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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (18)

Publié le samedi 13 décembre 2014 à 02h14min

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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (18)

« Nous avons installé sur un piédestal l’élite acculturée qui s’est, petit à petit, constituée comme une mousse au-dessus d’une matière liquide en ébullition, je dirai plutôt une crème nageant presque en état d’apesanteur, petite bourgeoisie intellectuelle ou classe moyenne, complètement sans relation avec les masses populaires, une élite surévaluée qui, souvent, ne trouve pas de réponse à nos véritables problèmes de société faute d’engagement nationaliste ».

L’homme qui s’exprime ainsi est une des personnalités les plus anachroniques du Burkina Faso. Il est, dans le même temps, emblématique de l’orgueilleuse humilité qui, parfois, caractérise les « hommes intègres ». C’est le 3 juin 2013, à l’occasion du cinquantenaire de l’Union africaine, qu’il a annoncé la couleur. Dans son « message sur le panafricanisme », il a salué les « héritiers et héritières des idéaux de sa Majesté l’Empereur Haïlé Sélassié, du grand Osagyefo Kwame Nkrumah, de Gamel Abdel Nasser, de Julius Nyerere, de Léopold Sédar Senghor, d’Houphouët-Boigny, de Ben Bella, de Marcus Garvey, de William Tubman, de Booker Washington, de William Dubois, de George Padmore, de Patrice Lumumba, de Thomas Sankara et j’en passe ». Voilà une partie du Panthéon panafricaniste de Jean-Baptiste Natama, directeur de cabinet de Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’Union africaine.

Natama n’est pas une tête d’affiche politique au Burkina Faso. Il cultive d’ailleurs la discrétion. Sa vie professionnelle ne serait que « missions techniques accomplies sans états d’âme dans l’intérêt exclusif de la nation ». C’est une façon de voir les choses pour cet homme qui est, tout à la fois, « juriste, diplomate, officier, politologue, poète, essayiste et écrivain ». C’est à Léo, province de la Sissili, non loin de la frontière avec le Ghana, le village de sa mère (son père est originaire de Fada N’Gourma), qu’est né Natama en 1964. Elève à l’école primaire de garçons de Garango, dans le Boulgou, puis au petit séminaire de Baskouré, au collège de La Salle à Ouagadougou et au Prytanée militaire du Kadiogo (PMK), où il a décroché son bac A4, il va être admis à l’Ecole militaire de Saint-Cyr Coëtquidan et à l’Ecole militaire des techniques d’administration de Strasbourg mais devra renoncer à en suivre les cours. Il obtiendra son brevet d’officier à l’Académie militaire Georges Namoano, à Pô. Il est aussi titulaire d’une licence et d’une maîtrise de droit public décrochées à l’université de Ouagadougou ; il y ajoutera par la suite, toujours à Ouaga, une licence ès philosophie.

En France, il obtiendra à l’Ecole des hautes études internationales (HEI) de Paris un DESS en études stratégiques et diplomatiques puis, à l’université de Nantes, une maîtrise et un DEA en droit public. Son CV dit qu’il a été auditeur à l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche à Genève, à l’Institut des hautes études de défense nationale à Paris et à l’Africa Center for Strategic Studies (ACSS) de Washington. Il a enseigné à l’Institut diplomatique du Caire, au Centre international de formation pour les opérations de maintien de la paix à Nairobi, à l’Ecole de maintien de la paix à Bamako, au Centre régional de formation pour les opérations de maintien de la paix de la SADC à Harare et à l’Ecole de défense nationale du Nigeria à Abuja. On dit qu’il parle, outre le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’arabe et « plusieurs langues africaines : kirundi, kinyarwanda, swahili, bambara, gulmanceman, mooré, bissa, etc. ».

La carrière professionnelle de Natama n’est pas moins dense. De 1984 à 1990, il officie au sein du ministère de la Défense nationale. C’est le temps de la « Révolution » et le chef de bataillon Boukary Jean-Baptiste Lingani en est le patron – et numéro deux du gouvernement derrière Blaise Compaoré – depuis l’accession au pouvoir du Conseil national de la révolution (CNR). En 1985, Natama va s’illustrer, du côté de Koloko, dans un des épisodes de la « guerre des pauvres » qui oppose le Mali et le Burkina Faso ; il obtiendra ainsi la médaille d’honneur militaire. Le 15 octobre 1987, à la suite de l’assassinat de Thomas Sankara, le Front populaire prend la suite du CNR mais Lingani conserve son portefeuille qui change seulement d’appellation : ministère de la Défense populaire et de la Sécurité (c’est Gilbert Diendéré qui est alors secrétaire chargé de la défense et de la sécurité au sein du Front populaire). Affecté au haut commandement des forces armées comme chef du service de l’orientation politique et de la production, Natama va être chargé de réorganiser le corps de l’armée à Gaoua, dans le Sud-Ouest du Burkina Faso. Lors du remaniement du « gouvernement révolutionnaire », le 21 septembre 1989, Compaoré, président du Front populaire, chef de l’Etat et chef du gouvernement, sera aussi le titulaire du portefeuille de ministre de la Défense populaire et de la Sécurité. C’est que Lingani et le capitaine Henri Zongo (alors ministre de la Promotion économique) ont été fusillés dans la nuit du 18 au 19 septembre pour tentative de coup d’Etat (que Diendéré revendiquera avoir déjoué).

Avec la mort brutale de Lingani, Natama va être appelé à quitter le ministère de la Défense. Il est, par la même occasion, radié de l’armée en mai 1990 et expédié à Nouna. Partiellement réhabilité dès lors que la « démocratisation » du pays sera en marche, il officiera jusqu’en 1995 au sein du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Pendant cette période, les patrons de la diplomatie burkinabè sont alors Issa-Dominique Konaté (1991-1992), Thomas Sanon (1992-1994) puis Ablassé Ouédraogo. En 1995, Natama va rejoindre l’OUA. Il sera en mission au Burundi, en RDC, au Rwanda. En 2002, c’est le retour à Ouaga. Il est alors nommé conseiller diplomatique du ministre délégué chargé de la Coopération régionale, Jean de Dieu Somda. En 2004, il retrouve l’UA, qui a pris la suite de l’OUA, où il aura en charge le dossier du Darfour.

Jusqu’alors haut fonctionnaire parmi d’autres, et ayant passé de longues périodes loin du pays natal, Natama va sortir de l’ombre quand il sera nommé en 2006 secrétaire permanent du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP). Le MAEP a été mis en place par l’UA le 9 mars 2003 à Abuja. Il s’agit d’aider les pays membres à améliorer leurs pratiques en matière de gouvernance politique, économique, sociale... Cependant, pas plus que le NEPAD ne solutionnera la question d’une intégration africaine fondée sur le partenariat et le développement cohérent et harmonisé du continent, le MAEP ne résoudra le problème majeur de la « bonne gouvernance ». Mais Natama mettra le doigt là où ça fait mal encore aujourd’hui. « L’absence de mobilisation des populations africaines autour des programmes de développement ainsi que la non-participation de ces dernières à la réalisation de ceux-ci ont souvent fait partie des raisons majeures ayant contribué aux nombreux échecs qu’a connus le continent dans sa quête d’un mieux-être » (chronique dans le magazine français L’Essentiel des relations internationales). Il ajoutait alors : « Dans tous les cas, il ne fait plus de doute que ce dont l’Afrique a besoin aujourd’hui, c’est d’actions capables de changer avec célérité de façon qualitative la vie des populations africaines, et la bonne gouvernance en est une ».

« Monsieur bonne gouvernance », comme l’appellent les Burkinabè, sera définitivement réhabilité et la reconstitution de sa carrière lui permettra de se retrouver… colonel en 2008. En 2012, cumulativement avec ses fonctions de SP-MAEP, il va être nommé auprès du général Sékouba Konaté (qui a été président de la transition guinéenne), haut-représentant de la force d’attente de l’UA. Natama va être en charge de l’opérationnalisation de cette force dont la mission est de conduire des opérations de maintien de la paix et de la sécurité dans les zones de conflits sur le continent africain.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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