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Compaoré dresse le portrait de Blaise en homme « sûr de lui » mais pas « dominateur ».

Publié le jeudi 17 juillet 2014 à 08h09min

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Compaoré dresse le portrait de Blaise en homme « sûr de lui » mais pas « dominateur ».

L’interview de Blaise Compaoré, président du Faso, est un exercice difficile. Il s’est exprimé régulièrement au temps de la post-« Révolution », autrement dit la « Rectification » puis le « Front populaire ». Avec réticences (ce n’est pas un exercice qu’il apprécie) mais conscient qu’il fallait expliquer son action et dire là où il voulait aller et comment y aller. Depuis que les institutions sont en place et que le pouvoir s’est exilé à Ouaga 2000, la parole présidentielle est devenue rare.

L’événement est donc que Blaise Compaoré fasse cette semaine (13-19 juillet 2014) non seulement la « cover » de Jeune Afrique mais qu’il y accorde un entretien à Marwane Ben Yahmed. Ce n’était pas arrivé depuis près de deux ans (Jeune Afrique du 7 octobre 2012). JA titrait alors : Burkina. Blaise Compaoré : « Je n’ai pas changé ». Cette fois, le changement est probant : 2014 ce n’est pas 2012 ; et c’est juste avant 2015, échéance présidentielle. JA titre d’ailleurs, citant Blaise Compaoré, « Il faudra bien partir un jour… ». Sauf que ce n’est pas un propos de Blaise mais de Ben Yahmed, même si le président du Faso n’a « pas de doute là-dessus ». On l’aura compris, la situation politique burkinabè (Ben Yahmed évoque même une « crise politique ») l’a emporté, cette fois, sur les médiations qui sont le quotidien de Ouagadougou depuis quelques décennies maintenant.

Sauf que… Sauf que Blaise Compaoré est un taiseux ; ou, plus exactement, un homme à l’écoute de son entourage. Il le dit lui-même : « Je n’ai aucun problème à écouter les autres, ni même à recevoir des leçons ». Bilan : il a fallu 174 lignes pour poser les questions et 263 pour publier les réponses. Autrement dit l’interviewer occupe près de 40 % de l’interview ! C’est que Blaise Compaoré n’entend pas parler pour ne rien dire. Cet entretien est sûrement le plus abouti qu’il ait jamais accordé. Compaoré y dresse le portrait d’un Blaise « sûr de lui » mais qui se refuse à être « dominateur ». Avec habileté et non sans humour. C’est l’interview de la maturité dans un contexte politique local, régional et continental qui, trop souvent, est immature.

Le dossier malien, qui est l’actualité africaine qui concerne le Burkina Faso, est rapidement expédié. Compaoré rappelle seulement que c’est à Ouaga, et à Ouaga seulement, que les groupes armés du Nord-Mali ont accepté de s’asseoir à la même table que les responsables politiques maliens et de négocier. Il dit encore que si on n’aboutit pas « rapidement à un nouvel accord dans les semaines à venir », « il y aura lieu d’être inquiet, très inquiet même ».

Même chose en ce qui concerne la situation politique ivoirienne, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. La réponse est un coup de trique : « Ni vous, ni moi, ni eux ne savons ce que la CPI prépare. Attendons donc la fin de la procédure… ». Mais c’est l’occasion pour lui de donner son point de vue sur l’état de la justice en Afrique. Longuement. D’abord, il explique que la CPI existe parce que les Etats africains, eux aussi, l’ont voulu. Ensuite, dit-il, « balayons déjà devant notre porte : que je sache, l’impartialité de nos juges ou nos capacités propres pour ce type de procès sont loin d’être parfaites […] A charge pour nous d’obtenir les réformes nécessaires. Et, surtout, de mettre en place nos propres juridictions pour gérer nous-mêmes les responsables africains de tels actes ». Il ajoute : « Ce n’est pas parce que cette justice [celle de la CPI] a ses limites, comme ailleurs dans le monde, qu’il faut tout remettre en question ».

Pour rester dans l’international, Compaoré est prolixe sur l’Union africaine. Il n’a jamais été favorable à la multiplication des réunions de l’UA. Il le dit clairement : « Cela fait longtemps que je dénonce, en interne, nos méthodes de travail : nos réunions ne commencent jamais à l’heure fixée, nous perdons un temps fou à écouter les discours des uns et des autres, le nombre de points figurant à l’ordre du jour est monstrueux de telle sorte que nous ne pouvons que les survoler […] De quoi d’autre, sérieusement, pouvons-parler entre le Burkina, le Malawi et l’Egypte ? Traitons les problèmes pratiques, évidents. C’est à ce niveau que les Africains nous attendent ».

Il est prolixe, aussi, sur la démocratie. Mais, jamais, sur ces trois thèmes (justice, panafricanisme, démocratie), il ne répond directement à une question ; il prend prétexte d’un questionnement différencié pour donner son point de vue, ce qui est, chez lui, une démarche nouvelle. Ainsi, interrogé sur le fait que le recours au référendum, au nom du peuple, serait « un argument fallacieux », il répond : « Battons-nous, justement, pour des scrutins véritablement démocratiques plutôt que pour des verrous constitutionnels destinés à limiter la durée de vie au pouvoir ». Il ajoute : « On a tendance à appliquer un peu facilement à l’Afrique les concepts occidentaux de gouvernance. Mais être président sur le continent, à la tête d’Etats fragiles, cela n’a rien à voir avec être président de la France ou des Etats-Unis. Des pays développés où les institutions sont fortes, les ressources financières et humaines abondantes, où les routes se construisent sans avoir à trouver des bailleurs, etc. Pour obtenir des résultats, en Afrique, nous avons besoin de plus de temps ».

Voilà pour les fondamentaux (justice, panafricanisme, démocratie). On notera que Marwane Ben Yahmed n’aborde pas la question de la mort (de l’assassinat ?) du juge constitutionnel Salifou Nébié qui a défrayé la chronique ouagalaise voici quelques semaines. Pour le reste, c’est Blaise Compaoré qui, parfois avec humour, parfois pour semer le doute dans l’esprit de l’interviewer, va au-delà de la réponse à la question pour poser les vrais problèmes. L’intervention militaire française au Mali et en RCA ? C’est une « demande » des Africains, c’est aussi un « devoir » pour la France mais « cela pose, au fond, le problème de nos propres carences ». C’est aussi l’intérêt de Paris : « L’administration, l’armée ou le monde des affaires, qui nous connaissent bien, se chargent, si besoin, de rappeler au chef de l’Etat [français] les intérêts du pays ».

Le départ des barons du CDP ? : « Au Burkina, chacun est libre de faire ses choix : partir, revenir, repartir… Ce n’est ni la première ni la dernière fois que cela arrive, et j’y suis habitué ». Il ajoute à ce sujet : « S’ils pensent réellement ce qu’ils disent de moi – et je remarque que leur « lucidité » est pour le moins subite –, je préfère largement qu’ils aient quitté le CDP ». Quant au dialogue avec ses ex-bras droits, il dit drôlement : « Nous discutons par stades interposés », faisant référence aux meetings que pouvoir et oppositions tiennent dans les… stades de Ouaga et Bobo-Dioulasso. Et quand Ben Yahmed évoque les postes que ces ex-cadres du CDP occupaient, Blaise répond : « On se demande à qui ils doivent ce glorieux passé ».

Interrogé sur le mythe que représenterait encore Thomas Sankara, Compaoré, alors que le Burkina Faso va fêter le 4 août 2014 le trentième anniversaire du changement de nom du pays, dit ce qu’il n’a jamais dit dans un entretien avec la presse étrangère : « A son époque, il n’y avait aucune liberté dans ce pays : ni de presse, ni d’association, ni d’entreprendre, ni syndicale, ni politique… […] Il y a le mythe et il y a la réalité ». On ne peut pas être plus définitif dans le propos… ! Il note d’ailleurs que les partis sankaristes ne « brillent » pas lors des élections.

Au sujet de la question que toute l’opposition se pose : quid de 2015 ? Blaise Compaoré joue avec talent la confusion. Quand Ben Yahmed lui dit qu’il lui reste jusqu’à mai 2015 pour prendre sa décision, il répond que cela lui laisse donc du temps « pour mûrir [sa] réflexion ». Il pense qu’il n’est pas « vraiment prioritaire de sombrer dans la politique politicienne ou dans un débat qui risquerait de nous éloigner des vraies préoccupations ». Et ajoute : « Il n’est d’ailleurs pas exclu, même si l’article 37 de notre Constitution venait à être modifié, que je m’arrête en décembre 2015, comme c’est pour l’instant prévu ».

Montrer à tous qu’il garde la main sur la vie politique du Burkina Faso mais qu’il n’entend pas, malgré cela, l’écraser de son poing.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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