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Vincent Garrigues (RFI) : "Le journalisme n’est pas un métier, c’est un état d’esprit"

Publié le samedi 12 mars 2005 à 10h14min

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Certains l’ont surnommé "le Français africain" d’autres "le plus Africain des journalistes français de RFI". Vincent Garrigues a été pendant 7 ans présentateur du journal "Afrique matin" sur RFI.

Aujourd’hui, il présente une émission culturelle intitulée "Couleurs d’ailleurs" juste après les pages d’informations politiques.

Présent au Burkina à l’occasion de la XIXe édition du FESPACO, Sidwaya Plus l’a rencontré entre deux émissions. Cet homme à la voix enjouée, qui ne prend pas de vacances ni de week-end a eu le temps de livrer son tréfonds. Il déballe sa vie d’étudiant où il était cossard et flâneur, sa découverte de l’Afrique au temps de l’apartheid, la dépénalisation des délits de presse, le trafic des biens culturels, son modèle journalistique et son rythme oral emprunté au rap des Noirs américains "le slam", l’épineuse question des crises qui déchirent le continent ainsi que le comportement des journalistes sur ces questions.

Sidwaya Plus (S.P.) : Un débat fait rage actuellement au Burkina Faso, c’est celui de la liberté de la presse avec son corrollaire de dépénalisation des délits de presse. Etes-vous d’avis qu’il faut une liberté totale de la presse ?

Vincent Garrigues (V.G.) : Oui, je suis pour la liberté de la presse (rires). Cela ne mérite pas d’explication.

S.P. : Cependant, n’y a-t-il pas de risque de dérives vers les médias de la haine ?

V.G. : Ah, Oui. La liberté de la presse selon la vieille formule : "la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres". Il y a au Burkina Faso comme dans tous les pays du monde un Conseil supérieur de l’information. Des pressions sont exercées ici et là, comme partout en France, aux Etats-Unis, sur la presse. Après cela, c’est la capacité de chacun de résister qui compte. Il y a, à mes yeux la nécessité d’ancrer la liberté de la presse toujours plus avant. Le Burkina me semble déjà très en avance par rapport à d’autres pays. Il suffit de voir par exemple la qualité de journal comme Sidwaya qui a été un journal d’Etat et qui, aujourd’hui, est un journal qui a un simple soutien financier du public pour voir qu’il y a des avancées qui ont été faites ici. Maintenant, la presse indépendante existe et l’affaire Zongo tout le monde l’a en tête.

S.P. : Quelles émissions animez-vous sur RFI ?

V.G. : En général, à Paris, je présente une émission qui s’appelle "Couleurs d’ailleurs". C’est un magazine culturel dans les informations sur l’antenne africaine de RFI tous les jours. Il est diffusé tous les matins et à midi dans "Afrique midi". Ce magazine permet aux auditeurs d’avoir des informations qu’ils n’ont pas le temps d’écouter dans les émissions longues comme les émissions d’Abou Mévégué, de Sophie Ekoué. A côté de la politique, de l’économie du FMI (Fonds monétaire international) les auditeurs sont informés qu’ils pourront aller voir telle pièce de théâtre à tel endroit.

S.P. : A côté de cette dimension culturelle, certains critiques reprochent aux reportages de Vincent Garrigues de ne pas approfondir des sujets tels que le trafic des biens culturels ...

V.G. : A mon niveau, je ne suis pas policier. Et à ce titre, ce que je peux faire, c’est en parler. Il y a eu à Paris, il y a 3 semaines de cela, une grande réunion internationale des experts de l’UNESCO sur justement le patrimoine détourné par les collectionneurs, les pilleurs de tombe, etc. J’en ai largement parlé dans "couleurs d’ailleurs", nous avons fait des sujets avec des douaniers. J’ai passé sur l’antenne, de façon anonyme, un pilleur de tombe nigérien qui m’explique comment il va dans les villages pour piller le patrimoine, afin de le vendre à l’étranger. C’est un domaine dans lequel, les responsabilités sont très largement partagées.

L’idée que l’Afrique serait entièrement pillée par d’affreux marchands venus d’Occident au détriment des pauvres Africains est un leurre. Sur le continent africain, ce sont des Africains qui pillent leur propre village pour le vendre à d’autres. Nous sommes exactement dans la même problématique que celle de l’esclavage. L’esclavage était pratiqué par l’Occident mais, c’était bien des rois africains qui vendaient les Noirs à l’Occident. Au Niger, j’ai rencontré des Nigériens qui, toute l’année, pillent leur patrimoine national sans vergogne. Mais, cela leur fait gagner leur vie aussi. Je comprends qu’ils ont besoin de manger.

Maintenant, la responsabilité de l’Occident est forcément engagée, dans le refus de la restitution des œuvres célèbres qui ont été pillées en Afrique. Je pense aux Italiens qui ne veulent pas rendre l’obélisque d’Aqsum à l’Ethiopie, aux Britanniques qui ont des pièces soudanaises très importantes, aux Français qui ont leurs musées pleinS de masques Ibo, Congo, etc. Quand les pays légitimement réclament le retour d’une pièce et peuvent prouver ou montrer qu’elles vont être conservées, il est hors de question de ne pas les rendre.

Maintenant, quand un pays comme le Congo (Kinshasa) réclame le retour de ces masques, il ne le réclame pas d’ailleurs mais s’il le réclamait et il faut savoir qu’à Kinshasa, il n’y a pas de musée, pas d’électricité, pas d’eau, pas de conservatoire de musée ; les masques rentrent à Kinshasa et au bout de deux jours, iIs auront tous été vendus à des collectionneurs. Donc, je trouve que les masques sont mieux à Paris.

S.P. : Alors, vous soutenez mordicus que les masques sont mieux à Paris parce qu’ici il n’y a pas de musées pour les conserver en Afrique ?

V.G. : Oui c’est cela. S’il n’y a pas de musées ici pour les conserver dès qu’ils seront ici ils vont être vendus à des trafiquants. Pour moi il vaut mieux qu’ils soient conservés dans des musées quelque part plutôt que d’être vendus à des trafiquants. Ici, au Burkina Faso, vous avez ouvert un musée national que je suis allé visiter il y a trois jours. Il est ouvert depuis les années 60 mais il est physiquement installé près de l’espace Gambidi depuis quelques mois. C’est un énorme espace vide à l’intérieur puisqu’il y a trois bâtiments qui se qui se court après. Mais, l’espace existe. Donc, si le Burkina Faso réclame des pièces qui auraient été prises par je ne sais qui, il faut qu’elles rentrent parce que le Burkina a un espace où les mettre.

S.P. : Quel a été le parcours de Vincent Garrigues pour qu’il soit journaliste à RFI aujourd’hui ?

V.G. : Tout simplement, le parcours d’un journaliste français avec une initiation, pour employer un mot rituel. J’ai découvert la grosse actualité africaine en 1990 au moment de la libération de Nelson Mandela. Je me trouvais en Afrique du Sud où je m’étais "auto-envoyé" pour y travailler. J’y ai vécu des années passionnantes sur le plan professionnel pour suivre toute l’évolution de l’ANC (NDLR : Congrès national africain, le parti de Nelson Mandela), qui commençait à paraître sur la scène politique : Mandela qui sortait de prison, la discussion avec le régime de l’apartheid. C’est un moment de l’histoire. C’était passionnant. Et mon histoire africaine est un peu née là en 1990. Après tout s’enchaîne. Les voyages, les reportages, les périodes de galère aussi où on cherche du travail comme toujours. En outre, RFI en France est une bonne auberge pour les Africains.

S.P. : Concrètement, quel a été le parcours académique de Vincent Garrigues ?

V.G. : Je n’ai pas fait de grandes écoles de journalisme. Je suis sorti de l’Université avec le premier diplôme universitaire après le baccalauréat en lettres en France qui est le DEUG c’est-à-dire BAC+II, donc bien avant la licence, pour dire que ce n’est pas très élevé. Après l’Université, j’ai fait l’Ecole supérieure de journalisme à Paris. C’est la 4 ou 5e en terme de notoriété. Et parallèlement, j’étais bon élève mais en même temps, un peu cossard, pas fainéant mais, je tournais en rond dans les salles de classe. J’avais envie d’aller rapidement sur le terrain. Donc j’ai vite fait des reportages et, je suis allé vendre des sujets dans des médias à droite, à gauche.

S.P. : Est-on obligé de passer par une école pour être un bon journaliste ?

V.G. : Non ! Vraiment je ne le crois pas du tout. Moi j’y suis allé et à ce titre je pourrais dire oui. Pour moi le journalisme n’est pas un métier, c’est un état d’esprit. C’est un état d’esprit que vous exercez actuellement en me regardant. Vous me posez des questions, c’est de la curiosité. Et c’est ça le journalisme. Ce n’est pas un métier que d’être curieux, c’est un état d’esprit, dans lequel on se met en permanence. On est curieux de savoir ce que l’autre fait. Mais vraiment l’école de journalisme ne me semble pas être un passage obligé. Cependant, il y a des circonstances qui font que c’est mieux. Pour avoir des stages en particulier par exemple, en entreprise.

S.P. : Quelles sont les galères du métier dont vous avez fait cas tantôt ?

V.G. : Les galères du métier sont celles qu’on rencontre quand nous sommes un peu jeune et qu’on n’a pas de contrat fixe. Il faut gagner sa vie tous les jours, tous les mois et courir après les piges. J’ai connu la pige pendant 5, 6 ans et c’était un peu dur de se nourrir à Paris même assez longtemps et j’avoue que ce n’est pas toujours facile. Par la suite avec un peu de chance les choses sont rentrées dans l’ordre.

S.P. : Souvent les journalistes sont taxés de corrompus ou d’hommes aux ordres. Qu’en pensez-vous ?

V.G. : Rien ! (rires)

S.P. : Vous avez un jour été confronté à ce problème-là ?

V.G. : Oui, là je vous teste parce que cela veut dire que vous êtes un bon journaliste. Vous réagissez très vite quand je dis "rien".

Non, je n’ai jamais été confronté à la corruption personnellement. Mais, sur le continent africain, j’ai été confronté à des situations où on a voulu me proposer de l’argent.

S.P. : Vous l’avez pris ?

V.G. : Ah Non ! (rires). Non.....non.

S.P. : Pourquoi ?

V.G. : Parce que je n’en ai pas besoin. Sinon le problème est déplacé. Si j’en avais eu vraiment besoin, si j’avais une famille à nourrir et que mon journal me paye très mal ou pas du tout, peut-être que je l’aurais pris. Je ne jette pas la pierre. Je sais qu’il y a sur le continent beaucoup de confrères qui sont dans des conditions très difficiles, et les perdiems comme on dit les aident à survivre. Je n’affirme pas que c’est affreux, que les journalistes sont des abrutis, des méchants. Il faudrait réformer tout le système économique. Les journalistes prennent les perdiems, et en fonction des perdiems, orientent leurs articles. Malheureusement ils sont victimes du système. Mais quand il faut nourrir les enfants, il faut les nourrir tout de même. Je n’ai pas pris l’argent qu’on me proposait parce que je suis payé, j’ai un salaire. J’aurais pu le prendre pour me payer une bouteille de whisky. Mais bon, ma moralité me l’interdit.

S.P. : Comment alliez-vous vie professionnelle et vie familiale puisque vous êtes toujours entre deux avions ?

V.G. : J’ai très peu de vie familiale. J’étais marié mais je suis divorcé. J’ai une petite fille de cinq ans. C’est très difficile et je n’ai jamais trouvé la solution au fait de concilier la vie professionnelle et la vie familiale. La passion que j’ai pour mon métier fait que je l’ai privilégié à la vie familiale. Sûrement, cela fait souffrir certaines personnes. Il faut faire des choix. Alors chacun fait son choix mais c’est souvent impossible de faire les deux. Je suis venu au métier par passion et par chance. Quand j’avais 10 ans, j’écrivais ce que je voyais quand je me déplaçais. C’était des carnets d’enfant. En plus c’est une question de modèle aussi. Que ce soit au Burkina ou en France, on a des modèles. Des gens qu’on voit à la télévision, qu’on entend à la radio ou qu’on lit dans les journaux. On a envie de ressembler à cet homme qui rencontre des stars. Donc, j’ai eu des modèles comme tout le monde.

S.P. : Qui a été un de vos modèles par exemple ?

V.G. : Un de mes modèles de jeunesse quand j’étais en France mais c’est quelqu’un qui n’est pas forcément connu. C’était le grand présentateur du journal d’information de la télévision française : Yves Mourousy. C’était l’un des plus grands journalistes de France. Il avait cette capacité, que j’essaie très modestement, d’appliquer à mon métier, de faire ce qu’on appelle en anglais "le cross-over", la passerelle entre tous les types d’informations.

Yves Mourousy était capable, dans un journal à la télévision de parler de Léonie Brejnev en Russie, de Ronald Reagan aux Etats-Unis et en même temps juste après, de dire "tiens, il y a une pièce de théâtre vachement intéressante", ou encore "il faut aller voir tel ou tel film". Il était capable d’interroger Léonie Brejnev et Patrice Cherrot pour le théâtre. Il avait cet esprit qui était capable de passer de l’un à l’autre. Dans les informations, le matin sur RFI, j’arrive juste après le journal d’informations politiques que j’ai présenté pendant longtemps.

Pendant 7 ans j’ai été présentateur d’"Afrique matin" sur RFI. Cette présentation m’a donné une forte notoriété sur le continent durant un moment. "Afrique matin" est un journal très écouté. On a 30 millions de gens qui écoutent tous les jours "Afrique matin". RFI est la plus grosse radio de France si on se rapporte à l’étalon français. Et je me suis rappelé en ce moment là ce que Mourousy était capable de faire. C’est à dire, d’affirmer que juste après l’information politique, l’économie, les maladies, les guerres et autres, les hommes (silence), tous les hommes y compris les hommes pauvres, ont du soleil dans le cœur.

Tous les hommes, y compris ceux qui n’ont rien à manger, ou très peu, sont capables d’inventer de la poésie, de jouer de la Kora, de danser un pas traditionnel, d’inventer des beautés. L’homme est par essence beau. Même les hommes les plus méchants, que ce soit des guerrieros ou des coupeurs de mains etc, ils ont tous au fond du cœur quelque chose de beau. Et j’avais envie de montrer cela.

S.P. : A vous écouter sur RFI, on s’aperçoit tout de suite que vous avez un style particulier. Quel est votre secret ?

V.G. : Il n’y a pas de secret. Cela découle de ma façon d’écrire un peu particulière qui ne plaît pas forcément à tout le monde. Ce style se rapproche parfois de ce qu’on appelle "le slam". Le "slam" est un style de poésie américaine inventé par les Noirs américains. C’est un peu comme le "rap" sans la musique. C’est une façon de parler en enchaînant les mots On enchaîne des mots et on met du rythme dans les mots sans la musique. Ce sont les mots qui sont la musique.

S.P. : Il y a des crises qui déchirent le continent africain. En tant que journaliste qui a découvert l’Afrique en 1990, quelles sont vos solutions pour les crises en Côte d’Ivoire, dans les Grands Lacs... ?

V.G. : Ah ! Non je ne peux pas vous donner de solution. Parce que je ne suis ni aux Nations unies, ni homme politique. Là on tombe, mais cela est intéressant pour votre reportage, la question est valide en soit et je ne la conteste pas. Mais à mon avis et modestement on tombe dans un des travers de la presse panafricaine. L’on fait dire à des gens des choses qu’ils n’ont absolument pas envie de dire. Moi j’entends, ici où là, dans des conférences de presse en Afrique, des confrères qui prennent position sur des conflits internationaux alors qu’ils n’ont absolument pas à donner leurs avis. Ils se mêlent des sujets qu’ils ne connaissent pas. Il faut se borner à ce qu’on connaît.

Je peux vous donner un avis de citoyen sur ces questions. Mais comme je suis ici pour RFI, je risque d’entraîner la confusion entre le citoyen et le "représentant" de RFI que je suis. Quand on n’est pas qualifié pour parler d’un sujet, il ne faut pas se lancer dans une grande digression sur "la paix", "embrassons-nous". Si j’avais la solution à ces crises alors en ce moment-là Kofi Annan (NDLR : secrétaire général de l’ONU) l’a forcément avant moi.

S.P. : Vous êtes passé par l’écrit, pourquoi n’avoir pas continué sur cette voie de la presse écrite ?

V.G. : J’ai continué. Ceux qui ont quelques CFA peuvent acheter, tous les mois ici, un magazine qui s’appelle "Afrique Magazine" (AM), du groupe "Jeune Afrique". Tous les mois, j’écris la page cinéma, et des portraits de stars. Le mois prochain, dans quelques jours vous allez pouvoir lire la chronique cinéma du mois d’avril parce qu’on boucle avec un mois d’avance. Pour allier l’écrit et la radio, je travaille beaucoup. Je ne prends pas de vacances et ne suis jamais en week-end. Là on se rend compte que ce n’est pas facile. Je suis réveillé à 7 heures du matin et je suis couché à deux heures.

Interview réalisée par Daouda Emile OUEDRAOGO (ouedro1@yahoo.fr)
Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 15 mars 2005 à 10:46, par saadiatou fayel manzo En réponse à : > Vincent Garrigues (RFI) : "Le journalisme n’est pas un métier, c’est un état d’esprit"

    bonjour M Garrigue, j ais lus votre articleet je comprendvotre point de vus sur le patrimoine culturel de l Afrique notament quand vous citee l exemple du Niger. Mais ne croyer vous pas qu en ne restituent pas les bien de ces peuples on les prive en quelque sorte de leur identite, certe la question de la vente de ces objet reste toujourun risque tres probable,dans ce cas ne pourions nous pas chercher un arrengemment qui permetrais à ces pays de benefissier plus que ça de leurs bien par exemple en leur accordent un %age des revenus des ces musès parisiens.ainssi ils(les peuples) comprandrons que ces objet on non seulement une valeur culturiel(et tous qui s en suit ) mais aussi monetaire.car disons le ces gens ignore tous de la valeur que reprsente le patrimoine.ceci est Monssier l’opinion d une etudienne Nigerienne qui essais de discrediter son peuple.Veiller ressevoir mes salutation les plus distinguer.

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