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Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

Publié le dimanche 7 décembre 2014 à 08h05min

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Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

Fille d’un opposant politique haïtien réfugié au Québec, la nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a connu l’exil, la privation avant de s’imposer dans son pays d’adoption en tant que journaliste vedette et femme politique de premier plan. C’est le président français François Hollande qui a attiré l’attention de ses pairs francophones sur les qualités de sa candidature, après avoir proposé le poste à Blaise Compaoré, qui l’avait refusé peu avant sa destitution. Avec Michaëlle Jean, c’est une figure aux antipodes de celle de l’ancien homme fort de Ouagadougou qui accède aux manettes de la Francophonie institutionnelle.

« Je mesure la tâche qui m’attend et je veillerai à prendre grand soin de l’héritage que nous lègue le président Diouf. J’entends répondre aux besoins et aux attentes des Etats et gouvernements membres de l’OIF tout en donnant une nouvelle impulsion à la Francophonie… » C’est avec ces mots que la Canadienne Michaëlle Jean a accueilli, le 30 novembre, l’annonce de sa nomination à la tête de la Francophonie. Poste prestigieux que la candidate d’Ottawa et de Montréal a remporté de haute lutte, bataillant ferme contre ses concurrents et plaidant pour une « francophonie moderne et tournée vers l’avenir ». La nouvelle élue, 57 ans, d’origine haïtienne, incarnera désormais la voix et le visage de la Francophonie.

Règle non écrite

C’est une grande première pour cette organisation francophone qui n’a connu au cours de ses quarante-quatre années d’existence que des « pères fondateurs » et n’a eu aux manettes que des patriarches et jamais de femme. La nomination d’une femme, ressortissante d’un pays du Nord de surcroît, contrevient aussi à la règle non écrite que le secrétaire général de l’OIF doit être un Africain. D’aucuns diront que c’est une « chasse gardée » africaine !

Michaëlle Jean n’en a cure. N’a-t-elle pas été la première journaliste noire à la télévision publique canadienne ? Etre noire et issue de la minorité ne l’a pas empêchée d’occuper des fonctions de premier plan dans son pays. C’est une accoutumée des terrains interdits, habituée aussi à repousser les murs des structures mentales que nous nous imposons. Bardée de diplômes, polyglotte (elle parle couramment cinq langues), militante féministe, journaliste et universitaire, Mme Jean a toujours su s’élever au-dessus des clichés de la race et du genre, s’imposant par sa vaste culture et son autorité naturelle de femme de conviction.

L’intérêt de la Canadienne pour la francophonie ne date pas d’hier. Née en Haïti et ayant grandi au Québec, elle a baigné dans la langue française depuis sa plus petite enfance. Nièce du poète-romancier haïtien René Depestre, elle cite ses poèmes de mémoire et voue une admiration sans bornes à Aimé Césaire. « Je suis du Nord et du Sud. Mes ancêtres africains sont " véritablement les fils aînés du monde " », aime-t-elle répéter citant le poète martiniquais.

Elle s’est frottée aussi à la Francophonie institutionnelle, notamment lorsqu’en 2012 Abdou Diouf l’a nommée « grand témoin » pour les Jeux olympiques et paralympiques de Londres, avec pour mission de promouvoir la langue française dans les manifestations sportives internationales. Son arrivée aujourd’hui à la tête de l’OIF est aussi la conséquence logique de la campagne très active qu’elle a menée pour expliquer sa vision de ce qu’elle appelle « la Francophonie des possibles ». Sa jeunesse, son énergie ne sont peut-être pas étrangères au consensus qui s’est dégagé autour de sa personne au Sommet de la Francophonie de Dakar (du 29 au 30 novembre) où les chefs d’Etat et de gouvernement membres de l’OIF étaient appelés à choisir le successeur d’Abdou Diouf.

Différences

Un monde de différences sépare toutefois Michaëlle Jean de celui qu’elle remplacera à partir du 1er janvier prochain au 19-21 avenue Bosquet, siège de l’OIF à Paris. L’un est Africain, parfaitement rôdé dans l’art du déchiffrement de la diplomatie complexe du continent noir, qui est en train de s’imposer, la démographie aidant, comme le cœur de l’espace francophone. L’autre est Canadienne, pétrie de l’ethos nord-américain.

En 1968, lorsque la jeune Michaëlle n’avait que 11 ans, la famille Jean a fui Haïti pour se réfugier au Québec, échappant au régime dictatorial des Duvalier. Son père, directeur d’école, avait été arrêté et torturé par les Tontons macoutes pour avoir contesté la politique du gouvernement. Il est sorti de prison, défiguré, ses vêtements maculés du sang de son compagnon de cellule mort en détention.

L’exil va se révéler être une chance pour la famille Jean. Elle se plaît dans la Belle Province où les enfants peuvent poursuivre leurs études avec succès. La maîtrise en poche, la jeune Michaëlle Jean s’est lancée dans une brillante carrière de journaliste à la télévision publique canadienne, avant d’être nommée en 2005 par le Premier ministre de l’époque 27e gouverneure générale du Canada, représentante de la reine Elisabeth, chef d’Etat en titre.

Le gouvernorat général est un poste largement honorifique et protocolaire, mais il a permis à celle que ses concitoyens appelaient affectueusement la « Petite Reine » de parcourir, en sa qualité de chef de l’Etat et commandant en chef de l’Armée, une quarantaine de pays étrangers, et surtout de découvrir l’Afrique. Plus tard, devenue, au terme de son mandat de gouverneure générale, chancelière de l’université d’Ottawa, elle a mis en place une politique de coopération éducative très active avec les universités africaines. Elle a aussi été envoyée spéciale de l’Unesco en Haïti afin de superviser la reconstruction du pays après le séisme dévastateur de 2010.

Fille d’Afrique

Selon les proches de Michaëlle Jean, plus qu’une ambition personnelle, c’est la découverte de l’Afrique qui expliquerait la venue à la Francophonie de la Canado-Haïtienne qui aime se définir comme « arrière-arrière-arrière-petite-fille d’esclaves ». Elle a souvent déclaré combien elle est toujours émue d’être reçue pendant ses déplacements sur le continent « comme une sœur, comme une fille d’Afrique ». Alors, elle s’est lancée dans la campagne, sans toutefois oublier que sa connaissance de l’Afrique politique demeurait déficitaire, notamment par rapport à ses quatre concurrents (le Congolais Henri Lopes, le Burundais Pierre Buyoya, le Mauricien Jean-Claude de L’Estrac et l’Equato-Guinéen Agustin Nze Nfumu). Pour combler ses lacunes, elle a fait campagne tambour-battant, au cours des six derniers mois, dans tous les pays africains qui comptent, rencontrant les chefs d’Etat, mais aussi la société civile.

Ses visites à travers l’Afrique mais aussi sur les autres continents où le français reste encore vivace, permettront à la candidate de peaufiner son projet pour la Francophonie. C’est un projet axé sur le développement économique et sur l’éducation comme « arme de construction massive ». L’ambition de Michaëlle Jean est aussi de donner la parole aux femmes et la jeunesse, comme elle le fait déjà au sein de la fondation qu’elle a créée avec son mari d’origine française, il y a trois ans, pour aider les jeunes en difficulté à travers des programmes axés sur l’art et la culture. Elle pourra étendre cette expérience à l’ensemble de l’espace francophone dont elle a désormais la destinée entre ses mains, au moins pendant les quatre prochaines années.

Pour autant, le « Petite Reine » aurait tort de faire la fière. Ce n’est apparemment pas le genre. La légende veut que, lorsqu’en 2005, le Premier ministre canadien Paul Martin est venu lui proposer le poste de gouverneur général, Michaëlle Jean était en train de préparer sa nouvelle saison pour la télévision publique où elle officiait depuis plus de dix-huit ans. Elle était flattée, mais pour ne pas avoir la grosse tête, elle s’est mise à noter sur une feuille de papier la liste de noms de personnes qu’elle pensait capables tout autant qu’elle pour occuper ces fonctions. « Puis j’ai réfléchi, a-t-elle expliqué dans une récente interview. Pourquoi pas moi, en effet ? »

L’histoire ne dit pas quelle fut sa réaction dimanche dernier en apprenant sa nomination à la tête de la Francophonie. Elle s’était peut-être retirée pour établir la liste d’autres secrétaires généraux possibles, avant d’aller se joindre sagement à la fête organisée par son équipe de campagne. En effet, pourquoi pas elle ?

Tirthankar Chanda
www.rfi.fr

Michaëlle Jean en 5 dates :

1957 : naissance à Port-au-Prince en Haïti.
1968 : départ en exil et installation au Québec.
1988 : début de sa carrière comme journaliste à Radio-Canada.
2005 : inauguration du mandat de la 27e gouverneure générale du Canada.
2014 : élection au poste de secrétaire générale de l’OIF.

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Vos commentaires

  • Le 7 décembre 2014 à 11:23, par Konkona En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    Le président Hollande allait commettre une erreur très grave si le poste avait été accepté par Blaise COMPAORE. Lisons bien dans les lignes des missions de la Francophonie. Un Monsieur comme Blaise COMPAORE ne pouvait pas jouer ce rôle si il y a sincérité. Donnons de la valeur aux hommes et femmes qui se sont véritablement investis pour le bonheur de l’humanité. Blaise n’a fait que trahir, tuer, endeuiller des familles, séparer des familles (femme séparée du mari, enfant séparé de son père, maman séparée de son fils etc...), punir une jeunesse pendant 27 ans ;. La liste est longue et tout ça, pour rester au pouvoir. Comment peut ont confier une telle mission à un tel homme ? Soyons sérieux.
    Je souhaite plein succès à cette brave dame qui a beaucoup de qualité et qui sait écouter. Je suis certain que le Grand Président Abdou DIOUF lui apportera tout le soutien nécessaire. Toute l’Afrique vous soutient Madame la Secrétaire Générale et quand je parle de l’Afrique, je ne parle pas de ces chefs d’Etats pourris. Je parle des peuples africains. Demandez nous, et nous serons là à vos côtés. Que Dieu vous bénisse. Les dignes fils du Burkina qui sont actuellement unis dans la lutte libérateur, vous souhaite plein succès. Demander SVP au Président DIOUF de réitérer ses conseils à Monsieur Michel KAFANDO avant de partir. Il doit écouter son peuple et ne pas oublier que le pouvoir lui a été confié par le peuple et non par les militaires.

  • Le 8 décembre 2014 à 07:56, par Kôrô Yamyélé En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    - Madame, le sourire charmeur ne donne pas des résultats ! Montrez plutôt vos biceps car le travail est énorme ! Merci.

    Par Kôrô Yamyélé

  • Le 8 décembre 2014 à 08:03, par Kôrô Yamyélé En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    - KONKONA, Blaise COMPAORÉ lui-même savait qu’il ne pourrait pas et voilà pourquoi il répondu à répondu au président HOLLANDE que : ’’Je n’ai ni le profil, ni la compétence’’.

    Par Kôrô Yamyélé

  • Le 8 décembre 2014 à 09:39, par Konkona En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    Kôrô Yamyélé digne fils du Faso, tu as raison mais il ne fallait même pas que l’idée passe par la tête du Président Hollande. A force de faire semblant, Blaise se croirait toujours important et se dira que personne n’est au courant de ses montages machiavéliques.

  • Le 8 décembre 2014 à 11:11, par siting bull En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    bonne chance à toi madame dans cette très lourde mais noble mission du soutien il y en aura de tout côté courage

  • Le 8 décembre 2014 à 15:42, par Kaboré Tanga En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    Toutes mes félicitations et mes sincères vœux de succès à madame Michaëlle Jean, digne "fille" d’Afrique. En toute objectivité et sans nier la qualité, l’expérience et la compétence de ses concurrents, je crois qu’il n’y avait pas meilleure ambassadrice et meilleure incarnation de la francophonie qu’elle. Si son élection a pu déplaire à quelqu’un, ce sont bien les dirigeants africains qui n’ont jamais fini les calculs et les querelles d’égaux. Madame Michaëlle Jean était le choix de la masse, vue son profil et son enthousiasme contagieux. A 57 ans, elle est rayonnante de jeunesse et débordante d’énergie au point de crever l’écran comme on le dit. Puisse les mânes des ancêtres et la terre bénie d’Afrique la protéger et la guider dans sa noble mission.

  • Le 8 décembre 2014 à 19:37 En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    hUMM restez là à rêver de francophonie pendant que même google est disponible en haoussa et en swahili..qui viendra défendre nos langues lorsque tous nos enfants ne parleront que le français ?c’est toujours les peuples sans repères qu’on manipule raison pour laquelle 90% des pays colonisés par la france sont sous développés en guerre bref toute la merde mondiale y est concentrée Voilà pourquoi certains président visionnaire comme kagamé ont rejoint le Commonwealth et depuis regardez comment le rwanda avance ..nous ici au burkina continuons de lécher les bottes des français tchrrrrrrrrrr peuple voué à l’échec !!

  • Le 8 décembre 2014 à 22:25, par dibi En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    C’est bien triste de constater que nombre de colonisés et nègres d’Afrique, n’ont pas encore compris que la Francophonie est plus que jamais une structure de débilitation et de domination néocoloniale françafricaine ; qu’elle est l’organe de pilotage de déstructuration culturelle de nos sociétés ; de fragilisation néocoloniale de nos Etats.
    Voilà pourquoi, après Abdou Diouf, après tant d’autres recasés là, Hollande et les autres maîtres occidentaux missionnés à casser la colonne vertébrale de l’Afrique, Hollande et les autres, dis-je, avaient pressenti le satrape et criminel Blaise Compaoré pour occuper le poste au lieu de la dame-immigrée du Canada. Mais ce criminel et vendu a été assez stupide et borné dans sa gestion erratique, mafieuse et criminelle du Burkina-faso qui a fini par le vomir définitivement dans les poubelles de l’histoire. Ce qui rendait caduque sa candidature.
    Hontes donc à tous ces politiciens africains, prédateurs vendus à l’Occident ; et qui, après avoir trainé leurs peuple dans la misère et la régression sociale, se retrouvent à servir, comme fonctionnaires français, le rayonnement d’une politique impérialiste ; avec cette doublement mission : tuer et fossiliser les cultures et les nations d’Afrique.

  • Le 8 décembre 2014 à 22:26, par dibi En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    C’est bien triste de constater que nombre de colonisés et nègres d’Afrique, n’ont pas encore compris que la Francophonie est plus que jamais une structure de débilitation et de domination néocoloniale françafricaine ; qu’elle est l’organe de pilotage de déstructuration culturelle de nos sociétés ; de fragilisation néocoloniale de nos Etats.
    Voilà pourquoi, après Abdou Diouf, après tant d’autres recasés là, Hollande et les autres maîtres occidentaux missionnés à casser la colonne vertébrale de l’Afrique, Hollande et les autres, dis-je, avaient pressenti le satrape et criminel Blaise Compaoré pour occuper le poste au lieu de la dame-immigrée du Canada. Mais ce criminel et vendu a été assez stupide et borné dans sa gestion erratique, mafieuse et criminelle du Burkina-faso qui a fini par le vomir définitivement dans les poubelles de l’histoire. Ce qui rendait caduque sa candidature.
    Hontes donc à tous ces politiciens africains, prédateurs vendus à l’Occident ; et qui, après avoir trainé leurs peuple dans la misère et la régression sociale, se retrouvent à servir, comme fonctionnaires français, le rayonnement d’une politique impérialiste ; avec cette doublement mission : tuer et fossiliser les cultures et les nations d’Afrique.

  • Le 14 décembre 2014 à 10:40, par Ouedraogo Pierre En réponse à : Michaëlle Jean ou « la Francophonie des possibles »

    pour la francophonie , la nomination de cette femme semble raisonnable. Faisons confiance en elle pour voir jusqu’ou
    elle amènera la francophonie.

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