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Les héros de l’insurrection populaire (n°12) : Marcel Tankoano

Publié le mercredi 10 décembre 2014 à 00h29min

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Les héros de l’insurrection populaire (n°12) : Marcel Tankoano

Derrière sa silhouette frêle se cache une forte personnalité de conviction. Son engagement dans la lutte contre la modification de l’article 37 de la Constitution lui a valu la résiliation de son contrat de travail. Mais n’a nullement entamé son moral. Le 30 octobre, il était aux avant-postes des manifestations, coordonnant les zones de Tampouy, Dapoya, Somgandé, Kossodo, Dassasgho. Il fait partie des premiers à arriver à la RTB, son ancien employeur. Mais, sa journée se terminera plus tôt que prévu parce que touché par des tirs à balles réelles. Une nuit en clinique et le lendemain, il regagne le terrain de combat. Lui, c’est Marcel Tankoano, président du M21. Il nous livre son témoignage sur l’insurrection populaire qui a conduit à la chute de Blaise Compaoré.


Vous êtes l’un des membres fondateurs du M21 (Mouvement du 21 avril). Qu’est-ce qui a motivé la création de ce mouvement ?

Il fallait dire non au sénat, non à la modification de l’article 37 et non au référendum. Ce n’était pas évident que tu puisses en tant que jeune agir et puis continuer. Ou tu perds ton boulot, ou même tu risques l’élimination physique. Mais, avec mes amis, quand on a pris la décision, nous avons voulu être des héros plus tard. Et, c’est ce qui est arrivé et Dieu nous a donné la vie de vous raconter ce qui est arrivé. Si non, en principe, on aurait pu rester dans cette histoire des 30 et 31 octobre.

Beaucoup n’avait pas le courage de s’assumer, qu’est-ce qui vous a véritablement incités à le faire ?

Nous nous sommes assumés tout simplement parce que pour libérer un peuple, il faut une volonté, il faut un engagement et souvent il faut accepter de périr. Je prends le cas de Norbert Zongo, il a fallu qu’il se donne à la mort pour qu’aujourd’hui on ait la liberté d’expression. Et nous aussi, nous nous sommes dit advienne que pourra. La création de ce mouvement va nous permettre d’abord de nous exprimer dans tous les fora. Et tout ce qui va nous arriver, nous allons prendre le peuple à témoin. Donc, voilà comment les uns et les autres ont accepté et nous sommes sortis officiellement devant les médias pour leur dire que nous sommes des jeunes engagés contre la modification de l’article 37, contre le référendum et nous pensons qu’en 2015 Blaise Compaoré doit partir. Ou bien il reste et nous ne restons pas, ou bien il s’en va et nous, on reste. Voilà un peu le sens de notre engagement.

Ça n’a certainement pas été facile, des obstacles ont dû se dresser devant vous ?

Vous connaissez le pouvoir. A un moment donné, ils ont utilisé des intimidations et des menaces. Nous étions permanemment sous écoute. A un moment donné, je ne pouvais pas vous donner ma position parce que j’avais peur, pas peur de mourir mais peur qu’on écourte ma mission. Parce qu’à ce moment, je n’avais pas pu m’expliquer. Mais quand je me suis affiché dans les médias, c’était quasiment impossible de me faire quoi que ce soit, peut-être utiliser d’autres méthodes pour m’éliminer, mais venir avec des kalachnikovs, c’était impossible.
Malheureusement, à l’époque, ils avaient envoyé des gens vers nous pour nous diviser. Mon secrétaire général a démissionné. Il avait publié même dans les journaux de la place pour dire qu’au sein du M21, il n’y a pas de démocratie. Deuxièmement, c’était la même chose, il y a un 2e qui a claqué la porte. Mais, ça nous a amené à nous battre davantage. Nous nous sommes dit que, tant qu’il y a le souffle, même si on doit arriver à 5, 6 ou à 7, il faut qu’on y arrive et le peuple burkinabè sera témoin du combat.

L’autre moment difficile, c’est la perte de votre emploi…

Je servais dans un média public. J’étais à la RTB-Télé où je présentais le journal en langue nationale Gulmatchema. Mon contrat a été tout simplement résilié parce j’étais engagé et que je ne pouvais pas travailler à la RTB et m’opposer au régime. Donc, on m’a sucré comme on le dit, on m’a chassé si vous voulez.

Quelle est la raison évoquée pour résilier votre contrat ?

La raison est qu’on voulait m’envoyer en province parce que la RTB venait de créer des stations dans les provinces où ce n’était pas encore effectif mais on envoie quelqu’un dans une zone où il n’y a rien à faire. On vous dit que c’est pour vous faire une promotion, mais en réalité c’est pour vous écarter. Mais, officiellement, ça ne se dit pas. Donc, ils ont rompu le contrat, je n’avais plus rien. Mais, quand vous êtes dans un combat noble et juste, il ne manque pas quelqu’un qui vous comprend toujours, qui « paie la bagarre » parce que lui, il ne peut pas la faire. J’étais en location, mais Dieu a voulu que je ne prenne pas la honte. On dit qu’un enfant béni peut souffrir mais il ne va jamais connaître la honte.

Au moment où vous invitiez les gens à pousser Blaise Compaoré vers la sortie, vous trimiez pratiquement ?

Honnêtement, je trimais. Ce n’est pas de l’amusement. Ouagadougou sans salaire, vous vivez en location, il y a la santé, j’ai une famille à nourrir, je suis dans un célibaterium. Le propriétaire du bâtiment, à la fin du mois, tant que vous ne payez, il vous met dehors. C’est vous qui vous êtes engagé ailleurs. Malgré tout, on a tenu.
Mieux, on a pu installer, après la coordination nationale qui est basée à Ouagadougou, des coordinations régionales à Bobo-Dioulasso, à Fada N’Gourma, à Koudougou, puis Ouahigouya. Donc, le M21 existe dans cinq régions du Burkina, sans moyens, c’est juste un engagement. Ce que je gagnais me suffisait pour ne pas lutter. Mais, nous nous sommes dit à un moment donné qu’il fallait des hommes qui acceptent de se mettre devant. Voilà la base même du M21. Il fallait accepter le sacerdoce, le sacrifice quitte à périr. Mais, nous avons dit que si Blaise Compaoré a duré, c’est en 2015. Dieu merci, aujourd’hui le M21 est entré entièrement dans ses objectifs. Il n’y a pas eu de sénat, pas de référendum. Mieux, nous avons obtenu le départ de Blaise Compaoré prématurément.

Venons à présent à la semaine décisive du 28 octobre au 2 novembre, comment l’avez-vous passée ?

La journée du 28 octobre, quand je quittais chez moi, j’ai dit à ma famille au revoir. J’ai dit à ma femme, voilà ma pâte dentifrice, je ne reviendrai pas chez moi tant que Blaise Compaoré n’a pas retiré le projet de loi, je ne vais plus rentrer chez moi tant que Blaise Compaoré sera à Kossyam. J’ai montré à ma famille ma pâte dentifrice et je leur ai dit que je partais à la place de la révolution. Ce qui va arriver n’a qu’à arriver. Depuis la date du 28, je ne suis plus réparti chez moi jusqu’à ce que Blaise Compaoré quitte le pouvoir, je vous confirme ça.
Et la date du 28, nous avons dit à l’opposition politique burkinabè que nous ne devrons pas rater cette lutte parce que nous connaissons le président Blaise Compaoré, si nous ratons, nous disparaissons. Nous avons fait des réunions où nous avons dit que c’est clair et net, la date du 28, nous ne voulons plus de marche, mais une journée ville morte et que ce soit un jour ouvrable pour que les uns et les autres se rendent compte que la situation nationale du Burkina Faso est très grave. Ce qui a été fait. A la date du 28, il était quasiment impossible de trouver même un kiosque ouvert pour prendre un thé, n’en parlons pas des grands restaurants. Nos grands marchés étaient fermés. Mais, ils ont ignoré tout cela. C’était un défi. Mieux, un ministre s’est retrouvé sur un plateau et il a dit que les gens ont vaqué normalement à leurs préoccupations. Egalement, l’adjoint de François Compaoré, Alpha Yago a dit sur une chaine de télé privée de la place que ce sont des enfants manipulés qui étaient sortis et qu’il a profité les sensibiliser. Quand il a dit manipuler, j’ai ri parce que je savais que ce n’était plus loin. Il n’a pas compris. J’ai ri et j’ai même envoyé un sms à un dignitaire du régime. Je lui ai dit que si le président Blaise Compaoré ne retire pas le projet de loi, les dates des 30-31 seront décisives. J’ai été très clair. Je lui ai dit parce que nous sommes très engagés. Ce n’est pas de l’amusement, c’est une question de vie ou de mort.

Comment et où avez-vous passé les journées des 30 et 31 octobre ?

La date du 30, j’étais derrière la BIB et c’est moi qui coordonnais la zone de Dapoya, Tampouy, Dassasgho, Somgandé, Kossodo. Et, il y a trois autres jeunes qui coordonnaient les autres zones. C’était très bien organisé et on avait les téléphones à l’oreille. Il ne fallait pas qu’on nous prenne. Donc, nous étions en lieu sûr. Et nous avons dit à nos répondants directs sur le terrain : mettez la pression sur la police, prenez les gaz mais mouillez vos habits, s’il faut du beurre de karité, trouvez et mettez ce beurre de karité dans les narines parce qu’il faut tenir. Mais, s’il y a mort d’homme, tout change. S’il y a mort d’homme, nous avions cinq cibles qu’on devait prendre (Assemblée nationale, Azalaï hôtel, RTB télé comme radio, siège du CDP et Kossyam). S’il y a mort d’homme, il n’est plus seulement question de retrait du projet de loi, nous demandons le départ pur et simple du président Blaise Compaoré.
Malheureusement à 8h37 précisément, j’écoutais RFI et j’ai entendu Fatou Diendéré dire qu’ils vont modifier la loi aujourd’hui parce certains veulent de la modification de l’article 37 et d’autres ne veulent pas de cette modification. Au même moment, je venais de voir le premier mort derrière la BIB à côté d’une station essence. Donc, j’ai appelé les autres et je leur ai dit que nous venons de voir le premier mort. J’ai appelé Dimtoumda qui coordonnait aussi la zone de Nemnin, Samandin qui m’a dit qu’ils venaient de prendre le maire de la capitale et son véhicule a été mis à feu. Donc, voilà comment ç’a dégénéré.
Dès lors qu’on a enregistré un premier mort, on a demandé aux coordinations de dire à la foule de se retrouver à la place de la nation. Là, nous avons demandé à ceux qui tenaient des projectiles, des pierres, du bois… de tout jeter. Et à mains levées, nous allons rentrer à l’Assemblée nationale. .

Est-ce que les gens ont accepté facilement de se débarrasser de leurs pierres et autres bois ?

C’était très facile. Quand on a demandé de replier à la place de la nation, en moins de 20 mn, on ne pouvait plus gérer. Il y en avait qui étaient plus pressés que nous parce qu’ils voulaient rentrer à l’Assemblée nationale avant 9h30. A la Place de la Révolution, nous leur avons dit de prendre la direction du Rond-point des Nations-Unies. Si on nous bloque, quel que ce soit le moyen, nous allons arriver à l’Assemblée. Quand on a dit les mains levées, tous ont levé les mains et ont commencé à marcher et quand on est arrivé au siège de Telmob où étaient positionnés des blindés militaires, ils ont commencé à tirer. Il y a eu des morts, des gens sont tombés devant nous. Ils tombaient mais nous disaient de continuer. Ils tombaient mais ils nous disaient « allez-y ». Quand on tirait, nous reculions de 10m mais quand on cessait de tirer, nous avancions de 30m. C’est là que nous avons constaté qu’ils ont fait venir des véhicules à canon à eau. Ils ont commencé à pulvériser les gens. On dit que c’est chaud mais personnellement je n’ai pas senti, seulement ça faisait gratter énormément, mais on a tenu. En ce moment, j’avais perdu mes chaussures, mon chapeau…
Les forces de l’ordre ont reculé parce qu’elles ne pouvaient pas continuer à tirer sur le peuple. Donc, des hommes ont pris leur responsabilité et nous avons pu avoir accès à l’Assemblée nationale. Dès lors que nous avons pu arriver à l’Assemblée, nous sommes rentrés, nous avons dit aux jeunes qu’on avait mis dedans, voilà ce que vous devrez faire.
Et nous avons continué. C’est comme ça que je me suis retrouvé à la RTB-télé où j’ai dit aux agents : disparaissez, parce que nous avons pris l’Assemblée nationale, la prochaine cible c’est ici. Donc, laissez-nous récupérer notre RTB. Je leur ai dit de partir, ceux qui restent, ça n’engage qu’eux et je suis réparti à l’Assemblée nationale.

Il se dit que c’est vous qui avez indiqué le ‘’tunnel’’ qui reliait la RTB-télé au ministère de la communication afin que les manifestants puissent s’en prendre à l’ex-ministre de la communication ainsi que vos anciens collègues, que répondez-vous ?

Dire que c’est moi qui ai indiqué aux gens qu’il y avait un tunnel entre la TNB et le ministère de la communication, ce n’est pas vrai. Les gens savaient. Ce dont je suis au courant, c’est qu’on a voulu prendre le ministre de la communication en passant par la RTB, mais j’ai pu empêcher cela. Je me suis dit que c’est vrai qu’on a eu des morts, mais nous n’allons pas tuer. Donc, j’ai dit qu’on ne va pas rentrer dans le bureau du ministre mais ils n’ont qu’à l’exfiltrer. C’est là qu’ils l’ont mis dans une fourgonnette et ils sont partis. Et nous avons pris ses deux véhicules.
Tout ce que j’ai fait, vous savez qu’au ministère de la communication, il y a un portillon par où on peut passer pour entrer dans la cour de la RTB. Nous sommes passés par là et il y avait des militaires. Nous leur avons dit que nous voulons l’antenne. Ils nous ont dit qu’on ne peut pas avoir l’antenne. Ils m’ont attrapé, ils m’ont tapé, piétiné. Ils ont tabassé tout le monde. J’étais avec Emile Paré et puis un certain Bambara qui est malheureusement décédé par la suite à l’Assemblée nationale.
Mais, nous avons pu avoir accès à l’antenne. C’est là aussi qu’on a déposé Emile Paré. C’est vrai que je titubais, mais j’ai tenu. Quand j’ai pu quitter la RTB, j’ai dit à la foule de venir. C’est là que la foule est rentrée. Il y avait des tirs partout, c’était la folie.
Dire que c’est moi qui ai dit aux gens, ce n’est pas vrai. Adjima David Thiombiano est mon témoin. C’est moi, je l’ai sauvé. Le directeur de la télé, je l’ai poussé parce qu’il ne voulait pas nous montrer le studio que moi-même je connaissais mais sans son autorisation, on ne pouvait pas avoir accès au studio. Il ne voulait pas marcher et je l’ai poussé mais j’ai dit aux manifestants de ne pas le toucher. Vous pouvez lui demander, il est encore en vie. Les manifestants sont venus, ils sont rentrés et ils ont commencé à tout casser. On leur avait demandé de ne pas casser, mais vous savez que les gens en avaient ras-le-bol. La jeunesse voulait s’exprimer et c’est ça qui a conduit au saccage de la RTB.
Adjima David Thiombiano, quand ils sont rentrés dans son bureau, ils ont juste pris ses vestes et autres et moi, je l’ai aidé à partir. Tout comme j’ai aussi aidé le directeur de la télé à partir. Mais, je ne sais pas pourquoi les gens retiennent seulement que j’ai bousculé les gens. Non, on m’a bousculé. Quand vous aurez mes photos, vous pourrez vous rendre compte que je n’avais plus de chaussures. Voilà ce qui est arrivé et que je peux vous décrire un peu, le 30 octobre.

Après la Télé, vous repartez à l’Assemblée et c’est là que votre journée prend fin subitement, racontez-nous cette étape ?

Le 30, on a pris l’Assemblée à 9h25 et on a pris la RTB entre 9h28-29. Dès que je suis réparti à l’Assemblée nationale, on m’a signalé qu’il y a eu mort d’homme à Azalaï hôtel. Effectivement, il y avait un enfant qui était dans la piscine qui, dans la panique, est mort par noyade. Il y a un jeune qui me suivait aussi qui est tombé à Azalaï hôtel. Devant la porte, il a pris des balles. C’est là que moi aussi, des balles m’ont soufflé- je peux vous montrer si vous voulez- et je suis tombé. J’ai fait environ cinq minutes avant de reprendre connaissance et je me suis levé. Je dandinais et ceux qui me protégeaient ont compris. Ils ont vu que ça n’allait pas, ils ont appelé une ambulance qui est venue me chercher. Je suis tombé entre 10h30-11h. Donc, la journée du 30 est finie pour moi. Je me suis retrouvé dans une clinique à Zogona (la clinique du Cœur).
Dans l’ambulance qui nous amenait, il y avait un qui était plus blessé que moi, qui est malheureusement décédé parce que notre ambulance a été attaquée. Parce que les gens se sont rendu compte que les ambulances qui venaient chercher les blessés déposaient également des gaz lacrymogènes.

Vous êtes sûr de ce que vous dites là ?

Si, si. Même des sapeurs-pompiers déposaient des gaz lacrymogènes. Les gens ayant vu ça ne pouvaient pas accepter. Donc, certains attaquaient systématiquement. Ainsi, ils ont attaqué notre ambulance et toutes les vitres sont tombées sur nous.

Votre blessure, c’est à quel niveau ?

C’est à la poitrine (il nous montre la partie qui commence à se cicatriser) et j’ai encore une autre bande un peu en bas, là je ne peux pas vous montrer. Au niveau de la poitrine, je ressens encore la douleur à l’intérieur. Quand je respire fortement, je sens qu’il y a quelque chose qui bouge. Mais, le docteur m’a rassuré qu’il n’y a pas de problème, ça va disparaître bientôt.

Vous avez passé combien de temps dans la clinique ?

J’ai juste fait une nuit. La nuit, j’ai demandé si Blaise Compaoré était toujours là. On m’a dit qu’il était là et qu’il a fait une déclaration où il dit qu’il retirait le projet de loi et qu’il décrétait l’état de siège. J’ai demandé au Docteur si le lendemain je pouvais aller à la place de la révolution et il m’a dit que ce n’était pas possible. Mais, le lendemain, j’ai pu quitter le lit, quand j’ai essayé, je me suis rendu compte que je pouvais marcher. Donc, j’ai demandé au Docteur d’enlever la perfusion parce que je dois rejoindre mes camarades à la place de la révolution. Il m’a dit d’attendre et j’ai attendu jusqu’à 8h. Là, il a débranché tout et ils sont venus me chercher.
Et, il y avait Hervé Ouattara du CAR qui m’a dit que déjà, il était à l’hôtel Palace avec la foule pour arriver à Kossyam. Il a ajouté que si je pouvais, de rejoindre la Place de la Révolution pour gérer là-bas. Dès que je suis arrivé à la Place de la Nation, les militaires m’ont accueilli et m’ont demandé si je peux tenir. J’ai répondu par l’affirmative. Et, on est rentré au camp Guillaume. C’est là-bas que les choses se sont décidées. Ce n’était pas facile mais il fallait tenir parce que l’homme aussi a pris un engagement difficile. C’était un risque mais nous l’avons accompli. Nous avons accepté de mourir, c’était très clair, c’était vaincre ou périr.

Ce 31 octobre, il y avait une cacophonie au niveau de l’armée, étiez-vous sûr de l’issue en ce moment ?

Ce n’était pas sûr que ça puisse marcher parce qu’au moment où on sortait du camp Guillaume, il y avait deux déclarations. Nabéré (ndlr : Gal Honoré Nabéré Traoré) avait déjà fait sa déclaration disant qu’il prenait le pouvoir et Kwamé Lougué aussi s’apprêtait à faire une déclaration. Alors que moi je tenais le discours de Zida. Je tenais le discours parce que j’étais allé à la télé et ils n’ont pas voulu diffuser. Je suis allé à la radio nationale, ils n’ont pas voulu diffuser et je suis revenu avec l’armée au camp Guillaume. Et j’ai dit au colonel voilà la situation. Il m’a dit de repartir. C’est comme ça qu’on m’a ramené et ils ont pris le communiqué avant que je ne revienne au camp Guillaume. Nous n’avons pas pu faire la déclaration à la télé parce qu’ils avaient tout saccagé, il n’y avait plus de caméra. C’est pourquoi nous sommes allés à BF1 entre 1h et 2h du matin. La première déclaration avec les médias internationaux avait été faite plus tôt au camp Guillaume. La 2e déclaration, c’était à BF1 à Ouaga 2000 entre 1h et 2H du matin. Et j’ai pu enfin regagner chez moi entre 3h et 4h du matin.

Comme l’attestent certaines de vos photos au côté du lieutenant-colonel Zida, d’aucuns disent que vous faites partie de ceux qui ont incité l’armée à prendre le pouvoir, le regrettez-vous aujourd’hui vues les critiques qui fusent de partout ?

Nous ne regrettons pas un seul instant le fait que l’armée ait pris ses responsabilités. Les gens doivent savoir qu’à un moment donné, c’était très difficile. Vous avez vu la réquisition supplémentaire spéciale de Luc Adolphe Tiao qui a demandé à ce que les forces de défense et de sécurité utilisent même des armes pour mâter le peuple. A supposer que l’armée ait accepté ça, on aurait assisté à un carnage ! L’armée nous a permis d’éviter ce carnage. Le peuple tenait coûte que coûte à entrer au palais de Kossyam. Nous savons qu’il devrait y avoir un carnage, mais le reste allait rentrer à Kossyam. Quand c’était difficile, nous avons dit à l’armée, vous êtes aussi fils de ce pays, prenez vos responsabilités. Nous n’avons que nos poitrines et nos mains, ça ne suffit pas. Si l’armée a enfin pris ses responsabilités, c’est de son devoir. Donc, nous n’allons pas dire que nous regrettons. Blaise Compaoré a été chassé, humilié. Donc, l’armée a contribué à faciliter l’insurrection populaire et démocratique.

Aujourd’hui, les institutions sont en train de se mettre en place, on vous attendait au CNT, pourquoi vous n’y êtes pas ?

C’est simple. En tant qu’acteur, activiste de la société civile, notre place n’est pas d’aller légiférer. Le rôle de la société civile, c’est d’interpeller, de rester en avant-garde pour dire ce qui va bien et ce qui va mal. Mais si vous-mêmes, vous vous retrouvez à l’intérieur, ce que vous avez critiqué hier risque de vous rattraper.
En plus, on a compris qu’aujourd’hui des gens ont été manipulés par des partis politiques pour envahir ce CNT. Des gens sont venus croyant qu’au CNT, on devient député, avec un véhicule 4x4, un salaire consistant…. Notre combat n’est pas là. Que l’on nous comprenne. Nous aurions pu aller mais peut-être que nous ne pourrions pas nous exprimer de la même manière. Voilà pourquoi notre retrait.

Mais, vous étiez candidat pour y aller au CNT, dit-on…

J’avais mandaté Yamel Yago qui devrait aller au CNT. Mais, comme nous ne nous sommes pas entendus, nous ne nous sommes pas compris et que beaucoup tenaient à faire rentrer plus des gens des partis politiques, nous nous sommes dit que ce n’était pas la peine. Nous allons rester à côté pour pouvoir surveiller et interpeler.

On parle de jugement, d’assainissement du milieu économique, finalement que faut-il attendre de cette transition au Burkina où le temps est relativement court ?

Le gouvernement Zida, avec le président du Faso, Michel Kafando, a la volonté de bien faire. Mais, en douze mois, ce n’est pas évident. Tout ce qu’ils ont dit, c’est bien. Mais quand ils vont commencer, c’est en ce moment qu’ils vont se rendre compte qu’il y a des détails qu’ils n’avaient pas pris en compte au début. Nous parlons de vérité, justice et réconciliation. C’est un lourd dossier qu’ils ont dans la main. Il y a également la réouverture de la tombe de Thomas Sankara. Là aussi, il faut des expertises et des contre-expertises. Ils ont parlé également du dossier Norbert Zongo qui est un dossier important qu’on ne peut pas régler rapidement parce qu’en termes de justice, il y a beaucoup de choses qui rentrent en ligne de compte et que souvent on ne voit pas.
Ce n’est pas facile mais nous avons confiance à ces nouvelles autorités. On dit que l’impossible n’est pas burkinabè. Personne ne viendra encore torpiller nos noms, faire perdre notre intégrité. Dans tous les cas, avec ce qui a été fait, plus rien ne sera comme avant.

Après cette lutte du peuple burkinabè au cours de laquelle vous avez joué un rôle majeur, il semble que vous êtes en route pour le Togo pour y jouer le consultant en matière de lutte, vous confirmez ?

Ce sont des Togolais qui m’ont invité. Ils sont venus au Burkina. Ils m’ont demandé si je peux venir au Togo pour partager l’expérience du Burkina. C’est sûr que ce sont des médias qui vous ont donné l’information. Ce sont des médias qui ont amené ces gens-là vers moi. Et j’ai dit que ça ne pose pas de problème. Si l’invitation est là, je vais au Togo. Je vais donner l’expérience que j’ai vécue et ça s’arrête là. Et je ne suis pas seul. Il y a le président du CAR aussi qui va au Niger et qui devrait continuer au Tchad. C’est juste un échange d’expériences en matière de lutte.

Quel message avez-vous à l’endroit des présidents africains à qui on prête l’intention de vouloir tripatouiller les constitutions de leurs pays ?

On ne peut pas parler de démocratie, de développement tant que des gens choisissent de régner sur les autres à vie. On ne peut plus accepter qu’un président reste au pouvoir plus de 20 ans, ça ne nous mène nulle part. Nous allons dire à tous ces « préfets » que la jeunesse de l’Afrique n’est plus prête à souffrir, à passer le temps à accuser l’Occident alors que nos ennemis sont parmi nous. Tous les peuples africains sont aujourd’hui dans cette dynamique. Vous venez faire une période donnée et vous partez. Si vous avez bien travaillé, on renouvelle votre mandat une fois. Mais si vous n’avez pas bien travaillé, ça n’engage que vous, vous quittez.
Nous demandons aux présidents africains d’accepter qu’après eux, c’est d’autres et non après eux c’est eux-mêmes. Donc, qu’ils comprennent qu’ils n’ont plus le soutien de la communauté internationale.

Aujourd’hui, vous revenez de l’enterrement de six martyrs tombés au cours de cette insurrection, un mot à leur endroit ?

Je demande une minute de silence… merci. Ils ne sont pas tombés pour rien. Dans le jargon africain, on dit que ce sont les morts qui nous voient, nous ne les voyons pas. Nous voulons leur dire qu’ils ne seront jamais trahis ou trompés. Plus rien ne sera comme avant au Burkina Faso. Nous avons fait cette insurrection pour les peuples à venir, pour nos enfants, les enfants de nos enfants. Ce combat qu’ils ont accepté de mener et ils sont tombés, nous disons qu’ils sont morts pour une cause juste, noble.

Et nous demandons que justice soit rendue. Et, elle va se faire parce que nous avons foi aux nouvelles autorités qui sont là, nous croyons en elles. Nous savons que justice va se faire d’ici là. Nous demandons également que les familles de ces héros-là soient indemnisées. Ce n’est pas facile de perdre quelqu’un. Mais, ç’a été pour une cause très juste. Il fallait le faire, il fallait l’accepter. Que leurs âmes reposent en paix !

Entretien réalisé par Moussa Diallo et Cyriaque Paré
Lefaso.net

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