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Hermann Yaméogo, président de l’UNDD, un « survivant » avec des « bleus à l’âme » (3/3)

Publié le vendredi 13 juin 2014 à 00h32min

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Hermann Yaméogo, président de l’UNDD, un « survivant » avec des « bleus à l’âme » (3/3)

Parce que « l’alternance » au Burkina Faso serait une situation « à risques », Hermann Yaméogo, président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD), souhaite une « transition constitutionnelle » résultant d’une « démocratie consensuelle » et s’exprimant au sein d’un « gouvernement du Front républicain ». Un « Front républicain » rendu possible (et nécessaire) aujourd’hui par le départ du CDP des fondateurs du MPP. Il doit permettre une « prolongation de mandat » de deux ans. C’est Hermann qui développe cette théorie.

Inattendu de la part d’un homme qui n’apparaissait plus sur le devant de la scène politique et dont on avait gardé le souvenir d’un opposant affirmé même si, au long de sa carrière, il a fait le « yoyo » entre pouvoir et opposition. Il revendique, d’ailleurs, avoir été un opposant en un temps où cela avait une signification. Rien à voir, dit-il, avec la « floraison » d’opposants que connaît aujourd’hui le Burkina Faso alors que « faire de l’opposition est devenu une promenade de santé ».

Il n’y a, dit-il, que Soumane Touré (figure de la « Révolution » sankariste, aujourd’hui secrétaire général du Parti de l’indépendance, du travail et de la justice/PITJ et lui aussi partisan d’une « transition politique, pacifique, démocratique ») qui lui en impose « par le nombre et la durée de ses incarcérations, son courage, la fermeté dans ses engagements… » (au passage, on s’étonnera d’ailleurs de cet hommage de Hermann à Sankara : « Les prouesses humaines ne sont-elles pas à l’origine de la plupart des utopies ? Un nommé Thomas Sankara en faisait la démonstration au jour le jour dans ses propos et actions »).

CDP-UNDD même combat ? On pourrait le croire. Mais Hermann rappelle que, depuis son congrès de 2005, son parti est « un parti social démocratique […] qui se situe dans l’opposition depuis l’avènement de la IVè République ». Vous avez dit opposition ? Difficile de trouver moins radical que Hermann. « Du point de vue de la gestion au plan économique, le Burkina s’en tire relativement bien », affirme-t-il. Et quand on lui rétorque les « mesures sociales » décidées par le gouvernement le 24 mars 2014 n’ont guère d’impact sur le niveau de vie des populations, il vole aussitôt au secours du gouvernement en affirmant : « Il est bon de savoir que pour ces dernières mesures, il y a eu des problèmes avec les bailleurs de fonds. Ils ont failli fermer le robinet. Il faut toujours jouer de persuasion pour leur montrer la nécessité d’aller plus en avant ».

Il est même O.K. en ce qui concerne la médiation menée par Blaise Compaoré au Mali : « Il n’a pas eu tort pour plusieurs raisons » : expérience, sollicitation internationale, voisinage… Il dit même : « Actuellement, aucune médiation, même si il y avait transfert de médiation vers d’autres pays, ne peut se faire dans la méconnaissance du rôle du Burkina Faso. Même si c’est en arrière-plan, il faudrait toujours tenir compte de notre expertise et de notre point de vue ». Cependant, il souligne : « Mais je trouve peut-être qu’il [Blaise Compaoré] aurait mieux fait de prospecter la voie d’une médiation domiciliée à Bamako. Il l’a déjà fait au Togo, moi j’y étais, je suis resté quelques mois là-bas pendant la crise en tant que président du comité de suivi ».
On se souvient que lors de la « crise ivoiro-ivoirienne », Hermann avait eu fortement tendance à jouer Laurent Gbagbo contre Blaise Compaoré et, certains aiment à le dire, la Côte d’Ivoire contre le Burkina Faso (ce qui avait été, aussi, une tendance chez son papa !).

Aujourd’hui, Hermann reste préoccupé par la situation qui prévaut en Côte d’Ivoire. « Sachez que je me réjouis que ce pays-frère gagne en stabilisation. Pour autant, je n’ai jamais beaucoup approuvé que la communauté internationale nous impose ses choix politiques » faisant référence au coup de pouce donné à Alassane D. Ouattara pour qu’il accède au pouvoir face à Gbagbo. Il ajoute : « Il y a toujours une tentation de certaines puissances occidentales de croire qu’elles ont le monopole de la vérité, de la démocratie et d’encourager en sous-main peut-être des crises et même des guerres qui se révèlent désastreuses ». Il illustre ses propos par ce qui se passe en Libye, en Syrie et en Ukraine.

Pour en revenir à la Côte d’Ivoire, il pense que « la libération de Gbagbo pourrait lui permettre effectivement d’emboîter le pas de la reconstruction nationale dans la réconciliation ». Il dit d’ailleurs que le pouvoir ivoirien « n’est pas opposé » à la « réconciliation » avec le FPI et assurre en « parler souvent directement » avec Affi N’Guessan, actuel patron du FPI, « ou par l’entremise de notre représentant en Côte d’Ivoire, Dominique Gnissi ». Autant dire que cette réconciliation qu’il prône, et qu’il dit possible, entre le RDR au pouvoir à Abidjan et le FPI dans l’opposition, après une « guerre des chefs » particulièrement longue et meurtrière pour les populations ivoiriennes, l’est bien plus encore entre le CDP au pouvoir à Ouagadougou et l’UNDD dans l’opposition. C’est tout l’enjeu du « Front républicain » qui vise à « stabiliser » la vie politique par la négociation bien plus que ne peuvent le faire les élections. Exemple : le Sénégal. « Quand Abdou Diouf devait partir du pouvoir, il y a eu des choses qui se sont négociées avec Wade et la communauté internationale. Il faut intégrer cette dimension dans nos Etats et ne pas croire que par le simple fait des élections, les choses vont se stabiliser ». La présidentielle de 2010 en est l’expression : son bon déroulement n’a pas empêché le drame des « mutineries » de 2011 puis l’implosion du CDP.

« Même si c’est avec des bleus à l’âme, j’ai survécu » clame Hermann Yaméogo devant la rédaction de Sidwaya. Ces « bleus à l’âme » sont essentiels. Ils inscrivent Hermann et l’UNDD dans la continuité historique, de la Haute-Volta jusqu’au Burkina Faso, sans faire l’impasse, d’ailleurs, sur la « Révolution » sankariste, la « Rectification », le « Front populaire »… autant d’étapes dans la longue marche politique et sociale de ce pays auxquelles Yaméogo a participé ; même si ce fut parfois à son corps défendant. Nous assistons aujourd’hui à une reconfiguration politique du monde contemporain.

Les démocraties occidentales, présentées comme « le » modèle, sont en panne ; parfois même totalement déglinguées. La France, « le » modèle au sein du modèle, le pays de la « grande révolution », des « droits de l’homme », ne sait plus à quel parti se vouer et fini par choisir le plus anti-démocratique, le plus anti-européen et le plus xénophobe. L’Afrique du Nord n’a pas encore accouché, après le « printemps arabe » de 2011, d’un nouveau mode de production politique et le cherche encore, souvent dans la douleur et la souffrance. L’Afrique de l’Ouest est confrontée à la plus grave crise collective depuis les indépendances : aucun pays n’est épargné même si de Dakar à Niamey et de Nouakchott à Abuja ces crises prennent des formes différentes et ont des ampleurs sans commune mesure. L’Afrique centrale, que l’on pouvait croire épargnée ces dernières années, sombre à son tour dans le chaos, minée par la crise centrafricaine, la piraterie dans le golfe de Guinée, Boko Haram… sans oublier le cancer que représentent l’Est de la RDC et la région des Grands Lacs.

Dans ce contexte, Hermann Yaméogo propose autre chose, en rupture avec les pratiques politiques habituelles. C’est très dérangeant. D’autant plus dérangeant que dans cette affaire, Hermann met en cause « les médias, les réseaux sociaux, les intellectuels… ». Sidwaya d’ailleurs ne s’y trompe pas. Il a choisi de titrer sur cette mise en cause ce long entretien de douze pages. « Il y a là une dérive grave qui peut porter préjudice à notre système de gouvernance » estime Hermann. C’est vrai à Ouagadougou comme ailleurs, Paris, Londres, Berlin, New York…

Dans ce monde contemporain dont on nous affirme qu’il est « globalisé », « mondialisé » et « connecté », il est des mots dont on ne sait plus ce qu’ils signifient : peuple et politique. Je ne suis pas certain que Hermann ait la réponse à nos interrogations. Il a le mérite de s’interroger et de proposer une réponse qui s’appuie sur une réflexion qui ne manque pas de cohérence.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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