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Michaëlle Jean. Et si une « femme noire du Nouveau Monde »

Publié le mercredi 22 octobre 2014 à 14h00min

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Michaëlle Jean. Et si une « femme noire du Nouveau Monde »

Née à Haïti avant de rejoindre, à l’âge de onze ans, le Canada, faisant carrière dans l’audiovisuel, ayant épousé un Français très omniprésent également dans ce domaine d’activité, ayant adopté, en 1999, une petite-fille née à Haïti, Marie-Eden, Michaëlle Jean va se retrouver sous les projecteurs des médias canadiens, haïtiens, français et internationaux quand, le 4 août 2005, le premier ministre canadien, Paul Martin, va annoncer sa nomination au poste de gouverneur général du Canada. Elle est la troisième Canadienne à être ainsi nommée mais la première femme noire (il y avait déjà eu une émigrée d’origine asiatique).

Cette nomination va avoir un réel impact en France. Où pourtant pas grand monde ne sait qu’il existe un gouverneur général du Canada (qui serait capable de citer le nom de l’actuel titulaire du poste ?*). Mais pas beaucoup de Français savent d’ailleurs que le Canada est une monarchie constitutionnelle et que son souverain n’est autre que la reine… Elisabeth II, héritage de la colonisation britannique et du statut de « dominion » du Canada. A noter que jusqu’en 1952, le poste de gouverneur général était assumé par un aristocrate britannique. Depuis cette date, c’est alternativement un Canadien français et un Canadien anglais qui exerce la fonction pour une durée de cinq ans.

Gouverneure générale, vice-reine, commandante-en-chef des Forces armées canadiennes, Michaëlle Jean va devoir renoncer à la nationalité française (obtenue à la suite de son mariage avec Jean-Daniel Lafond – cf. LDD Canada 007/Jeudi 8 octobre 2014). Ce qui lui sera accordé par Paris le 23 septembre 2005 après qu’elle ait rencontré les membres de la famille royale britannique au château de Balmoral (6 septembre 2005). Le 27 septembre 2005, elle sera officiellement assermentée. Son discours sera axé sur les « deux solitudes », francophone et anglophone, qui caractérisent le Canada. « Il est fini le temps des « deux solitudes » qui a trop longtemps défini notre approche de ce pays, dira-t-elle alors. L’étroitesse du « chacun pour soi » n’a plus sa place dans le monde actuel qui exige que nous apprenions à voir au-delà de nos blessures et de nos différends pour le bien de l’ensemble. Bien au contraire, nous devons briser le spectre de toutes les solitudes et instaurer un pacte de solidarité entre tous les citoyens qui composent le Canada d’aujourd’hui. Il y va de notre prospérité et de notre rayonnement partout où l’espoir que nous représentons apporte au monde un supplément d’âme ».

« La fonction relevait beaucoup du symbolique, dira-t-elle par la suite. Mais quelle force peut avoir le symbolique ! Quelle valeur morale ! Et quelle possibilité d’impulser idées, reconnaissance, espoir ! J’ai réfléchi à tout cela avant d’accepter. La nomination d’une femme noire, née hors des frontières, et fille de réfugiés politiques, serait lourde de sens au Canada, me disais-je. Mais elle exprimerait bien ce que nous sommes. Et elle enverrait un signal puissant au reste du monde, en montrant que la diversité est un élément moteur quand on la conçoit comme une valeur plutôt qu’une difficulté** ». Elle va rapidement devenir l’icône de la diversité, non seulement francophone/anglophone mais aussi ethnique, culturelle, sexuelle, sociale… Elle devient pour la presse française « le visage éclairé de l’humanité, de l’intelligence et de la beauté » (Jean-Michel Djian, Le Monde 2, 3 mai 2008).

Michaëlle Jean inscrira ses déplacements à l’étranger, hors de la sphère officielle (elle effectuera plus de 40 visites d’Etat), dans la symbolique de sa nomination : Haïti en mai 2006, Algérie, Mali, Ghana, Afrique du Sud, Maroc en novembre-décembre 2006, histoire de souligner « la rencontre des cultures et des civilisations », de réaffirmer qu’elle est arrière arrière arrière petite-fille d’esclaves, de rappeler que c’est lors du tournage d’un documentaire sur Aimé Césaire, inventeur de la « négritude », qu’elle a connu celui qui deviendra son mari.

En 2010, elle devra rendre son tablier de vice-reine alors que 57 % des Canadiens approuvaient le travail qu’elle avait accompli. Elle sera envoyée spéciale de l’Unesco à Haïti après le tremblement de terre de 2010. Abdou Diouf en fera, en 2011, son Grand témoin de la francophonie pour les JO d’été 2012 à Londres. En 2012, elle prendra les fonctions de chancelière de l’université d’Ottawa. La voilà candidate au poste de secrétaire général de l’OIF. Haïtienne, canadienne, nièce du poète René Depestre, épouse d’un Français, la francophonie lui est naturelle. Elle soulignait, alors qu’elle était gouverneure générale, que « la permanence du français définit le Canada d’aujourd’hui […] Nous avons une province francophone, mais nous avons aussi des myriades de communautés francophones à travers notre pays, qui connaissent une vitalité grandissante. La survie du français est l’affaire de tous au Canada. Le premier ministre Stephen Harper a dit que notre pays était né en français*** ».

L’OIF, dit-elle, « est une institution solide. Aujourd’hui, l’ONU, l’Union africaine et la plupart des organisations se tournent vers elle lorsqu’il y a des actions à mener en faveur de la démocratie, pour accompagner des processus électoraux et réfléchir sur les crises, notamment en Afrique. L’OIF répond toujours présent […] C’est une organisation extrêmement bien gérée, avec une administration exemplaire. Elle n’est pas du tout sclérosée, loin de là. C’est sur ces fondations qu’il faut désormais développer une vraie stratégie de francophonie économique **** ». Issue de la diaspora africaine déportée, née à Haïti, première République noire du monde, Canadienne ayant assumé la plus haute fonction étatique de ce pays américain, Michaëlle Jean est une « femme noire du Nouveau Monde » selon la jolie formule de Filippe Savadogo qui a été ambassadeur du Burkina Faso en France, ministre, représentant permanent de l’OIF auprès des Nations unies.

L’ambition de Michaëlle Jean, dit-il, est « que la Francophonie, fondée sur une éthique de partage d’une langue et de ressources, intervienne de façon plus affirmée dans le soutien d’échanges d’expertises entre le Nord et le Sud, et de développement de réseaux de compétences et de formation ainsi que d’opportunités d’économie sociale et solidaire. Et qui mieux que cette femme, qui a su démontrer sa capacité de mobilisation et l’efficacité de ses réseaux d’influence construits tout au long d’une riche carrière, pourrait redonner espoir à la jeunesse des pays francophones et accélérer l’inclusion du potentiel économique des femmes africaines, encore trop peu valorisé ? Car Michaëlle Jean reste persuadée que l’amélioration des conditions de vie est consubstantielle à la paix et à la démocratie ». Mais la compétence ne suffit pas ; elle est revendiquée par tous les candidats au poste de secrétaire général de l’OIF. Il faut aussi l’efficience dans l’action et la communication.

Il n’est, selon moi, personne parmi les candidats déclarés qui, mieux que Michaëlle Jean, soit apte à sortir l’OIF de cette médiocre routine diplomatico-protocolaire dans laquelle elle se complait. Sa nomination serait pour l’OIF l’occasion d’exister plus et mieux qu’elle ne le fait actuellement. Mais il n’est pas sûr que la majorité des Etats membres, qui se complaisent eux aussi dans une médiocre routine diplomatico-protocolaire, partagent ce point de vue.

* Depuis le 1er octobre 2010, David Llyod Johnston est gouverneur général du Canada.

** Entretien avec Annick Cojean, Le Monde Magazine, 16 octobre 2010.

*** Entretien avec Thomas Hofnung, Libération, 9 mai 2008.

**** Entretien avec François Soudan et Haby Niakaté, Jeune Afrique, 14 septembre 2014.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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