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Soumeylou Boubèye Maïga, l’incontournable du gouvernement malien (1/3)

Publié le lundi 26 mai 2014 à 17h30min

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Soumeylou Boubèye Maïga, l’incontournable du gouvernement malien (1/3)

Il est au sein des différents gouvernements d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le ministre « dinosaure ». L’homme qui a vécu toutes les expériences politiques du Mali. Depuis l’accession au pouvoir d’IBK, il est le numéro deux du gouvernement en charge de la Défense et des Anciens combattants. Un job qu’il a exercé sous Alpha Oumar Konaré. Dans un contexte plus serein.

Aujourd’hui, il est le patron d’une armée qui a été mise en déroute, humiliée, divisée, auteur d’un coup d’Etat foireux et de mutineries à répétition mais incapable de s’opposer à la conquête du territoire par le MNLA puis des groupuscules terroristes et islamistes radicaux ; une armée ridiculisée par la promotion au grade de général de corps d’armée du capitaine Amadou Haya Sanogo avant que celui-ci ne soit incarcéré et inculpé après la découverte de charniers. Bientôt rejoint par l’ancien ministre de la Défense de la transition, le général Yamoussa Camara, chef d’état-major particulier d’IBK. Ajoutons à cela l’indiscipline de la troupe, les frustrations liées à des promotions clientélistes ou familiales, un commandement incompétent et corrompu…

Autant dire que la tâche de Soumeylou Boubèye Maïga, dit SBM, est délicate. Il lui faut refonder l’armée alors que la chaîne de commandement a été sclérosée par la junte qui, par ailleurs, a entrepris de politiser la troupe. Dans un contexte sécuritaire qui, de Bamako à Kidal, reste aléatoire. Ajoutons que la proximité entre IBK et la junte – jusqu’à l’arrestation de Sanogo et de quelques autres – pouvait laisser penser que le ministre de la Défense n’aurait pas toute la liberté d’action requise. Avec doigté, SBM, qui avait fait l’impasse sur la présidentielle 2013, a entrepris, depuis son entrée au gouvernement d’Oumar Tatam Ly le 8 septembre 2013, de ne pas faire d’ombre au chef de l’Etat ; ni de vagues médiatiques et encore moins diplomatiques. Conscient qu’il était urgent de s’atteler à l’immense tâche de refondation de l’armée malienne, SBM est plus « taiseux » que jamais. Pourtant le « tigre », comme on l’appelait au temps où il était un « subversif », ne rechigne jamais à feuler, rauquer, râler ou rugir.

Né à Gao, le 8 juin 1954, après ses études au lycée de Badalabougou, à Bamako, il va se former au journalisme au CESTI à Dakar, obtenir un DESS en diplomatie et administration des organisations internationales à l’université Paris-Sud et un diplôme de relations économiques internationales à l’Institut international d’administration publique (IIAP) de Paris. De retour au Mali, il va travailler à L’Essor, quotidien national, puis sera rédacteur en chef du mensuel Sunjata, éphémère publication d’Etat. Membre du Parti malien du travail (PMT), marxiste-léniniste, en pointe contre Moussa Traoré au début de la décennie 1990 (on se souvient de son : « Plutôt la mort que la honte »), il sera le conseiller spécial d’Amadou Toumani Touré (ATT), président du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), d’avril 1991 à juin 1992.

Membre fondateur de l’Alliance pour la démocratie au Mali/Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA/PASJ), il en sera un des vice-présidents et lorsqu’Alpha Oumar Konaré sera élu à la présidence de la République, il deviendra son chef de cabinet (les deux hommes se connaissent depuis les années 1970, l’un ayant été l’élève de l’autre). Peu de temps ; en janvier 1993, il va être nommé directeur général de la sécurité d’Etat (DGSE) avant d’obtenir le portefeuille des Forces armées et des Anciens combattants, le 21 février 2000, dans le gouvernement de Mandé Sidibé qui a succédé à la primature à IBK.

A l’issue des deux mandats d’Alpha Oumar Konaré, SBM sera candidat à la candidature au titre de l’ADEMA/PASJ. Mais c’est Soumaïla Cissé (ami de SBM ; ils se connaissent depuis 1984) qui sera choisi et, finalement, c’est Amadou Toumani Touré, « candidat indépendant », qui l’emportera en 2002 (IBK sera troisième de cette présidentielle ; il soutiendra ATT lors du second tour, ce qui lui vaudra la présidence de l’Assemblée nationale). Pour SBM c’est la traversée du désert. Dans la perspective de la présidentielle 2007, l’ADEMA soutiendra d’emblée ATT ; SBM qui entend également être candidat va fonder « Convergence 2007 » pour soutenir sa candidature. Du même coup, il va se retrouver exclu de l’ADEMA avec plusieurs de ses sympathisants.

ATT va l’emporter dès le premier tour ; SBM termine en sixième position avec seulement 1,46 % des suffrages. Le recours déposé par l’ensemble des candidats de l’opposition (y compris, cette fois, IBK) va être rejeté par le Conseil constitutionnel le 12 mai 2007. SBM va alors se consacrer à ses activités de réflexions géostratégiques. Cependant, le 6 avril 2011, il reviendra au gouvernement (celui de Cissé Mariam Kaïdama Sidibé), au poste de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale. A ce portefeuille, il remplaçait un diplomate de carrière, Moctar Ouane*, qui assumait cette fonction depuis le 2 mai 2004. Voilà donc, aujourd’hui, sous l’ère IBK, SBM ministre à nouveau, en charge de la Défense.

Ce qui ne saurait étonner (même si, dans les années 1990, on écrivait que SBM ne « portait pas IBK dans son cœur »). Dès la lutte contre le régime de Moussa Traoré, alors que l’ADEMA n’était encore qu’une association (elle a été créée en 1990), SBM, alors troisième vice-président, avait été chargé des « liaisons » avec l’armée. C’est que ses connexions avec les militaires étaient anciennes, au temps du Parti malien du travail (PMT), organisation clandestine, et de la publication de son journal : Le Bulletin du Peuple, fabriqué à Dakar. Dès 1979, il avait noué des contacts avec ATT et c’est pourquoi il s’est trouvé être son conseiller spécial en 1991-1992.

C’est aussi un parfait connaisseur de la situation qui prévaut dans le Nord-Mali. Il a fondé l’Observatoire sahélo-saharien de géopolitique et de stratégie, qu’il préside, et milite en faveur de « la réévaluation du statut géostratégique de l’Espace sahélo-saharien (ESS) » qui, dit-il, « depuis les attentats du 11 septembre 2001, repose principalement sur trois considérations : la configuration géographique [pour lui l’ESS s’étend sur 2.400 km de l’Atlantique à la mer Rouge, de la Mauritanie à la Somalie], le contexte socio-sécuritaire et régional et la lutte contre le terrorisme international, l’imbrication des luttes internes et des rivalités externes pour le contrôle des ressources naturelles ». Dès décembre 2008, il dénonçait le fait que l’ESS était « à la fois une passerelle et un sanctuaire offrant aux groupes mafieux et terroristes des facilités logistiques étendues : transfert de la drogue provenant d’Amérique du Sud ; carrefours de différents courants migratoires vers l’Europe ; zone de repli pour preneurs d’otages ; organisation de filières d’acheminement de combattants, de fonds et d’armes vers différents théâtres de conflits, etc. ».

A la suite de l’allégeance de l’ex-GSPC à Al-Qaïda (pour fonder AQMI) et de « l’extension des connexions Al-Qaïdistes qui résultent de cette évolution », il considérait qu’il y avait un risque que la région se transforme « en théâtre d’une violence accrue » du fait des maux qui minent les Etats locaux : « fragilité des systèmes démocratiques, faiblesse et/ou effondrement des institutions étatiques, instrumentalisation des différences identitaires, lutte pour le contrôle des ressources et criminalisation des circuits économiques et financiers, activisme religieux, paupérisation accrue des populations ».

* Moctar Ouane a été nommé, au début de l’année 2014, conseiller diplomatique d’Aguibou Soumaré, le président de la Commission de l’UEMOA. Cet ancien ambassadeur auprès des Nations unies (1995-2002), avait lancé, le 27 mars 2012, un appel à un « rassemblement des forces de progrès », considérant que « face à la situation politique créée au lendemain du 22 mars 2012, nous devons prendre garde de ne pas favoriser une nouvelle césure politique qui pourrait dangereusement conduire à une autre division entre Maliens alors même que la menace de la partition du pays n’est pas encore écartée ». Son éviction des Affaires étrangères résultait, disait-on, de sa mauvaise gestion du dossier des « otages français » qui avait conduit Paris à
déconseiller le Mali comme destination touristique.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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