Marche de protestation : Ouagadougou, « ville morte », une mobilisation « phénoménale »
La marche-meeting de l’opposition politique marquant le lancement officiel de la campagne de « désobéissance civile » a tenu toutes ses promesses, au regard de la marée humaine mobilisée à la Place de la Nation et dans ses environnants. « Du jamais vu », « Même le 3-janvier 1966, soulèvement populaire n’a pas mobilisé autant … », ont qualifié des observateurs.
La capitale, Ouagadougou, à l’allure d’une ville morte en cette journée de mardi, 28 octobre. Les commerces sont fermés, les services « paralysés ». « Déjà un succès », a noté le premier responsable de l’opposition politique, Zéphirin Diabré. Dès les premières heures de la matinée, les grandes artères de la ville étaient « prises » par de nombreux gens en direction de la Place de la Nation de la Nation, lieu du rendez-vous. A pied, à motos, vélos, en tricycles ou en voitures, les mouvements sont bien présents. Drapeaux en mains, sur les épaules ou attachés à la hanche, les coups de sifflets, vuvuzela et les klaxons rythmaient la vie de la ville. ‘’Tous’’ les moyens étaient bons pour se faire entendre et manifester son hostilité au projet de loi portant convocation du referendum. Chaque mouvement y va de son symbole. Des balais du mouvement « Balai citoyen » aux spatules des femmes en passant par les « poings levés » des mouvements sankaristes. Les slogans hostiles au projet et au régime pullulent et font leur traite. Chacun y va de son ingéniosité : « Libérer Kosyam (Palais Présidentiel, ndlr) » ou « 2015, terminus pour Blaise Compaoré ». De la circulaire à l’avenue Yatenga à la route nationale N°1, en passant par l’avenue 5 ou encore « Yaa ya boin ! (n’exagère pas, ndlr) ». Pendant ce temps, à 9 h, la Place de la Nation refusait du monde (certains manifestaient avaient confié, il y a quelques jours, y être dès 5h30) et surchauffée par les animations « d’artistes engagés » à l’image de Sams’K Le Jah du mouvement Balai Citoyen. Ce dernier, très ovationné, est monté sur le podium avec son vieux matelas en bandoulière et une bouilloire en main. L’ambiance monte encore d’un cran. « La loi fondamentale n’est pas un pantalon qu’on se taille sur mesure », a-t-il introduit avant de soulever la foule avec son titre relatif au respect de la constitution.
La détermination à aller jusqu’au bout
Les manifestants ont affiché leur détermination à faire retirer le projet de loi et partant, à faire abandonner l’initiative même de révision de la Constitution. Ainsi, après la marche, des manifestants ont pris la direction de l’Assemblée nationale « pour marquer la continuité de la lutte ». Au refus des forces de sécurité de les laisser passer, certains manifestants ont déclaré : « Tuez-nous, des gens plus importants que nous sont morts avant nous. Nous allons nous battre. Même si ce n’est pas pour nous-mêmes, nous allons nous battre pour nos petits frères et nos enfants ».
La mobilisation a fait dire à de nombreux observateurs sur place qu’« il n’y a jamais eu une telle mobilisation à Ouagadougou, même pas le 3-janvier 1966 ».
Des manifestants disent être déterminés et prévoient, de ce fait, « ne plus rentrer chez eux, tant que le projet de loi n’est pas retiré et le referendum abandonné ».
Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net
Réactions de quelques manifestants à l’issue de la marche-meeting
Jonas Hien, leader d’une Organisation de la société civile
C’est une expression citoyenne face à une préoccupation nationale. La question de la Constitution est une question de valeur, de valeur démocratique. Il y a un certain nombre de dispositions prévues dans la Constitution qui constituent des valeurs nationales autour desquelles les citoyens doivent se plier. Et l’article 37 fait partie de ces valeurs constitutionnelles sur lesquelles nous nous sommes accordés sur des principes bien clairs. Aujourd’hui, la décision de sa modification n’a pas une justification nationale, il faut le reconnaître, si bien qu’on comprend difficilement les arguments qui sont développés pour, j’allais dire, attenter, à cette disposition constitutionnelle qu’est l’article 37.
Je n’ai jamais vu une telle mobilisation. Je n’ai pas connu le 3-janvier 1966, mais j’ai entendu dire par ceux qui l’ont connu, qu’eux aussi, ils n’ont jamais vu ça. Cela montre l’ampleur de la mobilisation ; à tel point qu’on se demande s’il y a encore des gens à la maison. Je pense donc que c’est une expression populaire qui est très forte, autour de laquelle les décideurs doivent vraiment porter une attention particulière.
Ludovic L. S., particulier
Nous souhaitons vraiment que le Président Blaise Compaoré accepte de quitter le pouvoir. C’est lui qui a dit à Mamadou Tadjan (ancien Président nigérien) de quitter le pouvoir. C’est lui qui a également conseillé Laurent Gbagbo en son temps de quitter le pouvoir. Nous ne voulons pas qu’il quitte le pouvoir avec la honte. C’est pourquoi on s’est mobilisé de façon pacifique pour lui dire qu’en 2015, il n’a qu’à laisser la place à une autre personne et se reposer tranquillement.
Issouf Sanfo, étudiant à l’Université de Ouagadougou
D’abord, nous ne savons même pas à quelle année universitaire nous avons à faire. Nous sommes à l’Université, on ne fait qu’étudier, sans repère. 27 ans de pouvoir, c’est trop. Ce n’est pas à nous ses petits-fils de lui donner des leçons. Il a fait le pouvoir avec Félix Houphouet Boigny, Henry Konan Bédié, Guéï Robert, Laurent Gbagbo et avec Allassane Dramane Ouattara actuellement, quand même, c’est trop. Qu’il passe la main à un autre Burkinabè maintenant. Persister pour rester au pouvoir montre qu’il veut cacher des erreurs, des lacunes. Nous sommes-là, déterminés à jamais.
Miche N. Ouédraogo, particulier
Nous sommes mobilisés à jamais pour dire « Non » à la modification de l’article 37. Nous demandons au Président du Faso d’écouter la voix de son peuple et se retirer pour être le conseiller du futur Président qui viendra à partir de 2015. Le pays-là est très beau et il faut ne faut pas le plonger dans une crise qu’on ne pourra pas maitriser. Les populations lambda n’ont pas les moyens de vivre une crise ; elles vont souffrir pour rien. Je demande vraiment au Président du Faso, qu’on aime bien, de partir en 2015 car, il y a une vie après Kosyam, une vie meilleure.
Recueillis par Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net