des accès préférentiels, des pays ne maîtrisant pas l’ensemble de la chaîne de production et de commercialisation sur le marché des économies importatrices de produits textiles, risque de voir l’avantage comparatif de ces pays anéanti, par la concurrence.

Le démantèlement du système de quotas favorise principalement les pays comme la Chine et l’Inde, qui disposent à la fois de la matière première, d’une force de travail qualifié et bon marché, et surtout d’une capacité productive industrielle puissante et structurée. Selon les estimations de la Banque mondiale, la Chine réaliserait près de 50% des exportations mondiales en 2010. Elle est déjà, et cela en moins de 10 ans, le premier exportateur mondial d’habillement avec 28% du marché mondial contre 19% en 1995.

En effet, l’extraordinaire compétitivité de la Chine, dans ce secteur crucial pour de nombreux pays en développement, fait craindre un déferlement tous azimuts des produits fabriqués en Chine, devenue membre de l’OMC au cours de la quatrième Conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) organisée du 9 au 14 novembre 2001 à Doha, au Qatar.

L’ensemble de la filière textile risque ainsi d’expérimenter progressivement et de manière accélérée une domination des principaux marchés par les producteurs chinois. Cela se fera au détriment des pays qui bénéficiaient, hier encore, de préférences commerciales principalement par le biais des contingents tarifaires.

La peur de la concurrence chinoise dans les produits textiles est perceptible. Des appellations telles que « rouleau compresseur chinois », « invasion chinoise » font déjà envisager l’éventualité d’une « autre et vraie » négociation sur le textile par certains des cent quarante huit Etats membres de l’OMC, tous attachés à l’ouverture des marchés mondiaux dans le cadre d’un commerce libre, loyal et équitable. Il s’agit d’éviter une concurrence accrue entre les pays du Sud, qui risque de se faire à leur détriment.

Cette nouvelle donne complique davantage les négociations commerciales multilatérales en cours à Genève, dans le cadre du Programme de Doha pour le Développement, dont l’ambition initiale était de compléter un accord global par des négociations sectorielles, permettant d’aller plus en profondeur dans la libéralisation des échanges des produits agricoles et manufacturés, tout en prenant en compte la dimension du développement. De plus, personne ne peut prévoir avec certitude aujourd’hui, la durée du cycle de négociations de Doha, dont la conclusion avait été programmée à Doha par les Etats membres de l’OMC, pour le 1er janvier 2005.

Il est clair que les négociateurs de l’OMC sont partis pour jouer des prolongations dont la longueur, difficile à prédire, sera proportionnelle à l’ampleur des pertes que subiront les pays en développement y compris les pays producteurs de coton en Afrique, notamment ceux d’Afrique de l’Ouest et du Centre, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad, pays parmi les plus pauvres de notre planète, et auteurs de l’initiative en faveur du coton en débat à l’OMC depuis le mois d’avril 2003.

Les réunions sur le coton se succèdent à un rythme soutenu depuis bientôt deux ans, sans qu’aucune réponse tangible, pouvant apporter un tant soit peu de soulagement aux frustrations et aux souffrances de plus de dix millions de paysans producteurs de coton africains en particulier, n’ait été trouvée.

Pire, le coton continue de mal se vendre au risque de compromettre sérieusement l’existence des « cotonculteurs » et d’entraîner la disparition rapide de l’ensemble de la filière de production et de commercialisation du coton et ses produits dérivés en Afrique. Aussi, les producteurs n’auront-ils pas d’autres options que de se détourner de ce produit pour cultiver d’autres denrées, s’ils veulent continuer à vivre.

Certes, comme l’a souligné, le Président Blaise Compaoré, du Burkina Faso, en portant le cas à l’OMC, l’essentiel était de provoquer le débat politique sur l’inégalité créée par les importantes subventions versées par les pays développés à leurs fermiers au détriment des agriculteurs des pays pauvres. Le sujet est devenu emblématique pour l’OMC, qui est ainsi mise au défi de résoudre un cas d’école de commerce non équitable, que ses règles sont censées éliminer.

Mais dans la réalité, le sort des acteurs de la filière coton dépasse le débat politique, tant la dégradation de leurs conditions de vie devient insupportable. D’année en année, les difficultés, que doivent affronter les producteurs de coton africains, deviennent insurmontables, tant celles-ci se multiplient comme pour étouffer la filière coton dont l’importance, pour des pays comme le Burkina Faso, laisse perplexe. En effet, dans ce pays, le coton appelé, « l’or blanc », représente 60% des recettes d’exportation.

La production n’a pas cessé d’augmenter, en passant de 154, 852 tonnes pour la campagne 1995-1996 à 483, 390 tonnes en 2003-2004 et à 563 000 tonnes en 2004-2005. Le tiers de la population burkinabè, soient quelques quatre millions, vit directement ou indirectement de cette filière. Malgré cette augmentation de la production, en dépit des conditions climatiques difficiles et toujours incertaines, qui aurait dû s’accompagner d’une amélioration sensible des revenus des acteurs de la filière cotonnière, ceux-ci ont enregistré en 2004, un manque à gagner, estimé à 106 millions d’euros (70 milliards Francs CFA).

Fortement pénalisée par les subventions annuelles, de 4 milliards de dollars US, versées par l’administration américaine à ses 25, 000 fermiers producteurs de coton et par l’Union européenne aux 10 000 producteurs en Espagne et 90 000 en Grèce, la productivité des « cotonculteurs » africains est affectée par l’effondrement des cours mondiaux du coton qui n’arrêtent pas de dégringoler. Ainsi, après la baisse de la valeur du cours mondial de 50% entre 1997 et 2002, celle-ci a enregistré en 2004 une chute de 30% par rapport à 2003, et l’accentuation de cette tendance a ramené le prix du kilogramme de coton aujourd’hui à moins de 500 Francs CFA (environ 0,76 euro) contre 950 francs CFA (environ 1,45 euro) en 2003.

Les malheurs des pays africains producteurs de coton se trouvent exacerbés par le coût excessif des intrants importés des pays du Nord (90 dollars US la tonne en Europe contre 550 dollars US la tonne rendue en Afrique de l’Ouest), la hausse des cours du pétrole et du coût de l’énergie, ainsi que le renchérissement du franc CFA arrimé à l ’euro, par rapport au dollar américain. La survie de la filière cotonnière africaine est devenue un enjeu, et l’urgence dans la mise en place d’une solution au problème des subventions sur le coton est plus que jamais pressante.

Malheureusement dans l’optique des négociations commerciales de l’OMC, les Africains producteurs « d’or blanc » se sont inscrits dans le cadre des négociations agricoles du programme de Doha, en réclamant un calendrier de réduction accélérée des subventions sur le coton et leur élimination à une date fixe, et une indemnité financière pour compenser les pertes de revenus des pays les moins avancés.

Ces deux doléances, présentées sans stratégie de négociation par les représentants africains à Cancun en septembre 2003, ont alimenté les débats de la Cinquième Conférence ministérielle de l’OMC, sans donner de résultat. L’échec de Cancun est imputable à l’ensemble des Etats membres de l’OMC, qui ont décidé de négocier l’élargissement de la libéralisation des échanges sur des thèmes très nombreux, très complexes et tous, aussi importants pour les uns que pour les autres.

Cette complexité de la situation a été accentuée d’un côté par le principe cardinal qui gouverne l’OMC, à savoir la recherche du consensus dans la prise de décisions et de l’autre le concept de l’engagement unique qui régit les négociations du cycle de Doha. Le consensus doit être obtenu au niveau thématique et global pour qu’il y ait accord. Cela démontre bien que le chemin devant aboutir à la conclusion du cycle de Doha sera encore long, plein d’embûches et très coûteux pour les pays en développement, et tout spécialement pour les producteurs africains de coton.

Ce n’est pas la mise en place à Genève le 19 novembre 2004 du sous-comité du coton, conformément à la « Décision de juillet », (July Package) adoptée le 1er août 2004 par le Conseil Général de l’OMC, pour relancer les négociations du cycle de Doha, qui nous convaincra du contraire. En effet, ce sous-comité est appelé à faire périodiquement des rapports à la session extraordinaire du Comité de l’agriculture, qui à son tour doit faire un rapport au Comité des Négociations Commerciales (CNC), lequel soumet son rapport au Conseil Général, qui en fera de même à la prochaine Conférence ministérielle de l’OMC, prévue à Hongkong, en décembre 2005.

Et chaque maillon de la chaîne a besoin de l’onction du fameux consensus, ce qui n’est jamais gagné d’avance et va rallonger le temps pour la recherche de solutions aux difficultés des « cotonculteurs » africains. Ceci est tellement vrai que l’expérience a montré que lorsqu’on ne veut pas résoudre immédiatement un problème, le meilleur schéma est d’établir un comité, ensuite un sous-comité et au besoin des sous sous-comités.

Au bout du compte, cela permet de gagner du temps et d’user les protagonistes. Par ailleurs, traiter la question du coton en deux volets, « développement » et « accès aux marchés », ne facilitera guère la recherche d’une solution rapide à ce problème, étant donné que les deux aspects demeurent indissociables. Pourtant, les membres de l’OMC se sont mis d’accord sur le fait que « le coton sera traité de manière ambitieuse, rapide, et spécifique dans le cadre des négociations sur l’agriculture », sujet des plus délicats, s’il en est un. Et les faits démontrent que la rapidité fera défaut.

Ainsi, après les retards enregistrés par les négociations en cours à cause des élections à la Commission de l’Union européenne et aux Etats-Unis avec les changements que l’on sait, faut-il attendre que le nouveau Directeur Général de l’OMC, qui sera élu au début de l’été, prenne fonction le 1er septembre 2005, avant que le processus ne se mette réellement en mouvement. Pourtant les Africains disposent encore de deux autres options, qui sont toutes les deux fortement complémentaires aux longues négociations en cours, pour sauver et revigorer l’ensemble de la filière cotonnière .

- Emboîter le pas au Brésil qui est en train de réussir son pari, et se présenter devant l’Organe de règlement des différends avec une plainte en bonne et due forme contre les pays qui étouffent la filière cotonnière en abusant des subventions. Cette procédure dure seulement douze mois, s’il n’y a pas d’appel, et quatorze mois en cas d’appel, comme c’était jusqu’à très récemment le cas du Brésil contre les Etats-Unis. Le plaignant a remporté la première manche, et la condamnation des Etats-Unis a été confirmée à l’OMC, le jeudi 3 mars 2005.

Si cette option est prise, les Africains qui craignent de ne pas avoir toute l’expertise nécessaire pour affronter l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique, peuvent bénéficier de l’appui du Centre Consultatif sur la Législation de l’OMC, dont la mise en place a été décidée à Seattle lors de la troisième Conférence ministérielle de l’OMC. C’est leur droit, et en temps que membre, les pays africains doivent l’exercer collectivement au lieu de continuer à subir des pressions éparses.

- L’autre option est celle de la transformation locale du coton, notamment au niveau sous-régional. Tout le monde est convaincu que c’est la voie royale pour sauver la filière du coton, et réaliser le développement durable en créant des emplois, des revenus, de l’innovation, et surtout de la croissance partagée.

Une étude de la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) et du Centre du Développement des Entreprises (CDE) atteste que la transformation locale de 25% de production totale dans la zone de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), créera 50 000 emplois d’ici l’an 2010, et fera passer la part du coton dans le PIB de 7,5 à 25 %. Ce qui constitue une énorme contribution à la lutte contre la pauvreté dans ces pays, qui actuellement ne consomment seulement que 5% de leurs productions totales, les 95% étant exportés à l’état brut.

Pour ce faire, le renforcement des capacités productives des pays africains devient une urgence, si l’on veut réduire leur dépendance par rapport aux produits de base et surtout faciliter leur insertion dans cette économie mondialisée. Dans cette optique, un produit comme le coton ne doit plus être considéré comme une variable d’ajustement en Afrique, et les préférences ne peuvent plus concerner uniquement le commerce, mais aussi les capacités productives. L’Afrique doit accroître la compétitivité de ses produits au niveau sectoriel afin d’accéder aux marchés régionaux et internationaux.

Cela ne peut que soutenir une accélération de l’intégration régionale et sectorielle en Afrique. Dans cette perspective, une institution spécialisée des Nations unies comme l’Organisation des Nations unies pour le Développement Industriel (ONUDI), en partenariat renforcé avec le secteur privé, les autres agences de développement et les institutions régionales et internationales de financement du développement, répondrait pleinement à son mandat, si elle faisait de l’initiative du renforcement des capacités productives de l’ Afrique, le cadre général de l’effort d’industrialisation du Continent.

L’initiative, rappelons-le, est un programme d’ensemble, adopté par la troisième Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Africaine, le 7 juillet 2004 à Addis Abéba, comme une composante du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD).

Elle vise à développer les chaînes de valeurs, comme celle du coton, du textile et de l’habillement, à partir des potentialités et des compétences des partenaires organisés pour promouvoir la capacité productive en priorité aux niveaux national, sous-régional et sectoriel. Comme le NEPAD le prône, il est temps que les Africains acceptent de se prendre véritablement en charge, en produisant en qualité et en quantité suffisante pour leur propre marché, puis pour affronter la compétition sur les marchés internationaux.

Le moment est venu de tourner la page sur la période où le rôle de l’ Afrique se limite à servir de réservoir de matières premières et de marché facile pour les autres. Un partenariat revisité au service d’une mondialisation à visage humain, et une réduction de la dépendance des pays en développement vis-à-vis des matières premières non transformées, pourraient voir le jour au niveau d’une conférence mondiale dépassant le cadre de l’OMC.

En attendant l’éventualité de ce forum global de « vérité » sur le textile et ses produits dérivés, les pays africains devraient s’organiser collectivement pour disposer d’une étude avec des données précises, qui porterait entre autres sur :

- les conséquences du démantèlement des quotas sur les économies les moins avancées avec un accent plus particulier sur les pertes et transferts d’emplois ;

- la focalisation de la valeur ajoutée dans la chaîne de valeur coton/textile/habillement ;

- les conditions de travail des travailleurs et des enfants dans l’ensemble de la filière ;

- les effets de la concentration du parc mondial des machines pour les fibres non tissées au Pakistan, et ceux de la concentration des équipements de filature en Chine ;

- l’abandon de la fabrication du bas de gamme dans les pays riches ;

- la « responsabilité sociale » de la Chine et des autres pays compétitifs sur les économies vulnérables ;

•la sous-évaluation de la monnaie chinoise ;

•l’incontournable renforcement des capacités productives en Afrique en partenariat avec les nouveaux pays émergents dans la production textile. Ainsi munis d’arguments structurés et de propositions de solutions concrètes et acceptables à tous, les pays africains seront à même de mieux défendre leurs intérêts dans l’arène du commerce mondial. Un commerce plus équitable sera alors possible et les « cotonculteurs » africains récolteront le juste fruit de leurs efforts.

L’Afrique apprécie à sa juste valeur la volonté politique et les efforts de solidarité déployés par la communauté internationale, et notamment l’Organisation Mondiale du Commerce pour réduire sa marginalisation et accélérer son intégration dans la mondialisation. Mais somme toute, il reste que l’ Afrique doit encore prendre toute sa place dans le monde, et l’ultime voie qui lui est ouverte, est la création et le renforcement de ses capacités de productions et de négociations.

Ablassé OUEDRAOGO,
Ancien Directenr général adjoint de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

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