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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (23)

Publié le lundi 15 décembre 2014 à 17h37min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (23)

En 1960, la population de la Haute-Volta comptait 4,8 millions d’habitants. En 1983, quand le Conseil national de la Révolution (CNR) a pris le pouvoir, il y en avait 7,3 millions. En 2014, la population s’élèverait à 17,4 millions d’habitants ; elle aurait quadruplé depuis l’indépendance et été multipliée par 2,5 depuis la « Révolution ». C’est dire que le Burkina Faso d’aujourd’hui n’a rien à voir, démographiquement (et du même coup socialement), avec le Burkina Faso d’hier et la Haute-Volta d’avant-hier. Ajoutons à cela une diaspora présente partout dans le monde, mais particulièrement dans la sous-région (et principalement en Côte d’Ivoire), qui double pratiquement le chiffre de la population d’origine burkinabè.

La « Révolution » de 1983 avait parfaitement valorisé l’image d’un pays pauvre, essentiellement rural, et fier de l’être, faisant la démonstration qu’il était possible de vivre uniquement selon ses moyens. Le pays devenait une destination « touristico-militante » low-cost, on disait « sac à dos » à l’époque, et on se battait en France pour jumeler sa ville avec une bourgade burkinabè. On ne parlait pas encore de mondialisation et, du même coup, l’anti-impérialisme faisait recette, surfant sur la montée en puissance des mouvements marxistes-léninistes dans les années 1960-1970. A Paris, la gauche réformiste avait accédé au pouvoir pour la première fois depuis la Vè République et la radicalisation des revendications pouvait s’exprimer dès lors partout dans l’Hexagone et certaines de ses anciennes colonies qui venaient à peine de dépasser le cap des vingt ans d’indépendance.

La « Rectification » sera encore celle des « camarades ». Pour peu de temps, la décennie 1990 sera celle de la « globalisation » de l’économie, autrement dit : la « mondialisation ». La pauvreté des pays n’était plus, nous disait-on, inéluctable : privatisation et déréglementation étaient les deux mamelles de la… croissance. Blaise Compaoré jouera le jeu avec circonspection. Le 30 juin 1996, à l’occasion du sommet du G7 à Lyon, à laquelle il avait été invité, le Journal du Dimanche publiera une chronique signée du président du Faso intitulée : « Mondialisation ou perdition ? ». « Tout se passe, disait-il, comme si le mot magique de la croissance devenait lui-même son objet et sa finalité, évoluant sans projet de société tant à l’intérieur des Etats qu’entre les nations, étouffant le quart-monde dans les pays du Nord et élargissant le fossé entre ces derniers et le tiers-monde. Malgré des signes encourageants décelés ça et là, il me semble irréfutable d’affirmer que le monde est en état d’urgence économique, en dépit, et surtout à cause de cette mondialisation : le néolibéralisme, après plus de quinze ans de « triomphalisme », a montré ses limites en soumettant sans sourciller la culture et la société au joug de l’efficacité économique : subséquemment, on assiste à la crise de l’emploi, à la misère grandissante… et à la mondialisation de la déstabilisation ».

Malheureusement, ce message de 1996 n’a pas été retenu. Et le Burkina Faso s’est laissé aller à un affairo-politisme au-dessus de ses moyens, passant une partie de son temps à sauter à pieds joints en criant : « émergence, émergence, émergence... ! ». Un affairo-politisme non pas nourri par l’émergence mais par les mines d’or – devenu le premier poste d’exportation avant le coton – et la « crise ivoiro-ivoirienne ».

Je m’étais interrogé, autrefois, après avoir lu et relu Joseph Ki-Zerbo, sur les raisons pour lesquelles les royaumes mossi ne s’étaient pas constitués en un empire régnant sur l’Afrique de l’Ouest. La continuité qui a caractérisé la gestion des royaumes mossi au cours des siècles aurait permis cette politique « impérialiste ». Il n’en a rien été. C’est Compaoré qui, lors d’un entretien qu’il m’avait accordé début juillet 2004, m’avait fourni une explication : le Mogho-Naba étant tout à la fois centre et maître du monde, il n’ambitionne pas d’aller au-delà de son palais. Ce « splendide isolement » revendiqué par le Burkina Faso a été cependant brisé en 2002 avec la « crise ivoiro-ivoirienne ».

Ouaga a perçu les intérêts qu’il y avait à s’impliquer dans une affaire dont sa diaspora en Côte d’Ivoire – et, du même coup, une partie de sa population au Burkina Faso – était un acteur non négligeable, plus encore la victime. Humainement d’abord, diplomatiquement ensuite, politiquement bien sûr et économiquement, enfin, la gestion de la « crise ivoiro-ivoirienne » s’est déroulée à un moment où les ingrédients étaient réunis pour que le Burkina Faso tire les marrons du feu. Laurent Gbagbo exaspérait tout le monde ; Guillaume Soro séduisait ceux qui étaient exaspérés par Gbagbo. Bobo-Dioulasso et Ouaga 2000 allaient ainsi devenir les bases où s’organisera le « repos du guerrier » des chefs de guerre et des leaders des Forces nouvelles. Des hommes sans état d’âme mais avec de gros besoins financiers… !

Blaise n’a jamais perdu de vue Abidjan. Le port, le chemin de fer et le palais présidentiel sont les composantes essentielles, depuis toujours, de l’axe ivoiro-burkinabè. Maurice Yaméogo avait perdu son job en 1966 pour avoir pensé que les Voltaïques, qui ont valorisé la Côte d’Ivoire coloniale et post-coloniale, pouvaient ambitionner d’être, aussi, des Ivoiriens. Funeste erreur. Sauf, bien sûr, que sans la Côte d’Ivoire le Burkina Faso retournerait à son « splendide isolement ». Ce qui ne saurait être en rien dégradant. Mais serait, quoi qu’en pensent certains, dommageable pour la croissance économique du Burkina Faso. Or, la transition ne promet pas que l’alternance des hommes mais aussi des modèles économiques ; et la rue attend justement qu’en la matière les choses changent fondamentalement.

Aujourd’hui, Compaoré s’est replié, une nouvelle fois, sur Yamoussoukro après son séjour à Casablanca et, dit-on, quelques déplacements en Afrique centrale (Congo et Gabon). Il n’est pas certain que ce soit la meilleure chose pour la relation entre Ouaga et Abidjan compte tenu du ton qui, désormais, est de mise dans la capitale burkinabè à l’égard de l’ancien président du Faso. Ce sera, à n’en pas douter, un sujet de discussion à la 46è session ordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cédéao qui se tient à Abuja aujourd’hui et demain (14-15 décembre 2014). La présence de Compaoré en Côte d’Ivoire impacte, dit-on, la réconciliation ivoirienne dès lors que le clivage Gbgabo/ADO est réaffirmé, l’ancien président du Faso étant considéré comme l’homme qui a permis à Ouattara d’accéder au pouvoir. Plus que de l’amitié entre Compaoré et Ouattara, il y a, dit-on à Abidjan, de la « complicité ». Comme il y a, aussi, de la « complicité » entre Compaoré et Soro, actuel président de l’Assemblée nationale. C’est dire que la présence de Blaise à Yamoussoukro est un sujet de polémique, certains ne manquant pas de rappeler par la même occasion que Chantal Compaoré est née ivoirienne. Par ailleurs, du côté de l’opposition ivoirienne on ne manque pas de jeter de l’huile sur le feu.

En 2002, Compaoré avait promis la CPI à Gbagbo ; promesse tenu. Le voilà dans le collimateur de sa propre justice, ce qui ne manque pas de réjouir le FPI. A moins d’un an de la présidentielle ivoirienne, Alassane D. Ouattara doit se dire que la fidélité en amitié est parfois un fardeau lourd à supporter. Ayant longtemps souffert d’être considéré comme un « Burkinabè », le président de la Côte d’Ivoire se voit désormais contraint d’accueillir sur son territoire l’ancien président du Burkina Faso, un de ses plus farouches partisans et un des artisans de sa victoire à la post-présidentielle 2010.

Dans ce contexte, espérons que personne n’aura l’idée d’évoquer une « ivoiroburkinarité », sorte de « Françafrique » permettant de mettre à l’index Compaoré et Ouattara qui, finalement, n’auront gouverné concomitamment leur pays que pendant à peine plus de trois ans. ADO terminera son premier mandat en 2015 alors que la transition devrait s’achever au Burkina Faso. Quid, dès lors, de la relation entre les deux pays pendant ce court laps de temps ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 16 décembre 2014 à 14:12 En réponse à : Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (23)

    ’’Sauf, bien sûr, que sans la Côte d’Ivoire le Burkina Faso retournerait à son « splendide isolement »’’ QUELLE STUPIDITÉ ?

    La Côte d’Ivoire est importante pour l’économie Burkinabé mais le propre du Burkina est sa capacité à assumer son destin en réinventant ses propres solutions. Quand la Côte d’Ivoire n’était vivables par les ivoiriens encore moins par les burkinabé, Lomé, Accra, Cotonou et même Dakar ont été des pistes nouvelles aussi prometteuses. C’est ceux qui vivent sans génie créateur libéré qui vivent condamnés.

    SANOU

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