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Professeur Basile Guissou : « Nous assistons à un entêtement pour changer les règles du jeu pendant le match »

Publié le mercredi 16 juillet 2014 à 00h00min

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Professeur Basile Guissou : « Nous assistons à un entêtement pour changer les règles du jeu pendant le match »

Avec le sociologue et homme politique Basile Guissou, nous avons passé en revue, ce 10 juillet 2014, la situation politique nationale encore dominée par les questions du référendum, le Sénat, de l’après 2015 ; ainsi que l’état des lieux des forces politiques en présence. Le Pr Guissou que certains considéraient à tort ou à raison comme idéologue du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) s’est par ailleurs expliqué sur son départ du pouvoir pour l’opposition, puisqu’il fait maintenant partie du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP). Entretien exclusif.

Lefaso.net : comment se présente le jeu politique au Burkina à ce jour ?

Basile Guissou : Bon, écoutez. Malheureusement, pour une grande majorité des acteurs de la classe politique burkinabè, il n’y a pas de mémoire. On a l’impression que chaque jour, il faut réinventer la roue. On est comme prêt à réinventer, même l’histoire pour justifier pourquoi les choses doivent aller dans une direction, plutôt que dans une autre.

Quand vous prenez les différentes phases de l’évolution politique de notre pays, il y a suffisamment matière à puiser pour construire des institutions fortes acceptées par tout le monde, par consensus, et mettre tous les acteurs au même niveau des capacités d’expression de leur potentiel.

Je pense que c’est le refus d’une grande partie de la classe politique d’intégrer notre histoire politique nationale avant toute considération géopolitique sous régionale et régionale. C’est là le problème. Les gens viennent de nulle part, ils deviennent tout, ils veulent tout, ils s’accaparent tout par tout, il n’y a pas hier, il n’y a pas demain. On a comme l’impression que c’est un avenir ivre, nos institutions deviennent des navires ivres. Et comme on dit, ‘’il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va’’. Il y a un temps pour tout. On sait que quand on prend telle direction, il y a des escales, il faut les respecter ; et c’est comme ça qu’on avance dans la durée.

Comme le disait un grand sociologue, Montesquieu, au départ, ce sont les hommes qui font les institutions ; et dans la durée, les institutions produisent leurs hommes. On ne veut pas franchir ce pas au Burkina.

Voulez-vous dire que nous sommes dans un contexte de problème institutionnel auquel s’agrippent des acteurs politiques désorientés ?

Absolument ! C’est un vrai problème institutionnel. Savoir d’où on vient, où on est, et où on peut aller. C’est tout.

Et tout le reste, c’est de la casuistique. Aujourd’hui, chacun donne l’interprétation qu’il veut, qui l’arrange, tout en sachant très bien qu’il est dans le faux.

Mais comment se présente la configuration de cette classe politique que vous trouvez désorientée ?

Nous sommes aujourd’hui devant un pouvoir qui, à mon avis, a trop duré. Un parti qui a été omniprésent, omniscient. Les journaux ont même parlé de parti-Etat. Donc, effectivement, au bout de trente ans, il devient difficile de se remettre en cause. Puisque cela a toujours marché pour nous, cela doit continuer à marcher comme par le passé ; alors que la situation a changé, les hommes ont changé, les acteurs ont changé. Même sociologiquement, notre société a beaucoup évolué. Nous sommes dans une société où il y a 70% de moins de 25 ans ; c’est très important. Et ce sont des électeurs ; mais ils ne participent pas aux élections, ils ne participent à rien. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas d’espace, ils n’ont pas de boulot, ils n’ont pas de perspectives d’en avoir, ils n’ont pas de bourses pour étudier. Voilà la société dans laquelle on est. Et c’est parce qu’on n’a pas pensé une société qui se construit en dehors des diktats extérieurs. Je prends la Banque mondiale et l’agriculture. La Banque mondiale a démantelé toute l’agriculture africaine en moins de 20 ans. Aucun régime africain n’en parle. C’est la Banque elle-même qui fait son autocritique, qui décide qu’elle va changer le fusil d’épaule pour nous orienter maintenant vers une agriculture qui accepte l’intervention de l’Etat, avec un peu d’encadrement, de subvention. Mais dans le fond, nous avons abdiqué sur toute la ligne. L’agenda vient de dehors.

Et comment appréciez-vous la force de ce parti qui, comme vous le dites, a fait trente ans au pouvoir ?

Son problème, c’est qu’il ne veut pas prendre en compte les changements intervenus. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout évident que le parti au pouvoir peut se prévaloir d’avoir la majorité de l’opinion de son côté. Ce n’est pas évident !

Ceux qui ne veulent pas voir, ne peuvent pas voir. Mais ce qui s’est passé au stade, c’est ….parlant ; pour ceux qui veulent faire une analyse.

Que s’est-il passé au stade ?

Les jeunes qu’on mobilise aujourd’hui autour des chanteurs, n’ont même pas de carte d’électeur. On a vu le déroulement de l’enrôlement biométrique. Ça veut dire que le pouvoir a failli dans la tâche de mobilisation continue des citoyens autour des questions politiques.

Moi, j’ai été membre du gouvernement du CNR (Conseil national de la Révolution, ndlr) pendant quatre ans. En tant que ministre, on allait acheter des vivres chez les paysans pour constituer le stock de sécurité alimentaire. Il y a donc eu un moment où le peuple et ses gouvernants étaient soudés. Mais, c’est fini ! Aujourd’hui, le divorce est là.

Croire qu’envoyer des chanteurs célèbres au stade du 4 août, montre la force d’un parti politique, je suis désolé ! Je suis un analyste, je ne peux pas me contenter de cela. Je suis obligé de regarder et de me poser des questions. Les journalistes ont bien montré que les gens sont allés au stade pour voir les chanteurs et les danseurs, et n’y ont pas été pour écouter le discours politique.

A vous écouter, on est tenté de dire que le parti au pouvoir n’a plus le monopole de la mobilisation sur l’arène politique. Que dire des autres forces politiques du moment ?

Ecoutez. En tout cas, elles ont montré qu’elles ont la capacité de mobiliser une partie de l’opinion à leurs côtés pour manifester. Au moins, c’est clair.

Maintenant, le seul critère en démocratie pour apprécier le poids politique de chacun, c’est la représentation à travers les urnes. Normalement en 2015, on aura l’épreuve des urnes. Mais, si les partis ne se mettent pas au travail - opposition comme parti au pouvoir - pour accroître la masse de jeunes qui participent à la vie des institutions, qui votent, qui peuvent marquer leur approbation ou leur désapprobation, nous n’allons pas pouvoir constituer une société qui vit, qui affronte ses contradictions en cherchant à les surmonter de façon positive par le haut.

En attendant, dans le contexte actuel où chaque camp mobilise comme vous le dites, pouvez-vous présager d’une tendance claire qui pourrait à un moment prendre le dessus ?

Je rappelle qu’il faut se référer à son passé. C’est au Burkina ici et nulle part ailleurs qu’est intervenu le 3 janvier 1966, le premier soulèvement populaire qui a renversé un président élu en Afrique de l’Ouest. C’est ici que cela s’est passé. Il ne faut jamais l’oublier. Cela peut se reproduire encore. Donc, il faut éviter de créer les conditions favorables à cela. Or, nous sommes en train d’assister à un entêtement pour changer les règles du jeu pendant le match. On estime que comme on est au pouvoir, on peut se permettre de considérer son intérêt personnel comme un intérêt national.

Avec le rapport du Collège des sages, c’est un consensus national qu’on cherchait au-delà des partis politiques pour obtenir l’adhésion des syndicats, des religieux, des coutumiers, et permettre à la société de vivre en harmonie avec ses propres lois. Et aujourd’hui, on nous dit que comme la modification de l’article 37 n’est pas interdite, donc c’est permis. Ce n’est pas non plus dit dans la Constitution qu’il faut le modifier. On a dit qu’on peut modifier la Constitution quand il y a un problème d’intérêt national. Mais ce qui se prépare, le monde entier est témoin, et le dit d’ailleurs tous les jours. Le maintien d’un chef d’Etat n’est pas une question d’intérêt national !

Maintenant, vous pouvez dire que c’est un démiurge, qu’il est irremplaçable. On voit dans les journaux où certains disent qu’ils sont prêts à mourir pour Blaise Compaoré, il faut le maintenir, il est excellent. Ce sont là des expansions d’état d’âme qui ne résistent pas à une analyse politique.

Vous semblez imputer la responsabilité des récentes controverses politiques quelque peu virulentes à un seul camp, celui du pouvoir…

Oui, c’est bien cela ! Je n’accuse pas, ce sont les faits. On a trouvé un compromis dans une Constitution. Ce qui a permis au régime de rester en place. Aujourd’hui, on nous dit que puisqu’il n’a pas été dit qu’on ne doit pas toucher à l’article 37, donc on va le toucher ; parce qu’on ne veut pas que Blaise Compaoré quitte le pouvoir en 2015. En fait, on est dans cette logique. C’est de la provocation ! On agresse notre Constitution. Le président du Conseil économique et social l’a dit clairement au stade qu’ils ont révisé une fois, ils ont révisé deux fois, ils vont réviser trois fois. Il l’a dit. Donc, il ne faut pas inverser les rôles. Nous aussi, on est là, on observe.

Puisque la Constitution ne l’interdit pas ; il a quelque part raison non ?

Je dis bien qu’il y a eu consensus. Le consensus veut dire qu’on sait qu’on peut, mais on ne le fait pas parce que toutes les parties prenantes l’ont décidé ainsi ; c’est tout. C’est de la bienséance, c’est le respect mutuel. C’est l’acceptation qu’une société ne fonctionne pas en s’appuyant uniquement sur une majorité ou sur une minorité. Il faut chercher tout ce qui permet à tout le monde d’être d’accord ; c’est cela qui fait construire une société, tout en sachant qu’on ne peut pas être d’accord sur tout. Mais on cherche le plus petit dénominateur commun pour avancer, c’est tout.

Les acteurs politiques ont fait fi du référentiel historique comme vous l’avez dit, mais comment alors rectifier le tir ?

On a suffisamment épilogué dessus. L’on se rappelle qu’en 1998, le président a demandé aux sages de notre pays pour nous faire des propositions. Et ce sont ces propositions qu’on est en train de remettre en cause aujourd’hui. Cela veut dire qu’on veut créer la situation de 98 ; c’est ce que cela veut dire, ni plus, ni moins. Si aujourd’hui cette velléité de modification de l’article 37 n’existe plus, il n’y aura plus problème.

Mais la modification de l’article 37 de la Constitution ne semble pas être le seul objectif politique affiché ; il y a aussi la question du Sénat qui fait encore l’objet de controverses.

Tout cela est lié. Moi, j’ai été membre de la 2e Chambre qu’on a dissoute pour des raisons farfelues. Personne n’a jamais expliqué scientifiquement que cette Chambre n’avait pas sa raison d’être. C’est une Chambre qui a été victime des états d’âme d’individus qui n’étaient pas contents d’elle.

Il a été dit que cette Chambre, étant donné qu’elle n’avait qu’un rôle consultatif, était pratiquement inutile. Pas suffisant comme raison ?

Ecoutez. On l’a supprimée, le pays est là, il a pu fonctionner sans elle. Moi j’y étais, et j’ai pris acte de cette suppression.

Aujourd’hui, on veut recréer la même Chambre parce qu’on veut réviser l’article 37, parce qu’on veut le maintien du CDP et de son candidat Blaise Compaoré au pouvoir. On est totalement dans un autre scénario.

Voulez-vous dire que vous n’accordez pas de crédit à l’argument selon lequel, c’est le renforcement des institutions qui sous-tend la mise en place du Sénat ?

Non, non, écoutez. Il faut rééquilibrer le jeu politique. Permettre à toutes les parties prenantes de peser de leur poids. Aussi petites soient-elles. Si les magistrats doivent faire des choix pour le Conseil supérieur de la magistrature, il faut leur donner cette place-là. Il ne faut pas que ce soit le président du Faso ou le président de l’Assemblée. C’est leur corps, il faut qu’ils y soient suffisamment représentés.

Le pouvoir fort, le pouvoir fort-là, cherchons à dépasser cela pour construire des institutions fortes. Tout le monde nous l’a dit. Il faut avoir de la hauteur.

« Il faut rééquilibrer le jeu politique ». Que voulez-vous dire, dans un contexte où le rapport de force majorité-opposition est visiblement à l’équilibre ?

Mais il ne faut pas changer les règles du jeu pendant le match ; c’est ce que je veux dire. 2015-là, c’est demain ; il ne faut pas changer les règles : 2015, c’est la fin du deuxième mandat du chef de l’Etat. Et si on dit que 2015 n’est plus la fin, on a changé les règles du jeu.

Mais on n’a pas déséquilibré les forces quand même.

C’est forcé. Si les règles du jeu changent, c’est que le match va se jouer comme disait un professeur, sur un terrain incliné.

Ecoutez, franchement, nous avons la ressource pour nous construire un échiquier politique débarrassé du jeu du plus malin teinté de la volonté de dribler les autres, de tripatouiller la Constitution. La classe politique burkinabè est au-dessus de cela. Elle est mâture. Il faut laisser les institutions se consolider par la pratique en les respectant. Si l’on continue comme cela, on va aller à une 5e, 6e, 7e République comme d’autres. Mais, on n’avancera pas en réalité ; au contraire, on joue pour un individu, pour un clan. L’ensemble de la société n’y participera pas. Déjà, il y a une grande majorité de la population qui ne s’intéresse plus à la politique, qui ne vote pas, qui ne s’inscrit pas sur les listes électorales. Si vous dites que même si c’est 1% qui participe c’est la démocratie, moi je ne crois pas à cela.

Si le référendum venait à être annoncé, quelle serait selon la configuration des rapports de forces sur le terrain ?

Il faut que ce soit annoncé pour qu’on puisse voir ; c’est tout. En tout cas, cela va amener ceux qui ne sont pas d’accord à se manifester.

Aujourd’hui, vous êtes contre la mise en place du Sénat qui serait lié à la volonté de modifier l’article 37, alors que ces questions ont fait l’objet de consensus au sein du CDP dont certaines indiscrétions vous présentaient comme étant un des cerveaux. Comment expliquez-vous votre position actuelle ?

Ecoutez. Il y a un temps pour tout. Il était temps de commencer à l’intérieur du CDP. Il fallait que des gens se lèvent pour dire qu’il ne faut pas franchir ce pas. Moi je suis un dialecticien, je suis un révolutionnaire, je le reste du fond de moi-même.

Je pense que ‘’un se divise en deux’’. C’est la théorie révolutionnaire. Un parti, cela se construit sur fond de courants, de tendances. S’il y a un problème à l’intérieur, cela entraîne des failles. Un se divise en deux, mais deux ne se fusionne pas en un.

On a aussi dit que j’étais le cerveau du CNR. C’est vrai, j’ai fait quatre ans au gouvernement ; mais j’ai aussi fait quatre mois à la gendarmerie, personne ne le dit, personne ne dit qu’on m’a torturé. J’assume mes convictions, c’est tout. Moi, je ne suis pas prisonnier d’un individu. Je ne suis pas quelqu’un, je suis mes idées, je suis mes convictions. Je n’ai jamais été conseiller, ni ministre de Blaise Compaoré.

Mais conseiller du CDP ?

Je n’ai jamais été conseiller spécial du CDP. J’ai été militant du CDP, membre du bureau politique national, membre du secrétariat exécutif national ces dernières années-là ; c’est tout.

Est-ce à dire que vous ne cautionniez pas les sorties récurrentes des membres de ce parti pour clamer haut et fort que l’article 37 sera modifié ?

Ecoutez, écoutez ; moi je ne suis pas de ceux qui disent que les diables c’est les autres. Je peux me tromper, j’ai pu me tromper. Je peux prendre une mauvaise direction ; mais je m’en voudrais de ne pas être capable, lorsque je vois que ce n’est pas la bonne direction, de dire non, je me suis tromper, il faut changer de direction. Je dois des comptes à moi-même, pas à mes détracteurs.

Quelle lecture faites-vous sur la prolifération de mouvements de la société civile dont certains se réclament publiquement de tel ou tel camp politique ?

Pour moi, il n’y a pas de muraille de Chine entre la société civile et les partis politiques. En vérité, quand vous regardez l’histoire de nos pays, ce sont les mêmes qui animent partout. Houphouët Boigny a été le président du syndicat des planteurs de la Côte-d’Ivoire, avant d’être Secrétaire général du parti démocratique de Côte-d’Ivoire. Joseph Ouédraogo, ‘’Jo Ouéder’’ a été Secrétaire général de son syndicat, député-maire de Ouagadougou, ministre.

Personnellement, je ne crois pas à l’apolitisme absolu ; je n’y crois pas. Je crois plutôt que c’est une question de dosage entre syndicats et partis politiques. On a vu des syndicats dépasser leurs missions premières pour se lancer dans la politique.

Travaillons seulement à construire un socle solide, qui permette à la société d’évoluer harmonieusement. Sinon, le débat d’idées, vous le trouverez partout. Tout ceci participe de la vitalité de la société.

Vous êtes à la retraite il y a déjà quelques mois. Comment vivez-vous cette nouvelle page de votre vie ?

Si vous me regardez bien, vous saurez que je me porte bien. Je n’ai plus d’angoisse, je n’ai plus de supérieur hiérarchique. Je dors à l’heure où je veux, je me réveille à l’heure où je veux. Je mange les repas qui me plaisent ; je ne suis pas obligé de courir à 7h pour aller m’asseoir au bureau même si je n’ai rien à faire.

En tout cas, je me porte bien. Je me reconvertis tranquillement. Dans mon village, j’élève, je cultive. Je m’occupe bien.

Entretien réalisé par Fulbert Paré

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