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Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (2)

Publié le mercredi 19 novembre 2014 à 21h12min

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Le Burkina Faso de Michel Kafondo. Chronique d’une transition « d’exception » (2)

« Le bon sens a prévalu au Burkina Faso, même si, devrait-on dire, il a fallu le chercher, et surtout trouver les bons arguments ». C’est Mohamed Larbi qui, dans le quotidien algérien El Watan, s’enthousiasmait ainsi hier, mardi 18 novembre 2014. Il ajoutait : « Il y a tout de même une prouesse politique à ce point rare en Afrique, et même inédite, que l’UA l’a accueillie avec satisfaction.

Il s’agit de la désignation, dimanche, d’un président intérimaire, à savoir l’ancien diplomate Michel Kafando choisi par un collège de civils et de militaires après une nuit de discussions à Ouagadougou […] Ce qui veut dire que la transition aura duré une quinzaine de jours, une durée exceptionnellement courte, quand nombre de Burkinabè craignaient un coup d’Etat militaire et le retour des militaires au pouvoir ».

Cet hommage de la presse algérienne à la résolution de la crise politique déclenchée par une insurrection populaire les 30-31 octobre 2014 ne saurait ni étonner ni surprendre. C’est d’abord que ces derniers jours l’Algérie est, une fois encore, interloquée par l’état de santé de son président, Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, âgé de 77 ans et sérieusement malade depuis plusieurs années déjà ; à tel point qu’on se pose la question de savoir dans quelle mesure il est encore capable de gouverner. « Boutef » était dans une clinique de Grenoble ces derniers jours, sans que l’on sache s’il y venait pour mourir ou pour des examens médicaux. Alger n’est pas Ouagadougou et l’Algérie n’est pas, au plan économique, le Burkina Faso : c’est un pays producteur de pétrole et de gaz qui compte 40 millions d’habitants (17 millions au Burkina Faso) et dont le PIB/hab. est de 5.360 dollars quand il n’est que de 684 dollars au Burkina Faso. Il n’empêche que « la question du pouvoir » et, plus encore, celle de la transparence politique (notamment en ce qui concerne l’état de santé du chef de l’Etat) n’ont toujours pas de réponses en Algérie et que c’est en France, ancienne puissance coloniale, que son président va se faire soigner !

Ce que veut, aussi, faire remarquer El Watan, c’est que le Burkina Faso a résolu une crise politique majeure – résolution par la classe politique et non pas uniquement par l’armée – en à peine plus de deux semaines sans ingérence étrangère ; ce qui n’est pas une pratique africaine courante. Côte d’Ivoire, Guinée Conakry et Guinée Bissau, Mali, Niger, Togo… l’Afrique de l’Ouest n’est pas un modèle en matière de résolution « interne » des crises politiques. On notera d’ailleurs que Gbagbo est à La Haye, en attente de son jugement par la CPI, que ATT est réfugié au Sénégal, que Wade s’est installé en France alors que son fils, ex-ministre d’Etat, est emprisonné à Dakar, que Tandja a connu la prison dans son pays et doit encore répondre de ses actes devant la justice, et voilà que Blaise Compaoré a, à son tour, pris la route de l’exil. « En fin de compte, écrit Larbi, le Burkina Faso et tant d’autres Etats africains doivent passer à autre chose. Ce ne pourrait être possible sans que soit réglée la question du pouvoir. Normal, quand on est dans la liste peu enviable des PMA (pays les moins avancés), un euphémisme pour désigner les plus sous-développés, alors que les Burkinabè entendent fuir ce qui n’est en aucun cas une fatalité, mais bien un échec de l’homme ». Larbi pose ainsi les vraies questions : à quoi doit servir le pouvoir et, le sachant, comment l’exercer ?

Michel Kafando, qui n’est pas encore entré dans « le corridor des tentations », a des réponses à ces questions. D’abord la « sacralisation » de la fonction présidentielle. Qui n’a rien à voir avec la distanciation à laquelle s’était habitué Blaise Compaoré, lassé sans doute plus qu’il ne voulait le reconnaître, d’exercer le rôle de président du Faso dans un contexte affairo-politique particulièrement dégradé, loin des idéaux de la « Révolution » et de la « Rectification ». Ensuite, « l’humilité ». « Humilité de quelqu’un qui n’est là que pour une période transitoire, a souligné Kafando dans son discours à l’issue de sa prestation de serment devant les membres du Conseil constitutionnel. L’humilité de quelqu’un qui est conscient que le pouvoir qu’il détient appartient au peuple. Et que, de ce fait, son exercice ne doit souffrir d’aucun abus, d’aucun excès ». Il ajoutera, pour faire bonne mesure et rappeler pourquoi il se trouve à exercer la fonction de président du Faso de manière inattendue : « Faute d’avoir observé cette suprême vérité, des pouvoirs politiques, même érigés en forteresses, ont définitivement scellé leur destin ». « L’autorité » aussi qui, a-t-il dit, sera incarnée par le gouvernement et le Conseil national de transition ; mais cette « autorité » est aussi celle que définit « l’ordonnancement juridico-politique de notre pays ». D’où, enfin, le « respect ». Celui de la Constitution et de la charte de la transition. « La Constitution d’un pays est le référentiel de l’organisation de l’Etat. A trop la mouvementer, il s’en suit une déstructuration sociale et, partant, des bouleversements regrettables comme ceux que nous avons connus, il n’y a pas longtemps ».

Le président du Faso ne veut pas être un chef d’Etat ne prenant pas en compte les conditions dans lesquelles il s’est trouvé porté au pouvoir (une faille que n’a pas su éviter Ibrahim Boubacar Keïta au Mali). « Notre pays ne saurait être une république bananière ». Dans un premier discours officiel, de la part d’une personnalité dont la retenue est diplomatiquement avérée même s’il n’est pas du genre à mettre son point de vue dans sa poche, le propos est cruel. Mais fondé : « A partir de la douloureuse expérience que nous venons de vivre avec le fameux article 37, voué aux gémonies, nous avons les yeux ouverts. La jeunesse burkinabè a les yeux ouverts. Les femmes burkinabè ont les yeux ouverts. Et plus rien ne sera comme avant s’agissant du respect scrupuleux de l’ordonnancement juridico-politique de notre pays ». A bon entendeur salut : les jeunes et les femmes burkinabè étaient dans la rue et la « forteresse » du pouvoir politique n’a pas résisté à cet assaut populaire. L’histoire peut se répéter !

Fin de parcours, donc, pour le lieutenant-colonel Isaac Zida. Fin de parcours en tant que chef d’Etat. « Aujourd’hui, a-t-il déclaré, je suis notamment heureux, deux semaines après avoir assumé les hautes charges de l’Etat. Nous pensons que nous avons réussi notre mission qui était donc de pouvoir transférer le pouvoir aux civils et donc dans un Etat paisible. Nous avons le sentiment d’avoir réussi cette mission ». Une « réussite » reconnue par le président Kafando : « Notre armée a joué un rôle essentiel dans la stabilisation que nous connaissons actuellement […] Moi, je dis que l’armée doit avoir sa place dans le futur gouvernement que nous aurons à mettre en place à partir de demain. Et moi, personnellement, je ne serai pas contre que le lieutenant-colonel Zida puisse jouer un rôle dans la stabilisation même de ce pays et qu’il puisse véritablement avoir une ambition de premier ministre. Je serai particulièrement enclin à dire que si telle était son ambition, pourquoi ne pas le prendre en compte ? ».

Reste à connaître le point de vue sur la question des leaders politiques. Au cours des deux semaines passées, les partis ont fait profil bas. Au nom du consensus nécessaire à la sortie de crise. Leurs responsables ont été plus ou moins présents dans la rédaction de la « charte de la transition » qui a finalement « raboté » leurs positions idéologiques. La formation du gouvernement, annoncée pour ce soir, la désignation des membres du CNT annoncée pour demain, va faire resurgir les ambitions des uns et des autres sans que jamais ne soit perdue de vue l’échéance 2015, plus que jamais ouverte : cette fois c’est sûr, il n’y aura pas de « sortant ». Mais il y aura, par contre, deux nouveaux acteurs politiques majeurs : l’armée, d’une part, dont les mérites « démocratiques » viennent d’être publiquement reconnus ; la société civile d’autre part qui a pris conscience qu’elle peut peser de tout son poids dans l’Histoire du pays.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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