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Togo : Les premiers cadavres de "Bébé Doc"

Publié le lundi 14 février 2005 à 07h38min

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On vous l’avait bien dit dans ces mêmes colonnes il y a une semaine : les chiens ne font pas des chats. Et à ceux qui en doutaient encore, Faure Gnassingbé vient d’administrer la plus sanglante des preuves : au moins 3 personnes ont en effet été tuées samedi à Lomé au cours d’une manifestation pacifique organisée par six partis d’opposition pour protester contre le coup d’Etat constitutionnel perpétré après la mort, le samedi 5 février 2005, du général Gnassingbé Eyadéma.

Le "Bébé Doc" africain, qui veut être au Togo ce que Jean-Claude Duvalier était à Haïti après le décès, en 1971, de son père François (1) enregistre ainsi ses premiers cadavres, qui ne sont certainement pas les derniers. Car petit à petit, tous les ingrédients sont en train d’être réunis pour que le Togo explose. Il aurait pourtant suffi que les héritiers du dinosaure, tombé après 38 ans de règne sans partage, soient plus fins et plus intelligents pour récupérer leur chose après une transition en douceur.

La Constitution stipulait qu’en cas de vacance de la présidence par décès, l’intérim devait être assuré par le président de l’Assemblée nationale ? Eh bien, que Fambaré Natchaba Ouattara, qui était du sérail, rentre et conduise les 60 jours maximum de transition, à l’issue desquels Faure, même dans un scrutin ouvert à tous les opposants, aurait été "élu démocratiquement" moyennant une fraude massive et planifiée.

Dans tous les cas, les Gnassingbé n’auraient pas été à leur première ni à leur dernière forfaiture, mais les apparences auraient été sauves. La communauté internationale aurait certes condamné (parfois du bout des lèvres), mais les formes légales ayant été respectées, elle aurait laissé le rejeton du miraculé de Sarakawa "bouffé son naam", quitte à mettre des garde-fous pour que lui aussi ne tourne pas mal.

Au lieu de cela, les ayants droit du dictateur ne voulant pas courir le risque d’une transition qui leur échapperait, c’est à des manœuvres grotesques et nauséeuses qu’on a eu droit, qui ont consisté, au pas de charge, à adapter la loi électorale et la Constitution à la nouvelle donne. Dans leur précipitation, les nouveaux maîtres de Lomé ont même oublié l’article 144 alinéa 5 de la Constitution, qui dispose qu’"aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie en période d’intérim ou de vacance ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire".

En un mot comme en mille, tous les tripatouillages orchestrés depuis une semaine sont nuls et de nul effet, et le pouvoir de Faure ne repose, en réalité, sur aucun fondement juridique. Toute chose qui devrait le convaincre de l’inanité sonore de son entreprise et le ramener à la raison, mais visiblement, la raison, et pas davantage le bon sens, n’est pas la chose la mieux partagée dans la maison Gnassingbé.

Car "Bébé Doc" veut faire dans la résistance malgré les condamnations et les pressions tous azimuts visant à lui faire rendre gorge. "Ils finiront par se fatiguer", doit-on sans doute penser du côté de Lomé II, où on espère également que le front du refus pourrait se craqueler, notamment au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), où les desseins sont parfois contraires. Déjà le Ghana de Kufuor et la Côte d’Ivoire de Gbagbo s’étaient faits représenter le lundi 7 février dernier lors de la prestation de serment de celui qui a quasiment le même âge (39 ans) que le règne de son papa.

Sans oublier que la crise ivoirienne étant toujours pendante, les pays de l’hinterland, comme le Burkina, ont de sérieuses raisons de craindre une explosion au Togo, qui les priverait d’un autre débouché maritime et les asphyxierait économiquement. Ces considérations peuvent donc prévaloir dans l’appréciation que les Etats membres de la CEDEAO ont de la situation au Togo. Sans oublier que certains sont d’autant plus mal placés pour donner des leçons de démocratie aux autres qu’en la matière, sans être des UBU, il ne sont pas pour autant des exemples.

Car si les Wade, Obasanjo, ATT, Konaré, Diouf et autres font preuve d’une fermeté non négociable, c’est sans doute parce qu’ils sont des démocrates éprouvés. Quoi qu’il en soit, c’est en tout cas au nom des 15 chefs d’Etat de le CEDEAO, que le Nigérien Mamadou Tandja, président en exercice de la Communauté, a reçu samedi à Niamey une délégation togolaise conduite par le Premier ministre Koffi Sama et comprenant quelques ministres, des officiers supérieurs de l’armée ainsi que des représentants de la Cour constitutionnelle.

"Il n’était pas question de négociation avec la délégation togolaise", assurait-on dans la capitale nigérienne, où il s’agissait plutôt de réaffirmer la position de la CEDEAO sur ce coup de force inacceptable et son souhait de voir la légalité constitutionnelle rétablie. Le cas échéant, le Togo serait mis au ban de la CEDEAO et s’exposerait à des sanctions. Les envoyés spéciaux sont aussitôt retournés rendre compte à Faure Gnassingbé et devraient, dans quelques jours, repartir à Niamey pour donner sa réponse.

La CEDEAO entend donc maintenir et intensifier la pression, et "ce qui se dessine, c’est un transfert du pouvoir sans fracas, le retour du président de l’Assemblée nationale réfugié au Bénin, pour qu’il assume l’intérim comme prévu par la Constitution avant modification, et que le jeu démocratique revienne sur les rails", a confié un des participants aux discussions. Un scénario pour le moins optimiste, car on voit très mal les légataires d’Eyadéma lâcher aussi facilement leur héritage après s’être tant fourvoyés.

C’est bien connu, celui qui incendie un cimetière ne craint pas les cris des fantômes ; et Faure doit être de ceux-là, pris qu’il est en tenaille entre deux pressions : d’un côté celle de la communauté internationale et africaine, de l’autre celle de son clan et, de la haute hiérarchie militaire, qui n’ont certainement pas envie de perdre leurs prébendes, et qui pourraient même, de ce fait, le "wanker" s’il s’avisait à montrer des signes de faiblesses. En vérité, plus que la CEDEAO, dont on se demande bien quelles sanctions vitales pour le Togo elle peut prendre, c’est entre les mains de la France, de l’Union européenne et, dans une certaine mesure, de l’ONU, que se trouve la clef du problème togolais.

Mais comme Chirac pensait que la démocratie était un luxe pour les Africains (et au vu de ces spectacles pitoyables il n’a pas vraiment tort) ; qu’il comptait le miraculé de Sarakawa parmi ses amis personnels ; qu’il n’avait pas levé le petit doigt pour empêcher la révision constitutionnelle, qui lui avait permis de jouer les prolongations ; et qu’il avait applaudi à tout rompre à la réélection, en juin 2003, du lutteur de Pya... qui sait s’il ne va pas transférer au fils toute l’estime et toute l’affection qu’il vouait au père. Et tant pis pour ces macaques de nègres qui ont, après tout, la démocratie qu’ils méritent : banania.

Note : (1) : Surnommé "Papa Doc", François Duvalier arrive au pouvoir en 1957, et devient président à vie en 1964, exerçant un pouvoir dictatorial avec ses tontons macoutes de sinistre mémoire. A sa mort en 1971, son fils Jean-Claude, "bébé Doc" donc, lui succèda, mais il dut s’exiler en 1986 à la suite d’une grave crise politique.

L’Observateur Paalga

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