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Côte d’Ivoire. La question sécuritaire plus que jamais d’actualité (1/2)

Publié le lundi 22 décembre 2014 à 16h41min

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En mai 1999, Henri Konan Bédié, alors président de la République de Côte d’Ivoire, enfonçait le clou : « De toute façon, il était burkinabè par son père et il possédait toujours la nationalité du Burkina Faso, il n’avait donc pas à se mêler de nos affaires de succession »*. Le « il » en question est, bien évidemment, Alassane D. Ouattara. Six mois plus tard, il y aura quinze ans dans quelques jours, le 24 décembre 1999, Bédié devait piteusement quitter le pouvoir à la suite d’un minable coup de force militaire inattendu par tout le monde, y compris Paris.

Battu à la présidentielle 2010, hors course pour la présidentielle 2015, il milite aujourd’hui activement à la tête de son parti, le PDCI-RDA, pour la victoire de… Ouattara. Non par passion, ni même considération, pour le « Burkinabè » ; mais uniquement pour barrer la route aux autres candidatures potentielles qui viennent, essentiellement, de son propre camp. Il y a eu Félix Houphouët-Boigny puis Henri Konan Bédié qui ont présidé la Côte d’Ivoire au nom du PDCI-RDA, pas question qu’un troisième homme vienne, du vivant de Bédié, s’inscrire dans la filiation du « Vieux ». C’est d’ailleurs ce que Bédié reprochait à ADO dans les années 1990 : être un « bâtard » politique et un usurpateur… !

ADO est président de la République et voilà que Blaise Compaoré déboule chez lui. Pour cause « d’insurrection populaire » à Ouagadougou. A Abidjan, la presse souligne qu’étant l’époux d’une ivoirienne de naissance, il possède, du même coup, la nationalité ivoirienne. De toutes les façons, étant ressortissant d’un pays membre de la Cédéao, son installation dans un autre pays de la communauté ne pose pas problème. Etonnant retournement de situation : le protégé devient le protecteur. ADO, le « Burkinabè », accueille son frère Blaise subitement proclamé « Ivoirien ». Compte tenu de l’histoire de la relation entre les deux pays, de 1987 à 1993 au temps d’Houphouët (qui n’aimait pas la « Révolution » de Thomas Sankara), de 1994 à 1999 au temps de Bédié (qui n’aimait pas les Burkinabè de Côte d’Ivoire) et de 2000 à 2010 au temps de Laurent Gbagbo (qui n’aimait pas la connexion entre Guillaume Soro et Compaoré), il est difficile de croire que ce charivari sera sans influence sur l’évolution de la Côte d’Ivoire. FPI, PDCI-RDA et RDR, pour aller à l’essentiel, ont Ouaga comme dénominateur commun : de la détestation à la passion, de l’ingérence à la reconnaissance !

Compaoré déboule à Yamoussoukro, à quelques encablures de Bouaké, fief des ex-Forces Nouvelles de Soro, dans un contexte sécuritaire tendu. Depuis Bouaké, des mouvements de protestation des hommes en uniformes se multiplient depuis plusieurs semaines et essaiment dans tout le pays jusqu’à Abidjan. Grèves de militaires et de gardes pénitentiaires, barrages et racket de la population, coups de feu, etc… deviennent le lot quotidien alors que les autorités tentent de remettre de l’ordre dans les rangs des « rebelles » qui ont été, massivement, intégrés dans l’armée et les forces de sécurité : 44.000 ex-combattants sur les 74.000 officiellement répertoriés, tandis que la majorité des « com’zones », ces chefs de guerre qui ont fait régner les exactions et parfois même la terreur sur le terrain tout au long de la partition de la Côte d’Ivoire (et même au-delà), vivent dans la marginalité comme les pires des « voyous de la République » quand ils n’ont pas bénéficié de promotions indues au sein de l’armée ou de l’administration.

Dernier épisode en date de cette « normalisation » sécuritaire : l’arrestation de Salif Traoré, dit « commandant Tracteur », dans la nuit du jeudi 18 au vendredi 19 décembre 2014, dans le quartier Attoban, à Cocody, commune de l’agglomération d’Abidjan. Il était mis en cause dans l’érection de barrages à la suite d’une mutinerie à la caserne d’Akouédo, à Abidjan, le jeudi 18 décembre 2014. « Tracteur » était officiellement chargé de la question des ex-combattants par le ministère de la Défense. Il aurait ainsi des milliers de « combattants profilés associés » sous son autorité. Puissamment armés, dotés également d’armes lourdes, ils seraient déployés dans toute la capitale au « service » de structures militaires ou étatiques. Mais en attente d’immatriculation, ils vivent dans l’informel et ont un comportement, selon les Nations unies, plus proche de celui de « criminels » que d’agents de sécurité ; pourtant, jusqu’à présent, ils ont bénéficié d’une totale impunité. « Les autorités ont attendu trois ans pour neutraliser les rebelles, pour les marginaliser, les mettre au placard. Maintenant, ça va être de plus en plus difficile » explique une « source sécuritaire occidentale » à Jeune Afrique (20 décembre 2014). D’autant plus que Ouattara, à l’instar de Houphouët-Boigny lors des mutineries de 1990, a choisi d’ouvrir les valises de billets pour calmer la mauvaise humeur de ceux qui estiment avoir porté au pouvoir ADO et les siens. 6 milliards de francs CFA de « primes » auraient déjà été distribués. Ce qui ne manque pas d’aiguiser l’appétit des autres ; ces ex-rebelles qui évoquent une « décapitation de la rébellion » et menacent : « Il vaudrait mieux que le président prennent ses dispositions pour protéger ceux qui l’ont libéré hier » (Jeune Afrique - 20 décembre 2014).

Après avoir fait des « seigneurs de la guerre » les « saigneurs de la République », les autorités ivoiriennes ont du mal à décriminaliser les forces rebelles qui ont trouvé au sein de l’appareil d’Etat des relais d’autant plus attentifs à leurs revendications qu’ils savent à qui ils doivent le pouvoir qui est le leur aujourd’hui. Il y a aussi que la Côte d’Ivoire semble regorger d’argent. 16 milliards de francs CFA auraient été dépensés pour la mise en place et le fonctionnement de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDRV) qui, après trois ans d’activité et la rédaction d’un rapport, a fermé ses portes le mercredi 17 décembre 2014. Incontestablement, c’est la plus grosse arnaque que l’Etat ivoirien ait monté contre la République ivoirienne qui, pourtant, en a connu à foison.

La CDVR aura été une montagne de fric mais n’aura même pas accouché d’une souris. Normal, les rats y étaient déjà infiltrés et avaient abondamment « bouffé ». 6 milliards de francs CFA de primes + 16 milliards pour la CDVR + 42 milliards dans les cantines de Blaise Compaoré emportées à l’occasion de son exfiltration vers la Côte d’Ivoire par les services spéciaux français, cela fait beaucoup d’argent en circulation dans le pays. Certes, si les 6 milliards de primes et les 16 milliards de la CDVR sont avérés, les 42 milliards de Blaise font partie de ces fantasmes postrévolutionnaires véhiculés par des médias (en l’occurrence guinéens) plus enclins à semer le doute qu’à enquêter sur la réalité des faits. Il n’empêche. ADO et Blaise sont considérés comme les bénéficiaires du business mortel mis en œuvre par les Forces Nouvelles, les « com’zones » et les autres. L’argent n’a pas d’odeur, même quand il est sale. On le blanchit uniquement par respect pour ceux que l’on a arnaqué ; comme les os des cadavres de vos ennemis blanchissent au soleil ! Bobo/Ouaga 2000/Bouaké a été le triangle d’or au sein duquel ont fonctionné quelques lessiveuses. Les « rebelles », ceux qui ne sont pas installés dans les ors des palais nationaux, ambassades, ministères, casernes…, font leurs comptes et trouvent qu’ils ont été grugés : beaucoup de milliards circulent, ils viennent de quelque part. Tout cela pourrait susciter des ambitions et, du même coup, quelques vocations. D’autant plus que la Côte d’Ivoire s’est affirmée ces dernières années affairiste et peu soucieuse d’assainir (mais qui aurait eu cette malencontreuse idée qui va à l’encontre des intérêts des « grottos » du régime) les forces armées et de sécurité. Heureusement, Paris veille…

* Henri Konan Bédié, Président de la République de Côte d’Ivoire, « Les Chemins de ma vie », éd. Plon, Paris, mai 1999, page 147.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 22 décembre 2014 à 23:28, par COUIBALY En réponse à : Côte d’Ivoire. La question sécuritaire plus que jamais d’actualité (1/2)

    Pour sa soif du pouvoir, OUATTARA a recruté des têtes brulées et les a appris à tuer sauvagement. Ne dit on pas que qui tue par l’épée périe par l’épée.
    Aux morts, s’ajoute le deal avec les français pour les ressources de la Cote d’Ivoire.

    Pourquoi tant de mort pour le pouvoir d’une seule personne ?
    A regarder mon continent de loin, à observer nos comportements, je me demande si nous sommes victime d’une malédiction divine.
    Quelques exemples simples
    Congo(s) : accident des ressources souterraines mais population pauvre
    Gabon : petit pays aux richesses immenses mais population pauvre
    Tchad : Pays pétrolier et riche mais population pauvre
    Cameroun : pays riche mais l’avidité d’un seul homme fait de ces fils et filles les plus en exil
    Niger : Plus grand producteur d’uranium. Cette manne est laissée gratuitement aux français.
    Centrafrique : grande richesse mais hélas
    `Nigéria : Grand producteur de pétrole en Afrique mais ne peut même pas raffiner son or noir pour offrir à sa population un carburant moins cher indispensable au processus d’industrialisation. Pourquoi ?
    Lybie : hier havre de paix, aujourd’hui champ de tir et grand cimetière. Aucun africain n’a pu réagir contre l’assassinat de Kadhafi. Chacun est resté dans son trou à rat en entant qu’on l’index de dictateur.
    Les magrébins se disent plus proche des occidentaux pourtant il sont les occupant des banlieues en occident.
    Le chapelet est long et difficile à égrener.
    Plutôt que d’être la locomotive de toute l’Afrique, l’Afrique central est un wagon pourri qui ralenti le continent.
    L’Afrique de l’Ouest ne finit pas avec ses bassesses, sa prostitution avec la France. Toujours des coups bas contre d’autres africains.

    A quand la fin de la prostitution et de l’esclavage moderne des noirs ?
    A quand l’éveil des consciences ?
    Quand comprendrons nous que le blanc n’a pas d’ami, ne connait pas dieu, donc n’a pas de cœur ?

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