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Alain Bagré, chef sortant du projet ZACA : « Ce n’est pas l’Etat qui expulse, c’est le marché »

Publié le vendredi 4 février 2005 à 07h44min

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La direction du Projet de la zone d’activités commerciales et administratives (ZACA) change de responsable. Alain Bagré, qui a conduit le projet jusqu’à ce jour, passe le témoin à Isaac Drabo. Nous l’avons rencontré avant la passation de service.

Il nous a livré ses sentiments sur le travail accompli et le développement de la ville qui obéit, avant tout, à la loi du marché.

Avant d’occuper les fonctions de chef du projet ZACA, à quel poste de responsabilité étiez-vous ?

• Avant d’aller au projet ZACA j’étais directeur de l’analyse et des statistiques urbaines à la direction générale de l’urbanisme, devenue la direction de l’habitat. J’ai ainsi contribué à la création du projet et à sa mise en place. Je suis resté dans cette direction de 1991 à juin 2000. Ensuite on m’a confié la gestion du projet ZACA que je connaissais déjà un peu à travers mes activités au sein de la direction de l’urbanisme.

Comment avez-vous accueilli votre nomination au poste de directeur du projet ZACA ?

• Quand on m’a suggéré de m’occuper du projet ZACA, j’ai considéré cela comme une mission normale d’urbanisme, donc je ne me suis pas senti investi d’une mission spéciale.

Quel effet cela vous fait de voir ces espaces vides de la ZACA qui sont devenus des repères de délinquants qui y opèrent la nuit venue ? Est-ce que des mesures ont été prises pour sécuriser les lieux ?

• Il faut dire que la question des espaces vide une est phase inévitable. Pour les mesures de sécurisation, on a essayé d’éclairer un tant soit peu la zone. Mais vous savez que la ville, de par sa nature et dans certaines conditions, rime avec l’insécurité. Et l’insécurité ne concerne pas seulement que le site de la ZACA, elle existe aussi dans les quartiers périphériques et même dans certains quartiers du centre ville. C’est vrai que l’espace vide offre beaucoup plus de possibilité aux bandits. Mais il y a des précautions que les populations doivent prendre. Du reste, on a demandé aux services de sécurité de nous prêter main forte dans le cadre global de la lutte contre le banditisme.

Après le départ des populations de la ZACA, à quel stade du projet êtes-vous ?

• Le projet a pu recenser et dédommager 2000 parcelles. Et selon le plan de lotissement, 262 parcelles ont été dégagées par la suite. Ces parcelles ont fait l’objet d’un lotissement. L’opération de lotissement s’est achevée avec le bornage des parcelles depuis le 12 janvier dernier. Il y a des études pour la question des voiries, des réseaux d’eau potable, d’assainissement et d’électricité. Les gens sont certainement pressés de voir des maisons sortir de terre. Mais avant qu’il y ait les constructions, le bitumage des voies..., il y a une série d’études préalables et de réflexion à mener. On est à ce stade et tout ceci sera fini d’ici peu.

Vous quittez aujourd’hui le projet ZACA, pour quelle destination ?

• Je suis un fonctionnaire de l’Etat burkinabè. Il y a le service de l’urbanisme, mais je n’ai pas de destination spéciale. Ma destination c’est donc la Fonction publique, sauf si pour diverses raisons, je suis appelé à occuper d’autres fonctions autres que celles de mon domaine. Je pense que dans l’administration les missions qui sont confiées ne sont pas éternelles ; où que l’on soit, on doit s’attendre à ce que ça change, c’est dans la logique normale du fonctionnement même d’un organisme social.

Quand on jette un regard en arrière, on a encore en mémoire quelques moments chauds qui ont marqué le début du projet. Le plus difficile semble appartenir à l’histoire. N’avez-vous pas le sentiment d’avoir tiré les marrons du feu ?

• Tiré les marrons du feu, c’est trop dire. Dans un projet de ce genre, ce que vous appelez tirer les marrons du feu, fait partie du projet lui-même. Si ce n’était pas moi, quelqu’un d’autre l’aurait fait. De ce point de vue, en ayant fait le travail, je considère que je l’ai fait dans le cadre de mon métier d’urbaniste. Au contraire, j’ai appris beaucoup de choses à cette occasion. J’ai également connu des gens de diverses conditions et ça, c’est un acquis que je pense être irremplaçable, aussi bien pour ma propre expérience professionnelle que personnelle. C’est un passage dans ma vie que je garderai longtemps en mémoire.

Avez-vous des anecdotes concernant le projet ZACA ?

• Des anecdotes, il n’en manque pas. Mais il serait fastidieux dans le cadre de cet entretien d’en faire l’inventaire. Si j’ai l’opportunité, peut-être que je ferai un petit écrit qui permettrait d’évoquer certaines anecdotes qui serviraient certainement de leçons pour les professionnels de l’urbanisme. Car quoi qu’on dise, le projet ZACA participe à écrire l’histoire de l’urbanisme dans notre pays. Je vous conte à titre d’exemple, une anecdote sur la question du partage des indemnisations. Certaines vieilles personnes, un jour, sont venues nous voir pour le règlement de leur indemnisation.

Après que tout eut été fait chez le notaire, conformément à la loi, elle retournent à la maison où on leur demanda de mettre à l’écart l’acte notarial, parce que le partage sera fait selon le Coran ou comme l’exige la coutume. Les vieilles en larme, revinrent nous voir et quand on leur dit de ne pas accepter cette façon de faire, elles ont répondu qu’elles se verraient chassées de la maison si le partage n’était pas effectué selon le Coran ou la coutume.

Vous est-il arrivé d’aller sur la trame d’accueil de la ZACA ? Quel accueil vous a-t-on réservé ?

• Depuis que les gens ont commencé la mise en valeur de leur parcelle à la trame d’accueil, j’y vais pratiquement tous les dimanches après-midi. Lorsqu’on m’invite pour les inaugurations ou pour la bénédiction de certaines maisons, j’y vais et l’accueil est à chaque fois convivial et très chaleureux. Il faut le voir pour le croire, l’endroit est convivial.

Quel est l’état de vos rapports avec l’imam Bangré ?

• Mes rapports avec l’imam Bangré sont de très bons rapports. Quand j’ai l’occasion, je passe lui rendre visite. On n’hésite pas à s’enquérir de l’état de santé de l’un ou de l’autre.

Quelle est votre conception du développement d’une ville ?

• La ville est le produit de l’évolution historique, économique et sociale. Si bien que chaque ville est unique en son genre, parce qu’elle a sa propre histoire et se développe dans des conditions économiques données, qui font que si on est urbaniste, on ne peut qu’accompagner ce mouvement. Je pense que la meilleure ville, c’est celle qui prend en compte les préoccupations bien comprises des populations. Quoi qu’on dise, la ville est un centre culturel, mais aussi un lieu d’opportunité d’emplois. Bref, la ville est un facteur de développement technologique, culturel, spirituel et social ; prise comme tel, elle est un lieu où l’on accepte que les gens participent au développement, expriment leurs besoins. Telle est ma vision de la ville.

Revenons au projet ZACA. M. Bagré, quel est le sort des quartiers limitrophes de la ZACA ?

• Le projet ZACA est comme une histoire de tache d’huile, puisque ce projet est le résultat des actions qui ont été menées autour du marché Rood Woko, sur l’avenue Kwamé N’krumah et qui fait tache d’huile. On voit déjà dans les quartiers limitrophes se développer une intense activité en matière de marché foncier, d’immobilier ; il faut donc encadrer tout cela pour éviter d’en arriver à la situation de la ZACA, où les choses sont allées très vite et dans un désordre qui s’était plus ou moins installé, sans des équipements d’accompagnement.

Il y a un arrêté qui a été pris qui suspend la délivrance des autorisations de construire dans les quartiers limitrophes, pour que toute nouvelle construction puisse déjà prendre en compte le plan d’aménagement de la ZACA. Cela ne veut pas dire que ça sera fait exactement comme le plan d’aménagement l’exige, mais c’est pour qu’il y ait un minimum d’harmonie et que les autorités puissent avoir les moyens de contrôler ou d’acquérir éventuellement des parcelles que des gens viendraient à vendre, pour y implanter des équipements publics en ces lieux.

Est-ce à dire que les habitants des quartiers limitrophes seront amenés à partir comme ceux de la ZACA ?

• La décision à prendre de partir ou de ne pas partir est une décision qui ne m’appartient pas. Que cette décision soit prise ou pas, la ville se développe comme un corps social indépendamment de notre volonté et la question de la mobilité dans la ville ne concerne pas seulement les individus et les marchandises, mais concerne aussi la propriété foncière.

Si la propriété foncière connaît une certaine mobilité et même en centre ville une concentration, il va de soi que même sans l’intervention de l’Etat, ceux qui vendent leurs parcelles s’en vont ; ce n’est pas l’Etat qui les chasse, c’est le marché qui les fait partir. De ce point de vue, c’est une dynamique économique inévitable. Sans présager des mesures globales qui peuvent être prises, beaucoup de gens vont finir par quitter les lieux, de leur propre gré. C’est du reste un facteur inhérent au développement des villes.

A qui le projet vend ses parcelles ?

• Le projet ZACA vend ses parcelles à celui qui a de l’argent et qui peut payer. On a eu l’occasion de le dire, le mètre carré de parcelle coûte 1000 FCFA, cela veut dire qu’une parcelle de 500 m2 coûte 50 millions de FCFA. Il n’est donc pas donné à tout le monde de s’acheter un terrain à la ZACA. Mais la loi au Burkina ne fait pas de distinction en terme de nationalité, de sexes, et de races ; toute personne qui est en mesure de payer peut donc se procurer des parcelles que le projet commercialise.

A l’évidence donc Ouagadougou ne sera plus une ville pour les pauvres !

• Il ne peut pas y avoir de villes où il n’y a pas de pauvres, ce n’est pas possible, parce que le pauvre qui vient en ville pense lui aussi, qu’un jour il peut devenir riche. Si vous poser la question à certaines personnes qui mendient à côté des feux tricolores, elles vous diront qu’elles préfèrent être à Ouagadougou, parce que la chance que quelqu’un leur donne quelque chose est plus grande dans la ville qu’au village. De toutes les façons, tout le monde à Ouagadougou ne sera certainement pas propriétaire d’immeubles.

Combien de parcelles ont déjà été vendues ?

• Sur les 262 parcelles dégagées, le projet en a déjà vendu près de 165.

Pour quel coût ?

• A chaud je ne peux pas vous le dire.

Quelles sont les conditions de vente des parcelles ?

• La personne qui est intéressée par une parcelle paye une souscription égale à 30 % au minimum de la valeur indicative de la parcelle. Cela veut dire que celui qui veut une parcelle de 100 millions de FCFA, paye 30 millions de FCFA à la réservation et il a un an pour s’acquitter des 70 % restant.

Avez-vous acheté une parcelle à la ZACA ?

• Votre question me fait rire. Non, je n’ai pas les moyens d’acheter une parcelle à la ZACA. Pas même la plus petite parcelle qui coûte 50 millions. Où vais-je trouver cet argent ? A l’état actuel je ne peux acheter de parcelles dans cette zone.

Vous passez le témoin à Isaac Drabo, est-ce que toutes les questions litigieuses ont été réglées ?

• Vous savez, dans une administration, on ne peut pas tout régler avant de passer témoin. L’administration est une continuité, à cet effet, les problèmes en suspens seront également pris en charge par mon successeur dont je ne doute pas des compétences à gérer le projet.

Pour conduire le projet ZACA, si vous avez certainement bénéficié de l’appui des autorités politiques du pays des pressions n’ont pas manqué !

• Un projet de ce genre fait partie de la dynamique du développement urbain. Mais aussi, l’urbanisme est un acte de pouvoir, c’est le b.a. ba qui est enseigné dans les écoles de l’urbanisme. Certaines choses sont le fait du prince ; ça veut dire que l’appui des plus hautes autorités politiques est extrêmement important pour la réalisation du projet. Et sans cet appui, ce qui a été fait n’aurait pas pu l’être. Les pressions sont inévitables, parce que les enjeux sont importants ; ils sont d’abord économiques. Les parcelles de la ZACA sont des parcelles qui, au départ, avaient été attribuées, peut-être à 525, ou à 10 000 FCFA pour le PUH et qui, aujourd’hui, coûtent des dizaines de millions de francs.

Il va de soi qu’il y ait des pressions de la part des propriétaires de parcelles pour qu’on évalue leur parcelle au prix fort afin qu’ils gagnent beaucoup plus d’argent, parce qu’ils croient que c’est l’occasion pour eux de sortir de la misère totale, définitivement. Il y a aussi des enjeux politiques. Quand il y a eu des manifestations, la plupart des organisations politiques ont pris position. Autant de choses qui constituent des pressions et quand vous êtes à la tête d’un projet comme celui de la ZACA, vous êtes au centre et vous subissez les pressions. C’est normal.

Au moment où vous quittez ce projet quels sont les sentiments qui vous animent ?

• Je voudrais d’abord souhaiter du succès à mon successeur, pour que les ambitions du projet puissent être réalisées et que le projet contribue à faire participer la ville de Ouagadougou à la compétition entre les villes, parce que c’est une question de positionnement, et d’image. Les infrastructures et les équipements qui seront réalisés dans le cadre de la ZACA, participent en tout cas à créer beaucoup d’opportunités pour les habitants et c’est en ce sens que le projet est créateur d’emplois, indépendamment des chantiers qui vont générer des emplois juste pour la période d’exécution des travaux de constructions. Il y a aussi que l’expertise sera développée, parce que la mise en œuvre des chantiers va contribuer à faire acquérir à nos bâtisseurs, aussi bien les ingénieurs, les ouvriers que les tacherons une certaine expertise.

Je voudrais profiter de l’occasion que vous m’offrez pour remercier tous les acteurs qui nous ont aidé ; je pense en particulier à la presse qui a permis à ce que l’aménagement urbain puisse devenir un sujet de débats publics. Ces débats ont permis, à différents niveaux, depuis les autorités jusqu’à l’homme de la rue de cerner la complexité des aménagements urbains. Cela va certainement servir de leçons pour d’autres projets ou programmes d’aménagements. Il serait à mon sens utile, de saisir la balle au bond, pour susciter au sein de la presse des spécialistes des questions d’aménagement urbain.

Pour ce faire, pourquoi pas ne pas faire bénéficier à des hommes de médias de formations à l’école des métiers d’architecture et de l’urbanisme ; pas pour qu’ils deviennent des architectes, mais pour qu’ils connaissent mieux les questions de l’urbanisme. C’est, en toute modestie, mon souhait. Je voudrais terminer en disant que si au cours des différents débats qui ont eu lieu sur le projet, il y a eu des propos déplacés et des comportements qui n’ont pas plu à des gens, qu’ils sachent que cela n’a pas été délibérément fait.

Entretien réalisé par Agnan Kayorgo
L’Observateur

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