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Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (7)

Publié le vendredi 7 novembre 2014 à 18h54min

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Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (7)

Une semaine sans Blaise Compaoré. Déjà ! Le devenir du Burkina Faso nouveau est toujours virtuel ; mais, peu à peu, la situation se décante. Dans le dialogue et la concertation. De manière « inclusive » bien sûr puisque ce mot fait désormais « partie intégrante » de tous les discours en Afrique francophone. Si le « changement, c’est maintenant », il est bien évident qu’il ne sera pas probant rapidement.

Depuis le 15 octobre 1987, Blaise était au pouvoir. Ce qui signifie que les personnalités de premier plan ayant compétence, expérience et crédibilité nationale et internationale ont toutes été formatées au cours des années Compaoré. Et c’est là que le bât blesse. Un « protocole de cadrage de la transition » a été élaboré par l’armée et soumis aux acteurs politiques et sociaux burkinabè ainsi qu’aux chefs d’Etat de la Cédéao qui ont fait le déplacement à Ouagadougou. Yacouba Isaac Zida a annoncé, dans sa conférence de presse du jeudi 6 novembre 2014, que l’objectif était la nomination urgente d’une « éminente personnalité civile » pour présider la transition dans la perspective de la formation d’un gouvernement de… transition jusqu’à l’organisation des élections présidentielle et législatives de novembre 2015 (autrement dit à la date prévue initialement). Il n’en reste pas moins qu’il ne sera pas facile de trouver l’homme qu’il faut.

Compétence, expérience, crédibilité nationale et internationale mais également apte à contenir les débordements de l’armée (on sait que les militaires, quand ils sauvent la mise des civils, aiment ne pas être dépossédés des prérogatives qui sont celles du pouvoir) et de la jeunesse qui en a marre d’être frustrée. Il était facile de mobiliser les Burkinabè de Ouaga et de Bobo « contre » le régime en place (le succès des « marches » organisées depuis plusieurs années l’a démontré) ; il sera plus difficile d’obtenir un consensus « pour » quoi que ce soit. La première difficulté est de former ce « collège » de « personnes dont la probité est irréprochable » qui aura la charge du choix de la « personnalité consensuelle ».

Ensuite, si l’armée assure vouloir garantir « la protection des droits des personnes et des biens » et « la sécurité de tous les Burkinabè, y compris les leaders politiques, les membres du gouvernement et de l’Assemble nationale sortant », il est évident que ce n’est pas le point de vue de tout le monde et les exactions des CDR au temps de la « Révolution » sankariste ont témoigné que les règlements de compte étaient inhérents aux manifestations de masse et à l’Etat d’exception (déjà, dans un Burkina Faso, Etat de droit, tout n’était pas probant en la matière).

Blaise Compaoré, sa famille, ses proches… se sont échappés. A Yamoussoukro et ailleurs. Ce qui frustre les plus radicaux de ceux qui ont envahi les rues la semaine dernière et ont la nostalgie d’un « sankarisme » qu’ils n’ont pas connu et qui n’avait pas manqué d’être, parfois, expéditif. Le CDP, parti présidentiel, et ses hommes liges sont omniprésents dans la vie politique, économique et sociale du pays. Quelques « lieux » symboliques ont ainsi été pillés. Assimi Kouanda, « patron » du CDP, ministre d’Etat, ministre chargé de mission à la présidence du Faso, a même été arrêté. Zida peut bien affirmer que le « consensus » doit prendre en compte toutes les forces politiques, il est des noms qui sont rédhibitoires pour la population urbaine. Je dis bien la population urbaine, car cette révolte a été d’abord celle de la capitale du Burkina Faso et il n’est pas certain que le monde rural ait été en concordance avec elle.

Zida n’a pas manqué, d’ailleurs, de faire remarquer qu’il « est vrai que le CDP avait des responsables qui se sont illustrés négativement […] mais imaginez vous qu’au fond des villages du Burkina, il y a des femmes et des hommes qui en tout cas étaient au CDP de bonne foi : nous ne pouvons pas imaginer un consensus sans eux avec nous ». Les « consultations […] en vue de définir une transition cohérente et consensuelle » seront donc « inclusives » entre « les leaders des partis politiques, les représentants de la société civile, les leaders religieux et traditionnels ainsi que les forces armées nationales » ; ce sont les patrons de la Cédéao qui l’ont affirmé dans leur communiqué du 5 novembre 2014 et devraient le confirmer lors de leur sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement (Accra jeudi 6/vendredi 7 novembre 2014).

En attendant le consensus sur l’homme de la transition, une « charte de la transition » sera établie afin que soit levée la suspension de la Constitution, permettant de faire constater par le Conseil constitutionnel* la vacance du pouvoir. Ce sera au président de l’Assemblée nationale** d’assurer la transition. Est-il pensable que le président d’une Assemblée nationale à dominante CDP soit l’homme de la transition dès lors que cette Assemblée a été le premier bâtiment public mis à sac ? Même un juriste serait incapable de dénouer l’imbroglio dans lequel se trouve le Burkina Faso aujourd’hui.

Ainsi, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA, réuni le lundi 3 novembre 2014, a rappelé « son rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement et réitéré sa reconnaissance du droit des peuples à se soulever pacifiquement contre des systèmes politiques oppressifs ». Le peuple burkinabè s’est-il « soulevé pacifiquement » et le système politique burkinabè était-il « oppressif » ? La question vaut d’être posée : un vote de l’Assemblée nationale sur la révision de la Constitution s’inscrivait dans le cadre constitutionnel.

L’affirmation selon laquelle le « peuple burkinabè » a fait la démonstration de « son attachement au respect de la Constitution » prêterait d’ailleurs à rire si le pays n’avait pas vécu un tel drame : la révision de la Constitution ne saurait être un acte anticonstitutionnel ; sauf bien sûr qu’il s’agit de prendre en compte les conditions politiques et la finalité partisane de cette révision ! L’UA exige également que « les commanditaires et auteurs des violences soient traduits en justice ». Bon courage ! Elle caractérise également la prise du pouvoir par l’armée comme « un coup d’Etat », ce qui est loin d’être le point de vue de l’opposition burkinabè.

Tout cela souligne l’inanité de l’action de l’UA, incapable, une fois encore, d’être cohérente dans le fond comme dans la forme. Pas même opérationnelle sur le terrain. Zida n’a d’ailleurs pas manqué de fustiger une UA dont les décisions (sur les sanctions à venir) « n’engage » qu’elle-même. « Ici, nous avons attendu l’Union africaine à des moments où véritablement ils auraient pu nous témoigner leur fraternité et leur amitié, malheureusement, ils n’ont pas été à la hauteur. C’est regrettable », a-t-il ajouté. A bon entendeur, salut !

C’est dire la confusion qui peut régner autour de l’analyse des événements du 30/31 octobre 2014 : une révolte populaire qui n’était pas une révolution et moins encore un coup d’Etat. Sauf que l’armée est au pouvoir et que l’opposition politique cherche à l’en déloger pour s’y installer sans pour autant rechercher la confrontation armée/population. Il faut être Burkinabè pour penser que cette quadrature du cercle à sa réponse… burkinabè : « Pas de problème » assure-t-on à Ouaga quand on exprime une demande !

* Le Conseil Constitutionnel résulte de la réforme proposée par le Collège des sages et le Forum national sur la justice à la suite du meurtre du journaliste Norbert Zongo. Il a été endeuillé, cette année, par l’assassinat d’un de ses membres, le juge Salifou Nébié, meurtre sur la voie publique toujours pas élucidé (cf. LDD Burkina Faso 0418/Lundi 2 juin 2014). Son président est Dé Albert Millogo, magistrat, ancien ministre du Travail, de la Sécurité sociale et de la Fonction publique (1987-1988), ministre de la Défense (1997-2000). C’est à la suite de cette « affaire Zongo » que le mandat présidentiel a été limité à deux ; limitation établie par la Constitution de 1991, abrogée en 1997 étant jugée « inopportune » et « antidémocratique », et rétablie en 2000.

** La Constitution ayant établi en 2012 le bicaméralisme du Burkina Faso en instituant un Sénat qui n’a jamais été mis en place bien que des sénateurs aient été élus, il a fallu la réviser le 12 novembre 2012 pour réaffirmer la primauté de l’Assemblée nationale sur un Sénat qui n’existait pas. C’est donc le président de l’Assemblée nationale et non pas celui du Sénat, qui n’a existé que dans la Constitution, qui assure la transition en cas de vacance du pouvoir.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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