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Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (5)

Publié le mercredi 5 novembre 2014 à 16h56min

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Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (5)

Crise ivoiro-ivoirienne et crise malienne ces dernières années ; il y a eu les crises au Niger, au Sénégal et ailleurs. Hissène Habré est à Dakar depuis une éternité en attente d’un hypothétique procès. Tandja, après deux mandats sans faute, s’est planté en voulant aller au-delà de la limite fixée. Gbagbo est à La Haye. Karim Wade, le fils de l’ancien président sénégalais, est emprisonné à Dakar.

’est à Dakar aussi que Amadou Toumani Touré s’est réfugié après avoir été viré du pouvoir. Et voilà que ce que l’on pensait impensable est arrivé : la « crise » au Burkina Faso ! Ce n’est pas la première, certes, au cours de la présidence de Blaise Compaoré ; mais celle-ci est définitive. Et va changer fondamentalement la physionomie politique et sociale et, plus encore, l’image du « Pays des hommes intègres ».

Thomas Sankara assassiné en 1987, Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani exécutés en 1989, Blaise Compaoré contraint à l’exil en 2014. La « Révolution » du 4 août 1983 vient de s’achever. De cette époque où les leaders, tous officiers, réglaient leurs différends à coups de révolver, il ne reste que le cinquième homme : le général Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier du président du Faso, dont on dit qu’il n’a pas quitté Ouaga quand beaucoup ont pris la fuite pour échapper à la fureur populaire. On dit aussi qu’il est le parrain du lieutenant-colonel Zida, « l’homme fort » du pays. Yacouba Isaac Zida est le numéro deux du RSP, la sécurité présidentielle (numéro un : colonel-major Boureima Kéré), et chacun sait que le patron effectif de ce régiment d’élite est Diendéré.

Quand les appelés à servir au RSP sortent des quarante-cinq jours de formation au sein de la Compagnie d’intervention rapide et d’entraînement commando de Pô, c’est Diendéré qui les réceptionne. On dit qu’il est « l’homme qui flaire toujours les putschs en gestation », « l’homme qui semble sauver le président du Faso chaque fois qu’on tente de renverser son régime » (cette fois, c’est foiré). Le 16 janvier 2004, à la veille du remaniement qui allait écarter le général Kouamé Lougué du gouvernement (ministre de la Défense, il était mis en cause dans la « tentative présumée de putsch » d’octobre 2003 – cf. LDD Burkina Faso 0441/Lundi 3 novembre 2014) – celui-là même que la foule, la semaine dernière, voulait au pouvoir – à l’occasion des vœux du RSP, Diendéré avait proclamé : « Les tentatives d’infiltration en notre sein, la volonté manifeste de nous démoraliser et déstabiliser ce corps n’ont pu et ne pourront en rien annihiler la détermination que nous avons à accomplir notre devoir sacré, celui de défendre la République même au prix du sacrifice suprême ».

« Défendre la République » ! Cela tombe à pic : l’homme qui est aujourd’hui à la tête de l’Etat est le numéro deux du RSP ; et ce que les Burkinabè exigent, c’est justement la défense de la République. Le discours de Zida semble, jusqu’à présent, convaincant. On notera d’ailleurs que si les crises perdurent dans d’autres pays africains à la suite de la « chute du leader », il n’a fallu que quelques jours aux Burkinabè pour se remettre sur les rails. Certes, rien n’est réglé définitivement, mais, comme l’a affirmé Smaïl Chergui, commissaire Paix et Sécurité de l’UA, « Nous ne voulons pas interférer. Le peuple burkinabè a assez de ressources et d’intelligence pour qu’il puisse lui-même trouver les personnes qui doivent conduire cette transition ». Le Burkina Faso, roi des médiations, n’aurait donc pas besoin de médiateur étranger… !

C’est pourtant la bousculade à Ouaga. Il est des régimes dont l’effondrement n’étonne pas : la Côte d’Ivoire de Bédié en 1999. D’autres où il est perçu comme un présage : la chute de Ben Ali en 2011 a déclenché les « printemps arabes » ; on ne sait pas encore sur quoi va déboucher celui de Compaoré pour les « présidents à vie » d’Afrique francophone qui sont légion. Macky Sall, Goodluck Jonathan et John Dramani Mahama, les présidents du Sénégal, du Nigeria et du Ghana, sont attendus ce mercredi 5 novembre 2014, à Ouagadougou, afin de « faciliter la sortie de crise et la transition ». Mohamed Ibn Chambas (Ghanéen également) est déjà sur place au titre de représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest (il a été nommé le 12 septembre 2014 à la suite de l’Algérien Saïd Djinnit). Il y a là, également, le Burkinabè Kadré Désiré Ouédraogo, président de la Commission de la Cédéao, et le Togolais Edem Kodjo (protégé de longue date d’Alassane D. Ouattara et de Compaoré) qui vient d’être nommé envoyé spécial de la présidente de la Commission de l’UA. Paris, de son côté, au soir du lundi 3 novembre 2014, a appelé « tous les acteurs à poursuivre leurs consultations afin de mettre en place dans les meilleurs délais une solution qui s’inscrive dans le cadre constitutionnel du Burkina Faso » ; « un chef d’Etat intérimaire civil » devant « être désigné rapidement afin de conduire le pays vers des élections ».

Les oppositions burkinabè ont été prises de court par la chute de Compaoré, n’étant pas préparées à autre chose qu’à occuper la rue. C’est donc avec un œil bienveillant que leurs leaders voient s’installer une transition militaire qui leur permet de réfléchir à l’organisation d’une transition civile. Zéphirin Diabré ne remerciera jamais assez Compaoré d’avoir officialisé le poste de chef de file de l’opposition. CFOP, c’est être reconnu comme interlocuteur privilégié des militaires et de la « communauté internationale ». Et cela marginalise les dissidents et anciens apparatchiks du CDP qui ont créé, en janvier 2014, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), pensant avoir du temps devant eux avant la présidentielle 2015. Ils se trouvent, subitement, confrontés au vide du pouvoir. Avec un handicap : ces anciens nomenklaturistes risquent de voir déballer leurs petites affaires dès lors que leurs amis d’hier (famille Compaoré + alliés) n’ont plus grand-chose à perdre ! Roch Marc Christian Kaboré, président du MPP, est ainsi monté au créneau contre l’UA pour dénoncer « deux poids et deux mesures » : « On ne demande pas aux présidents en exercice en Afrique de respecter la Constitution ; en revanche, quand il s’agit de mener une transition suite à un soulèvement populaire, l’Union africaine, là, exerce de la pression » (l’UA dit attendre jusqu’au 18 novembre 2014 avant de décider de sanctions). Il est vrai qu’il est cocasse d’entendre le président en exercice du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, l’ambassadeur équato-guinéen Siméon Oyono Esono, dénoncer un changement « anti-démocratique » au Burkina Faso et la conquête du pouvoir par l’armée alors que la Guinée équatoriale est dirigée depuis le 3 août… 1979 par Obiang Nguema Mbasogo à la suite… d’un coup d’Etat militaire !

Les propos du CFOP Diabré, président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), ont le mérite de l’humilité : « Franchement, personne n’osait imaginer ce qui s’est passé le 30 octobre […] Dans toute l’opposition burkinabè, personne ne souhaitait que Blaise Compaoré ne s’en aille avant le terme de son mandat […] Les chefs d’Etat sont souvent entourés par une panoplie de personnages qui finissent par leur dicter leurs pensées en se coupant du vrai peuple ».

Au sujet de la situation « exceptionnelle » que vit le Burkina Faso, il souligne « qu’avec le vide créé par le départ de Blaise Compaoré, il fallait bien qu’une structure puisse prendre le pays en main, assurer son intégrité, faire en sorte que l’on sente qu’il y ait une main qui dirige et faire fonctionner le service public. Or, dans nos pays, dans de telles situations, il n’y a que l’armée qui reste la seule force organisée […] Il n’existe pas, au Burkina Faso, d’opposition entre civils et militaires. Nous sommes solidaires dans la pauvreté ambiante et cela forge un état d’esprit d’union nationale ». Il souligne aussi « l’ouverture d’esprit » de Zida, qui l’a reçu dès le dimanche 2 novembre 2014, l’assurant d’une transition « consensuelle avec l’ensemble des forces de progrès ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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