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Le Burkina Faso de Michel Kafando. Chronique d’une transition « d’exception » (13)

Publié le mercredi 3 décembre 2014 à 06h17min

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Il y a l’enthousiasme des premiers jours où tout est possible. Et où on se gargarise de mots. Puis les lendemains de ces jours-là où on prend conscience de l’immensité de la tâche à accomplir et de la faiblesse des moyens. Enfin, il y a le temps qui passe. Vite. Très vite. Il y a plus d’un mois déjà que Blaise Compaoré a démissionné. Un président du Faso a été désigné, puis un premier ministre ; un gouvernement a été formé ; un Conseil national de transition (CNT) s’est constitué et a élu son président. Ce sont là les bulles de la flûte de champagne que l’on déguste après la victoire.

Mais les bulles ont vite fait d’éclater à la surface du verre et, au final, après les abus, on se réveille avec la gueule de bois. 31 octobre 2014, chute de Compaoré ; 17 novembre 2014, accession de Michel Kafando au pouvoir ; 19 novembre 2014, désignation de Yacouba Isaac Zida comme premier ministre ; 23 novembre 2014, formation du gouvernement de la transition ; 27 novembre 2014, élection de Chériff Sy comme président du CNT. Voilà les bulles.

Dix jours se sont écoulés depuis la formation du gouvernement, déclenchant le compte à rebours d’une transition qui en compte 365. Prendre ses repères, nommer ses collaborateurs, comprendre le fonctionnement d’un appareil étatique et gouvernemental dont les principaux rouages ont disparu. Il faut rassurer des opérateurs économiques (dont quelques uns ont fait les frais des manifestations), qu’après avoir été dans le collimateur des « casseurs », ils ne seront pas dans celui de l’administration et de la justice : au Burkina Faso, comme ailleurs en Afrique, il y a l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre le monde des affaires et le monde politique !

Il faudra convaincre, aussi, les investisseurs et bailleurs de fonds – et ce sera difficile – que le Burkina Faso ne passera pas son temps à régler les comptes politiques du passé plutôt que de régler les factures en suspens qui s’accumulent. Des secteurs de l’activité économique sont par terre, notamment le tourisme, l’hôtellerie, la restauration… Quant aux partenaires internationaux du Burkina Faso, ils sont vigilants pour ce qui est de l’évolution de la situation. L’état-major français étudie les conditions dans lesquelles sa base arrière GFS (Groupement de forces spéciales) et TF (Task Force) Sabre, implantée depuis 2010 à Ouaga, pourrait être rapatriée sur Niamey « en cas d’évolution préjudiciable aux intérêts de la France ». Même les Touareg maliens ont été contraints de se repositionner dans la capitale du Niger.

Quant à l’image du « Pays des hommes intègres », déjà écornée par les « mutineries » de 2011, elle ne sort pas valorisée du renversement du régime en place par des manifestants qui se réclament haut et fort de Sankara, capitaine qui se voulait communiste et révolutionnaire et qui n’a pas laissé le meilleur souvenir à la communauté ouest-africaine, à la communauté internationale et surtout pas aux opérateurs économiques (même si, comme toujours, les riches commerçants burkinabè ont su s’accommoder d’un régime qui, pourtant, affirmait refuser les accommodements). Il ne faut pas laisser la population ouagalaise se leurrer : elle peut bien danser la carmagnole aujourd’hui, il est sûr et certain que la prochaine équipe au pouvoir en 2015 sera « mondialiste ». Comment faire autrement, sauf à retomber dans l’isolement dans lequel le « sankarisme » avait confiné la Haute-Volta dès le 4 août 1983 ; il est vrai que l’air du temps était plus favorable alors à ce type d’expérience qu’il ne l’est aujourd’hui.

« L’affaire Adama Sagnon », du nom ce ministre qui, aussitôt nommé, a été obligé de se démettre sous la pression populaire (cf. LDD Burkina Faso 0457/Mardi 25 novembre 2014), montre que la marge de manœuvre des autorités est étroite. D’autant plus étroite que le pouvoir politique est aujourd’hui composé d’électrons libres (les leaders politiques en sont absents) face au bloc de l’armée qui s’est rassemblée dès lors qu’elle était appelée à participer à la gestion des affaires publiques. Quand Zida s’est déplacé ce week-end (29-30 novembre 2014) à Bobo Dioulasso et à Dédougou (où sera célébrée la fête de l’indépendance le 11 décembre 2014), c’était en uniforme et en compagnie des colonels qui sont membres de son gouvernement. « Un Premier ministre bien dans son treillis militaire » a commenté la presse !

A écouter Zida, « la transition aura échoué si elle ne parvient pas en fin 2015 à améliorer les conditions de vie des Burkinabè, à réformer en profondeur les secteurs de la santé, des mines, de l’éducation, de la justice, de l’emploi des jeunes, de financement des activités rémunératrices des femmes, du système de production agricole, de la commercialisation des productions agricoles, etc. »*. Il a répliqué « à ceux qui estiment qu’il prend des engagements très osés qu’il ne pourra pas tenir […] qu’il n’est pas un politicien en quête de voix ». Sauf que l’on demande de la cohérence à cette transition qui associe des hommes sans parti et des hommes en uniforme.

Michel Kafando, qui ne cesse d’entendre ce discours depuis qu’il a nommé Zida à la primature, a tenu à le réfuter dans un entretien accordé à Marc Perelman de France 24 (diffusé le lundi 1er décembre 2014). « Il n’y a aucune ambiguïté, aucun dualisme, aucun bicéphalisme » à la tête de l’Etat a assuré le président du Faso. « C’est le président de la transition qui fixe les orientations, qui donne les instructions au gouvernement qui gouverne et exécute ». Il a ajouté que le Premier ministre « a une mission claire et précise ». « Nous savons ce que nous voulons. Nous savons où nous allons » a-t-il ajouté, considérant que « ce qui nous attend est beaucoup plus important » que cette opposition civils-militaires que les commentateurs évoquent.

Il est vrai que Zida s’est illustré en évoquant la « volonté de l’ex-président de s’éterniser au pouvoir avec même l’éventualité de le léguer à sa fille Djamila » mais également en confirmant son intention de demander l’extradition de Compaoré et en réaffirmant que des entreprises pourraient être nationalisées (« Ce qui a été construit avec l’argent du peuple doit revenir au peuple »). Le président Kafando, dans son entretien avec France 24, est resté dans la mesure. Il a rappelé qu’il y avait, au niveau de la justice, des dossiers en suspens qu’il faudra régler et que le message de la transition est clair : « corriger l’injustice sociale » et en finir avec l’impunité. Au sujet de Blaise, il est dans la réserve : « C’est un dossier qui n’est pas très urgent. Il faut prendre le temps. Ce n’est pas notre priorité ».

Kafando redit que son objectif est de « mener notre mission à bon port », ajoutant : « en douze mois, c’est vraiment difficile ». La transition ne saurait être une rectification et moins encore une révolution. Dans les propos, le réalisme de Kafando tranche parfois avec le volontarisme de Zida qui, surfant sur les « idéaux » de la « révolution » sans prendre en compte les contraintes internes et externes des politiques publiques, a tendance à dire tout : « Vous pouvez être sûrs que nous n’allons pas organiser une chasse aux sorcières », et le contraire de tout : « Si sur la base des dénonciations [des corrompus par la population burkinabè], nous avons des noms qui sont cités, la police va aller à leur trousse »**.

Il a fallu quatre ans, de 1987 à 1991, pour passer, à la suite de la « Rectification », de l’Etat d’exception à l’Etat de droit régi par la Constitution. Mais il faudra bien moins de temps pour passer de l’Etat de droit (même si c’est un droit biscornu) à l’Etat d’exception.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

* Site officiel du gouvernement : Premières sorties de Son Excellence, Y. I. Zida à la rencontre des forces vives à Bobo Dioulasso et à Dédougou, lundi 1er décembre 2014.

** Entretien du premier ministre avec six médias publics et privés le jeudi 27 novembre 2014. Retranscription assurée par Eliane Trazongodo et Franceline Kabré, publiée par Le Quotidien le dimanche 30 novembre 2014 sous le titre : Le Premier ministre Isaac Zida : « Nous allons travailler à ce que les Burkinabè aient un standard de vie acceptable ».

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