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EBOLA : le cœur et le droit

Publié le lundi 18 août 2014 à 23h03min

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EBOLA : le cœur et le droit

Le présent article saisit l’occasion de la lutte contre le virus d’Ebola, qui sévit à présent dans plusieurs pays d’Afrique, pour mettre en perspective deux modèles hospitaliers : l’hôpital occidental et l’hôpital africain. L’article se clôture en pointant l’urgence de réhabiliter le droit comme repère pour une meilleure gouvernance sanitaire en Afrique.

Le modèle occidental de l’hôpital-prison

L’hôpital occidental est construit à la ressemblance d’une prison. Fortement encadré et enserré par le droit, ce lieu laisse peu d’occasion à une circulation incontrôlée des personnes, puisqu’il faut empêcher toute intrusion ou interférence dans la chaîne de la responsabilité médicale.

La responsabilité : une référence absolue

Le droit de la responsabilité médicale est la toile de fond de la prise en charge du patient. La loi et les règles déontologiques font peser sur le médecin et la structure de soins diverses obligations, sous peine de sanctions civiles, pénales ou ordinales. Le médecin occidental sait que le malade, qui épie le moindre de ses gestes, ne se fera aucun scrupule à engager sa responsabilité en cas de manquement dommageable.

Ce schéma de responsabilité trouve sa forme la plus achevée dans le modèle américain où les avocats se bousculent aux portes des hôpitaux. Il explique le recours systématique à l’assurance.

Le recours massif à l’assurance de responsabilité

Les professionnels de santé recourent massivement à l’assurance du risque médical pour se prémunir contre les lourdes condamnations pécuniaires que pourraient occasionner des fautes médicales. Parallèlement, les individus contractent une assurance-maladie. Tout cela renforce l’individualisme en dispensant les familles de demeurer au chevet du malade. Ainsi, à la chaîne de solidarité personnelle se substitue une chaîne de solidarité institutionnelle. C’est l’assureur qui paie.

Le modèle africain de l’hôpital sans portails

L’hôpital africain est un espace extraverti. Mais serait-ce vraiment tenable de s’ouvrir autant au monde sans se fermer au droit ?

Un espace ouvert au monde

Si en Occident, le malade hospitalisé est presque déjà en quarantaine, l’hôpital africain ne sait pas « isoler » le malade. Autour de chaque malade, se noue une chaîne de solidarité à travers le flux de visiteurs qui se cotisent pour suppléer la carence de l’assurance-maladie.

C’est malheureusement à cette chaîne de solidarité que s’attaque frontalement Ebola. Comme on le sait, la psychose réfrène l’épanchement du cœur et inhibe le discernement, au point où les malades du paludisme courent le même risque de stigmatisation et de rejet que ceux de l’Ebola. Quant au personnel soignant, qui travaille sans gants pour barrer la route au virus, il est habité par la crainte permanente que le malade ne l’entraîne avec lui dans une ultime étreinte. Le Président sierra-léonais a donc raison de dire que « l’essence même de notre nation est en jeu ». Ce qui est aussi et surtout en jeu, c’est la fiabilité des Etats dont les citoyens restent accrochés à leurs mythes, incrédules devant l’information officielle. Comment un Etat qui n’a pas su se donner les moyens de vaincre la Poliomyélite peut-il vaincre l’Ebola ?

Un espace fermé au droit

Sous les tropiques, c’est sur des brancards que le droit fait son entrée dans l’hôpital. La promiscuité dans laquelle se côtoient malades et personnels soignants, mêlée au flux ininterrompu des visiteurs, crée des interférences qui ont pour conséquence de rendre illisible la chaîne de responsabilité.

Ces immixtions sont si lourdes de conséquences (insalubrité, insécurité, risque d’infections nosocomiales et de propagation des épidémies…) qu’aucune gouvernance des hôpitaux ne peut faire l’impasse sur elles.

L’Ebola : un autre rendez-vous manqué avec le droit ?

Le drame de l’Ebola aurait pu nous offrir l’occasion d’un nouveau pari sur l’avenir. Or, c’est trop brutalement que le droit a été convoqué dans la lutte contre la maladie, tantôt sous la forme d’Etat d’urgence tantôt sous la forme de menaces de fermeture des frontières.

Maintenant que l’on découvre que les recherches pharmaceutiques sont guidées plus par le « retour sur investissement » que par un quelconque droit universel à la santé, peut-être est-il venu le temps d’une Organisation Africaine de la Santé. Aucune action intelligente contre l’Ebola ne vaut qui ne s’affranchisse des frontières au profit d’une politique sanitaire commune aux Etats africains. L’homme s’arrête aux frontières, non le singe ni la chauve-souris, ces agents vecteurs potentiels. L’hôpital de l’avenir aura donc pour territoire l’Etat de droit plutôt que l’Etat d’urgence, et cela dans un espace communautaire intégré, car la maladie se rit des frontières.

Arnaud OUEDRAOGO
Magistrat Expert en Audit juridique des services de soins
Auteur du Manuel juridique de la vie quotidienne

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Vos commentaires

  • Le 18 août 2014 à 23:35, par Daouda SANOU En réponse à : EBOLA : le cœur et le droit

    Felicitations,voila un excellent article qui ne devrait point passe inappercu ..En Afrique nous avons une Autre vision du systeme de Santé et nos moyens de Prevention et surveillance des maladies ne Sont plus adaptes aux risquent actuels. Pas besoin dune organisation Africaine de la Santé publique.L’OOAS devait jouer ce role en Afrique de l’Ouest mais ils Sont Restes enefficaces et structure trop politisee ???maison de retraite pour les anciens DG et Ministre de la Santé ..

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