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Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (2)

Publié le samedi 1er novembre 2014 à 19h30min

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Jusqu’où le « Pays des hommes intègres » va-t-il se désintégrer ? (2)

Trois ans après les mutineries de 2011 voilà qu’une « insurrection » (mot qui revient en boucle dans les reportages radio-télé français) met par terre un régime que l’on pensait solidement ancré ; et qui devait le penser aussi. La réforme constitutionnelle, depuis des années, est un sujet de discorde entre les gouvernants et les opposants ; elle a même été l’opportunité, pour l’opposition, de mobiliser la population des deux grands villes du pays, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.

Une mobilisation large, très large, qui allait au-delà du fameux article 37 et du projet de Sénat, afin de permettre l’expression d’autres revendications : le mécontentement d’une jeunesse qui se considère comme laissée-pour-compte par le régime et qui, du même coup, veut le changement pour le changement. En politique, le changement porte un nom : alternance. L’ampleur de cette mobilisation a également provoqué le chavirage du parti présidentiel, le CDP. Les grands barons du régime, ceux qui n’étaient rien avant et qui sont devenus quelque chose grâce à lui, se sont empressés de retourner leur veste.

Ce qui n’a pas changé les revendications exprimées tout au long de l’année 2014 par des « marches » : les partis politiques d’opposition, quoi qu’ils en pensent, n’étaient pas les bénéficiaires de ces manifestations ; il s’agissait d’être contre le régime en place ; pas d’imaginer un nouveau régime avec un nouveau leader. C’est ce qui a laissé penser aux gouvernants qu’il n’y avait pas péril en la demeure. Ils étaient encore dans les vieux schémas : un parti fort et structuré est la condition sine qua non pour conquérir le pouvoir. Pour le conquérir, sûrement ; pour le défendre, cela relève d’une mortelle illusion.
Compaoré voulait changer la constitution et son fameux article 37 limitant le nombre de mandats présidentiels. L’ayant souhaité, il a voulu aller au bout de son idée. Par défi. Le référendum posant bien des problèmes organisationnels et étant refusé par la population, il a voulu passer par un vote de l’Assemblée nationale. Tout en sachant que cela ne se ferait pas sans casse. La preuve en est que les établissements scolaires et universitaires ont été exceptionnellement fermés cette semaine alors que les manifestants entendaient occuper la rue au nom de la désobéissance civile. Ce qu’ils ont fait. En masse. Et de manière impressionnante.

Ce qui n’a pas impressionné le pouvoir. Résultat : en l’espace d’une journée, un régime au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle est tombé non pas à la suite d’un coup d’Etat militaire mais sous la pression de la rue. Ni la police, ni l’armée, ni la Garde présidentielle n’ont été capables d’endiguer le flot des manifestants. Non seulement Compaoré ne pourra pas être candidat à un nouveau mandat (car il s’agissait seulement d’être candidat et rien d’autre pour l’instant), mais il a été contraint de démissionner à un an de la fin du mandat en cours.

Dans cette affaire, on n’a pas vu sur le terrain les barons (et les baronnes) du régime, le parti présidentiel et ses élus qui s’apprêtaient à voter la réforme constitutionnelle, la police, l’armée, la Garde présidentielle. Personne pour sauver le « soldat Compaoré » qui, depuis les mutineries de 2011, est aussi ministre de la… Défense et des Anciens combattants. Mais on n’a pas vu non plus les leaders de l’opposition, chefs de partis, récupérateurs de la colère populaire. On n’a vu que des jeunes qui, n’étant pas inscrits sur les listes électorales car ne croyant plus en la politique et en ses « hommes », ont choisi la rue pour dire leur choix.

Le changement par le chaos. Rien d’autre. Pas de quoi s’enthousiasmer pour cette révolution sans révolutionnaires. On peut seulement s’étonner qu’aucun responsable politique burkinabè n’ait pris conscience de la radicalité de la situation. Quand Compaoré, la nuit dernière, disait aux manifestants qu’il avait compris leur message, c’était trop tard : ce message lui avait été adressé dès la mobilisation de la rue ; il fallait dès lors ne pas engager le processus de révision. Première question : que font les services de renseignement burkinabè ? A Kosyam, dans l’entourage du chef de l’Etat, où on l’a convaincu d’aller au bout du processus de révision, on m’assurait que cela ne ferait que si l’armée était verrouillée. Manifestement, elle ne l’était pas.

Deuxième question : faut-il s’en étonner alors que le souvenir des mutineries de 2011 est encore présent dans les mémoires des militaires ? Troisième question : quelques apprentis sorciers ont-ils voulu démontrer sur le terrain que les responsables de l’opposition étaient irresponsables et incapables de gérer le pays ? C’est fait, la chute de Compaoré n’est pas le résultat de l’action menée par les partis d’opposition, et encore moins de leurs leaders, mais du chaos créé par un mouvement de foule qui a débordé les autorités. Aujourd’hui, d’ailleurs, c’est un général, en l’occurrence le chef d’état-major des armées, qui est à la tête de la transition et non pas un leader politique d’opposition, ni un chef d’une quelconque révolution. Quatrième question : pourquoi le gouvernement a-t-il pris à la rigolade ce qui se préparait ? Il y a non seulement ce déplacement incongru du premier ministre, Luc Adolphe Tiao, à Paris pour présenter un livre à la gloire de Compaoré (cf. LDD Burkina Faso 0440/Vendredi 31 octobre 2014), mais aussi ce ton sarcastique du ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Alain-Edouard Traoré, rendant hommage à… l’opposition pour l’organisation des manifestations, démarche démocratique, à la veille du clash du jeudi 30 octobre 2014 !

Le pouvoir a failli. L’opposition légale a failli. On s’est quelque peu gaussé (à juste titre), à Ouagadougou, d’Abidjan et de Bamako quand les présidents Henri Konan Bédié (1999) et Amadou Toumani Touré (2012) ont été culbutés par des coups de force foireux. Compaoré est viré par la rue pour une réforme constitutionnelle merdique. Et du même coup, ce sont des militaires qui s’installent au pouvoir. Faillite de la rue, faillite de l’opposition. Le Burkina Faso se porte-t-il mieux aujourd’hui qu’avant-hier ? Non pas que je pense un seul instant qu’il y ait des hommes providentiels et qu’il soit nécessaire de perdurer au pouvoir en laissant penser qu’on va préparer une succession qui n’est jamais que du temps laissé à son entourage pour arrondir ses fins de mois. J’ai vécu, ces dernières années, des situations analogues au Niger avec Tandja, au Sénégal avec Wade, au Bénin avec Kérékou (qui, lui, a su résister à la pression de son entourage) sans parler des transitions mal assurées au Cameroun, au Gabon, au Togo… Les Nations et les Etats, autrement dit les peuples et leurs institutions, n’y gagnent rien.

Les militaires burkinabè, qui ont failli et laissé faire, les leaders politiques de l’opposition, qui ont failli et laissé faire, la « société civile » qui, elle, s’est massivement mobilisée dans la rue à l’occasion des journées de désobéissance civile, sont aujourd’hui bien encombrés par un pouvoir qui leur brûle les mains. En jouant, finalement et rapidement (ce que n’a pas su faire ATT au Mali après bien d’autres), la carte de la démission et de la vacance du pouvoir, Blaise Compaoré garde une carte en main : il se place dans le cadre d’une Constitution qu’il a voulu faire réviser et que les manifestants voulaient maintenir en l’état. Or, l’article 43 définit ce qui se passe en cas de vacance du pouvoir. La rue ne voulait sûrement pas des militaires au pouvoir ; mais eux sont prêts à l’exercer. Définitivement ou temporairement ? La question est posée.

Blaise est à Pô. Son Baden-Baden à lui pour faire référence à Charles De Gaulle en 1968 quand le « peuple » (étudiants, gauche, extrême gauche, syndicats) occupait les rues de Paris et des grandes villes et que les partis d’opposition proclamaient être prêts à gouverner lors du meeting du stade Charlety où l’UNEF, le 27 mai 1968, avait rassemblé 50.000 manifestants. On sait ce qu’il advint de tout cela : la France a voté massivement à droite aux législatives. Si la Constitution burkinabè n’est pas respectée, tous les jeux (y compris les pires) sont envisageables. A Ouaga, nous sommes loin du « game over »… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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