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Les héros de l’insurrection populaire (16) : Sayouba Traoré, journaliste, écrivain

Publié le mercredi 24 décembre 2014 à 01h41min

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Les héros de l’insurrection populaire (16) : Sayouba Traoré, journaliste, écrivain

Héros de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre au Burkina Faso, il l’est à sa façon. Loin du terrain physique de la lutte, mais toujours avec sa plume pour griffonner et traduire son opinion à qui de droit, le journaliste et écrivain Sayouba Traoré est assurément l’un de ceux qui, quoique hors du pays, ont toujours contribué au débat politique. Entre deux missions pour le compte de RFI (Radio France internationale) qui l’emploie, ce natif de Ouahigouya nous a rendu visite ce lundi 21 décembre à notre siège. Entretien avec l’homme qui fait « Chanter le coq » sur la radio mondiale.

Lefao.net : Quel est l’objet de votre visite ce matin au siège de Lefaso.net ?

Sayouba Traoré (S.T.) : Pour moi c’est une visite qui s’impose parce que j’ai vu naître ce site à Paris. Quand Cyriaque (Cyriaque Paré, Fondateur du site, ndlr) faisait ses choses, à l’époque, nous ne comprenions pas Internet. Ça c’est d’un. De deux, il y a un problème de génération. Moi quand j’écris, il me faut le stylo et cela été difficile pour moi de venir au clavier. Donc quand je parle de problème de génération vous comprenez ce que je veux dire. Nous le voyions faire ses choses, puis après on s’est rendu compte qu’il fallait ça. Il y a comme ça des éclaireurs. Il y a le journal papier mais il fallait ça pour que des gens puissent s’exprimer, pour que des gens puissent dire ce qu’ils pensent. Je suis persuadé que vous ne publiez pas toutes les réactions que vous avez ; mais il faut que les gens puissent se défouler, puissent dire ce qu’ils pensent Parce que s’il n’y avait pas ça, le 30 et le 31, je pense que ça allait être plus violent. Il faut que les gens puissent dire ce qu’ils pensent. Partout où on a empêché les gens de s’exprimer, où ça n’a pas été canalisé, c’a été très violent.

Lefao.net : Après la naissance de Lefaso.net à Paris, quelle appréciation faites- vous du parcours de ce média en ligne ?

S.T. : J’estime quand même qu’on devrait vous appuyer plus. Là, je prêche un peu pour ma chapelle parce que je suis journaliste moi aussi, mais j’estime qu’on devrait vous appuyer plus parce que, je vais reprendre ce que j’ai dit, il faut que les gens puissent s’exprimer. Si les gens ne s’expriment pas, ils vont l’exprimer autrement. Je ne sais pas comment je vais dire ça de façon plus soft….la population a quand même besoin d’une écoute quelque part. Même si on ne va pas faire ce qu’elle dit, la population a besoin d’une écoute… On devrait vous appuyer plus parce que vous ne faites pas seulement de l’information, il y a un peu de pédagogie aussi.

Lefao.net : Revenons- en à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre derniers à Ouagadougou. Comment l’avez- vous vécue ?

S.T. : Je dois vous dire que cela a surpris tout le monde. La transition a un peu de mal aujourd’hui à démarrer pour la simple raison que cela surpris tout le monde. On pensait que ça allait arriver jusqu’en 2015 et que c’est en 2015 qu’il allait y avoir la vraie bataille. Personnellement moi j’étais en RDC (République Démocratique du Congo, ndlr) ; le 30 ça s’est passé et j’avais envoyé un papier (un écrit, ndlr) où je demandais au général Honoré (Honoré Nabéré Traoré, Chef d’Etat- major général des armées pendant les faits, ndlr) d’aller jusqu’au bout. Puis le 31 il y a eu ce dénouement- là. Moi je suis allé dans un village pour un reportage et à mon retour on m’a demandé si je savais que mon président était parti ?

Lefao.net : Monsieur Traoré, vous produisez énormément sur Lefaso.net pour donner votre avis sur la situation nationale, sans tabou. Dans la série de vos articles, on peut retenir ces lettres successives adressées à un Colonel de l’armée, aux juristes, ou encore à « Votre grand frère Blaise Compaoré » comme vous l’avez appelé. Quel est le sens de votre engagement.

S.T. : En fait, si vous remarquez, moi j’ai commencé à écrire depuis 1994. C’était la presse papier. L’accélération dans mon engagement est venue avec l’histoire Norbert Zongo. Norbert c’est quelqu’un que je devais rencontrer en 1997, on n’a pas pu se rencontrer. En 1998 on devait se rencontrer, moi j’étais au Burkina, on n’a pas pu se rencontrer. Le 13 (décembre 1998, ndlr), on m’a appelé pour me dire que « ça ne va pas chez toi ». Et c’est le 14 qu’on a appris à Paris qu’il était mort.

J’ai initié une publication dans laquelle on reprenait ce qui se passait au pays en France. On a eu des manifestations et beaucoup de choses. Puis en 2004 est venue l’histoire de rétroactivité, non rétroactivité. J’avais été retranché au Mali par Radio France internationale, donc j’étais un peu plus près quand même du Burkina. Dans l’Observateur (L’Obseravteur Paalga, ndlr) j’ai eu beaucoup de publications. 1 bâtonnet + 1 bâtonnet = 2 bâtonnets, c’est de moi. Je ne sais pas si vous l’avez lu à l’époque. Aujourd’hui je suis ravi de savoir que beaucoup de gens ont rejoint ce que je disais à l’époque. Quand même il fallait que ce soit dit. On n’est pas des imbéciles ! Un mandat plus un mandat ça fait deux mandats ; une kalachnikov plus une kalachnikov ça fait deux kalachnikovs, on n’est pas des cons ! L’engagement c’est que quand même chacun se bat avec les armes qu’il a. Il y a des moments où se taire c’est trahir. Il y a des moments où il faut parler.

Lefao.net : Quels sont, à vos avis, les différents facteurs qui ont contribué à la chute de Blaise Compaoré ?

S.T. : On a choisi la république. Si on sort des instruments de la république et qu’on va vers autre chose, on court à sa propre perte. Quelqu’un peut me dire pourquoi on a besoin d’un régiment de sécurité présidentielle ? (La garde prétorienne du président du Faso, ndlr) Pourquoi ? C’est à la gendarmerie de s’occuper de la quiétude des instruments de la république. L’armée nous protège nous tous. Pourquoi a-t-on besoin d’un régiment de sécurité présidentielle ? On sort de la république. Et si on sort de la république, les choses ne peuvent pas se passer normalement.

Lefao.net : A votre avis, la presse a- t- elle joué sa partition dans cette crise ?

S.T. : Heureusement qu’il y a avait la presse. Parce que s’il n’y avait pas la presse, c’est la rumeur et vous savez ce que la rumeur peut colporter. Que vaut un citoyen qui n’a pas l’information réelle ? Heureusement que la presse était là. Y compris avec toutes les difficultés que vous avez. Quand je vous vois travailler, vous êtes plus héroïques que nous. Parce qu’à RFI, je suis là et si j’appelle on me donne les moyens, que vous, vous n’avez pas. Mais ça ne vous empêche pas de travailler. Moi je trouve qu’on devrait vous féliciter beaucoup. Moi j’appelle quelque part nos autorités à s’occuper un peu mieux de la presse burkinabè. Je ne le dis pas parce que je suis burkinabè, je dis ça parce que chaque année je fais tous les pays africains. Je les visite tous sans exception. Et j’estime que la presse burkinabè doit être mieux encouragée. On doit vous donner les moyens de faire votre boulot.

Lefao.net : Quelle est votre lecture de la transition telle qu’elle est menée depuis plus d’un mois maintenant ?

S.T. : Il y a du bon et il y a d’autres choses. Seulement c’est une œuvre humaine et on ne peut pas demander aux gens d’être parfaits. Vous, vous avez vos défauts, moi je suis plein de défauts donc je ne demande pas aux autres d’être sans défaut. Ce n’est pas possible. Seulement ils ont douze mois. Quand j’apprends qu’on a enlevé tel directeur, qu’on veut faire ceci, qu’on veut faire cela, oui ! Mais est- ce qu’ils sont venus pour ça ? Moi j’ai lu la charte de la transition. Et si on se contentait tout simplement d’appliquer la charte de la transition ?

Lefao.net : Voulez- vous insinuer là que la charte n’est pas appliquée ?

S.T. : Non, je ne dis pas qu’elle n’est pas appliquée… Pour ce qui me concerne, j’ai demandé, un, qu’on rétablisse la constitution, deux, qu’on la toilette. Parce que en 1991, pourquoi nous avons accepté cette constitution ? C’est parce que nous n’avions pas le choix. Ils étaient plus forts que nous. Ils savaient très bien qu’ils avaient tord, nous on savait qu’on avait raison. Mais il ne suffit pas d’avoir raison. La constitution a été tripatouillée dans tous les sens. Jusqu’à l’écœurement. Au point où nous avons dit, cette fois, nous n’acceptons pas. Et c’est ça qui a amené la situation. Est- ce que la situation a changé ? Non ! Est- ce que la constitution a été toilettée ? Non ! Est- ce que la charte de la transition permet d’aller au toilettage de la constitution ? Oui ! Pourquoi on ne le fait pas ? Il faut qu’on se fixe de nouvelles règles du jeu. Pourquoi on a eu tous ces problèmes là ? C’est parce que la constitution était bancale. Pourquoi allons-nous garder des règles du jeu qui nous valent des misères ? Je pense qu’on est suffisamment intelligents pour comprendre qu’on doit sortir de ce qui nous a valu des déboires.

Lefao.net : La transition est en cours pour douze mois, quels devraient être à votre avis les priorités ?

S.T. : J’ai fait un papier qui s’appelle « les priorités de la transition ». Jusque là on n’a pas encore écouté le peuple… Tant qu’on ne va pas faire les états généraux de la nation, les états généraux de la nation qu’est- ce que j’entends par là ? C’est- à dire, les bonnes sœurs, les putes, les rebuts de transition, les gibiers de potence, les boys scouts, tout le monde doit avoir son mot à dire. Je n’ai pas l’impression qu’on a écouté les gens d’abord. On a écouté ceux qui avaient l’habitude de continuer à parler. C’est- à dire vous, moi,…publics quoi ! Je peux me tromper, mais c’est le ressenti que j’ai.

Lefao.net : Il suffit donc d’organiser les états généraux du Burkina Faso pour que tout reprenne sur les bons rails ?

S.T. : Il ne suffit pas ! Descendez et demandez au quincailler qui est en bas de chez vous ce qu’il pense. Vous serez surpris. On ne pense pas tous la même chose, on ne pense pas tous la même façon. Je suis l’un de ceux qui se sont révoltés contre la journée nationale du pardon qui s’est tenue au stade du 04 août. Pourquoi ? Je dois vous accorder mon pardon alors que vous ne m’avez pas demandé pardon. Vous ne m’avez pas dit pourquoi vous demandez mon pardon. Je n’ai pas la garantie que demain vous n’allez pas recommencer. C’est un pardon contraint que je vous donne. C’est contraint, ça ne vient pas de mon cœur. Dans ces conditions, on n’est pas arrivé à dissoudre les malentendus qu’il y a entre vous et moi. Vous voulez qu’on fasse comment alors ? Il faut qu’on s’asseye et qu’on cause.

Propos recueillis par Samuel Somda et Cyriaque Paré
Lefaso.net

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