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Pr Alain Nidaoua Sawadogo, : « L’heure de la grenade est révolue… »

Publié le jeudi 27 février 2014 à 00h52min

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Pr  Alain Nidaoua Sawadogo, : « L’heure de la grenade est révolue… »

Le Professeur Alain Nidaoua Sawadogo, 68 ans, est Professeur titulaire d’hydro-géologie à la retraite. Démissionnaire du PDP/PS, le parti du Professeur Joseph Ki-Zerbo, il est membre fondateur du Rassemblement pour la démocratie et le socialisme (RDS). Ancien recteur de l’Université de Ouagadougou de 1987 à 1990, c’est sous lui que se sont déroulés les événements de mai 90 ayant conduit à la mort de l’étudiant de 7e année de médecine, Dabo Boukary. Membre fondateur de l’ODP/MT, il est aussi l’ancien compagnon de feu Oumarou Clément Ouédraogo, le leader du Parti du travail du Burkina (PTB) assassiné en décembre 1991 alors qu’il venait d’assumer -il y avait à peine quelques mois- sa dissidence avec l’ODP/MT, le parti présidentiel.

Alain Nidaoua Sawadogo est donc un acteur de choix de l’histoire du Front populaire et de la IVè République. Il a accepté se prononcer sur l’affaire Dabo Boukary qui fait l’actualité judiciaire et politique. Il donne surtout son avis sur l’évolution politique en cours marquée par la dissidence des anciens ténors du parti au pouvoir qui ont fondé le MPP. C’est un témoignage d’un pionnier de la dissidence avec le régime Compaoré qui ne manque pas de souligner que « le temps des assassinats à la grenade est terminé ».

L’actualité politique est dominée ces derniers temps par la création du parti des démissionnaires du CDP, notamment le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et la création du Front républicain incarné par le CDP et d’autres partis. Qu’est-ce qui, à vos yeux, constitue un événement et pourquoi ?

Mon point de vue sur ces sujets pourrait paraitre partisan eu égard à ma qualité. Mais qu’à cela ne tienne, l’événement pour moi, c’est la création du MPP. J’ai apprécié le courage de ces camarades -que je connais de longue date- pour avoir fait le saut qualitatif qui était le leur en quittant déjà le CDP comme nous on a quitté l’ODP/MT en 1990. La création du Front est un non événement dans la mesure où le Front a commencé à se fissurer avant sa mise en place ; et cela, parce que l’ADF/RDA me semble-t-il, était une des composantes attendue au niveau de ce Front. C’est un non événement au regard aussi de la composition et de la représentativité des « Frontistes ». Il semble qu’ils sont 40. Je ne veux certes minimiser personne, mais je vous parie que parmi eux, il y a des partis dont les militants ne peuvent pas remplir mon salon.

Par contre, la création du MPP a été un événement très important qui est signe de courage, de volonté et qui est aussi signe de patriotisme. Parce qu’à un moment donné, il faut savoir prendre les bonnes décisions pour sa vie et pour la nation. J’ai côtoyé d’illustres personnalités politiques du Yatenga, notamment le vieux Bougraoua Ouédraogo qui disait que « la vie est option et engagement ». Dès lors que vous avez opté avec lucidité, vous devez aussi vous engager résolument. Je pense bien que leur démarche procède de cette façon de voir la vie.

Quand nous créions l’ODP/MT en mars 1989, des 75 qui ont rendu leur démission du CDP, il n’y avait pas 10. Le 15 mars 1989, à notre Assemblée générale constitutive pour créer l’ODP/MT à la Patte d’Oie, nous étions 30. Soit une composante militaire de 15 personnes et une composante civile de 15 personnes avec Oumarou Clément Ouédraogo comme secrétaire général. Donc l’événement, c’est bien le départ des anciens cadres du CDP et la création de leur parti, le MPP.

Vous avez quitté l’ODP/MT en 1990 avec le Professeur Oumarou Clément Ouédraogo et d’autres camarades. On voit bien que l’acte des nouveaux maitres du MPP ressemble fort à celui qui vous avait conduit à claquer la porte de l’ODP/MT pour créer le Parti du travail du Burkina (PTB). Qu’est-ce qui vous opposait au régime à l’époque ?

C’était surtout le manque de démocratie. Oumarou Clément Ouédraogo était secrétaire général du parti et le président Compaoré a décidé de le limoger sur la base d’un certain nombre de griefs qui lui ont été rapportés. Clément a alors décidé de demander à ce qu’on convoque le secrétariat exécutif pour qu’il présente sa défense. Puisque les arguments pour lesquels on l’évinçait ne tenaient pas la route, on lui a interdit la participation à la réunion. J’étais avec lui dans son bureau et il m’a dit qu’il a préparé sa défense et qu’il allait partir d’un moment à l’autre pour aller s’expliquer. Et quand il a appelé, on lui a dit de ne pas venir. On lui a fait savoir que sa présence à la réunion n’était pas utile. En clair, on lui a dit de ne pas venir. Donc il n’est pas parti.

Qui lui a dit de ne pas venir ?

Ceux qui dirigeaient les opérations à l’époque. Je n’ai pas de nom à vous donner, mais on lui a téléphoné pour lui dire de ne pas venir. Donc on a débattu de lui sans lui. A partir de ce moment, nous avons dit que nous ne pouvons plus marcher sur cette dynamique. C’était bien écrit dans les textes qu’aucun militant ne peut être sanctionné sans avoir été entendu. Et comme il a été sanctionné sans avoir été entendu, nous avons tiré les conséquences et nous avons démissionné pour créer le PTB.

Qu’est-ce qu’on reprochait à Oumarou Clément Ouédraogo ?

Comme ils n’ont pas accepté qu’il vienne à la réunion pour lui livrer les griefs et lui permettre de se défendre, on ne peut pas supposer les griefs qu’ils avaient à l’encontre de Oumarou Clément.

Donc le parti au pouvoir avait des problèmes avec la démocratie interne à l’époque déjà ?

Déjà oui ! Il n’y avait pas de démocratie à l’intérieur. C’est le président Compaoré qui décidait. C’est lui qui nommait et qui limogeait à sa guise déjà au niveau du parti. Nous sommes partis à l’ODP/MT en tant qu’intellectuels, en tant qu’hommes de débat pouvant apporter une approche politique, intellectuelle et patriotique pour la conduite des affaires du pays. Dès lors que nous avons senti que cet idéal n’était pas au rendez-vous, et surtout que la démocratie interne manquait déjà, nous avons compris qu’il fallait faire autre chose. Mais étant partis à l’ODP/MT avec rien que nos plumes et nos têtes, nous ne pensions pas qu’il y allait avoir cette violence à notre encontre lorsque nous avons dit « non » à Blaise Compaoré.

Justement, le leader de la dissidence de l’époque, Oumarou Clément Ouédraogo a été assassiné en 1991. Il a explosé à la grenade en pleine rue. Faut-il craindre pour la sécurité des anciens compagnons du président Compaoré qui viennent de créer le MPP ?

Je crois que les temps ont changé. Ce qui nous est arrivé ne peut plus arriver. L’heure de la grenade est révolue. Du reste, je crois que ces camarades qui viennent de créer le MPP doivent aussi nous reconnaitre le mérite d’avoir lutter depuis pour que eux, en démissionnant aujourd’hui, ne craignent pas tout de suite pour leur vie ! C’est parce qu’on nous a trucidé, on a trucidé des journalistes et que le peuple s’est rebellé contre ces comportements là qu’ils ont eu autant d’adhérents pour signer la démission. Eh oui. C’est parce que d’autres se sont sacrifiés pour la démocratie, pour que les comportements changent, qu’ils ont eu le courage de démissionner massivement. Je peux dire donc que notre combat se présente aujourd’hui comme une garantie d’assurance pour ces nouveaux dissidents.

Comment faites-vous pour honorer la mémoire de feu Oumarou Clément Ouédraogo ?

C’est demeurer fidèle à l’idéal qu’on s’est fixé et combattre pour cela. J’ai eu des propositions et des sollicitations pour repartir au CDP et certainement aux affaires. Mais je n’ai pas cédé parce que je sais que nombre de ceux qui militent dans le parti au pouvoir y sont plus pour d’autres considérations que par conviction.

Comme en 1990, la classe politique est divisée en deux blocs. Ceux qui défendent la mise en place du sénat et la révision de l’article 37 et ceux qui s’opposent à ces deux questions. Qu’est-ce qui explique cette bipolarisation récurrente ?

Il faut savoir que toute cette démarche procède d’une stratégie à la Blaise Compaoré. Souvenez-vous de la deuxième Chambre. Elle avait été supprimée parce qu’on la trouvait inutile, budgétivore et encombrante pour notre pays. Qu’est-ce qui a pu changer entre temps pour qu’on revienne avec une deuxième Chambre à travers le sénat concocté par un CCRP à la solde ?

Mais je pense qu’il n’est pas tard pour réparer les choses et être en phase avec notre constitution. Si le pouvoir veut convoquer une session extraordinaire de l’Assemblée nationale pour extirper le sénat de la constitution, nous applaudirons. Et nous serons prêts à voter pour supprimer le sénat et mieux, verrouiller l’article 37. Nous n’avons pas signé allégeance, mais si c’est pour effacer le sénat controversé et verrouiller l’article 37, je suis sûr que la révision sera votée à 100%.

Le président Compaoré prône le dialogue. Quel contenu devrait avoir ce dialogue selon vous ?

Il prône le dialogue avec qui il veut entendre. Mais il ne prône pas le dialogue ouvert. Figurez-vous qu’il n’a rencontré l’opposition qu’une seule fois. Pourtant, il a vu presque tout le monde : les coutumiers, les religieux, la société civile, les militaires, etc. Et l’opposition a été ignorée. Alors que nous constituons une entité qui existe, qui vit et qui anime le débat politique. Donc c’est avec l’opposition qu’il devrait discuter. Et comme il s’est trouvé des interlocuteurs autres que l’opposition, à l’image de ceux qui sont allés au CCRP, qui siègent au gouvernement ou qui viennent de former le Front républicain avec le CDP, le débat se trouve donc biaisé.

Si la constitution restait en l’état, le président Compaoré doit quitter les affaires en 2015. Comment devrait se préparer sa sortie de scène ?

Les gens posent un vrai faux problème. Dieu a béni ce pays et il y a des hommes compétents pour assurer la gestion des affaires. Parce que, à ce que je sache, ceux-là qui dirigent le pays aujourd’hui n’étaient pas forcement les meilleurs élèves ou les meilleurs étudiants pendant leur cursus. Et nul n’est indispensable.

Vous avez été recteur de l’Université de Ouagadougou de 1987 à 1990. L’année 1990 passe pour être une période de crise qui a secoué l’université de Ouagadougou. Comment en était-on arrivé là ?

C’est normal. Une université où il n’y a pas d’agitation d’idées et d’agitation politique n’est pas une bonne université. Les grèves et les différents mouvements enregistrés souvent participent de la vitalité de cette institution. Pourvu qu’il n’y ait pas de violence physique sur le campus. En dehors de cela, je trouve que c’est normal parce que c’est le lieu où on a le plus d’intellectuels au mètre carré. Pourquoi voulez-vous que ces gens là soient tous d’accord, qu’ils soient moutons bêlant bêlant ? Il faut bien qu’ils discutent, qu’ils luttent et se battent intellectuellement cela s’entend.

Ce qui s’est passé en 1990 procédait de cela. On avait l’ANEB d’une part et d’autre part les CDR de la révolution qui ont été transformés en Comité Révolutionnaire (CR). L’ANEB avait perdu pied sur le campus. Parce que l’exemple aidant, nous avons donné l’exemple de ce que nous pouvions être comme patriote et avec des actes que nous pouvions poser en tant que tel. Nous avions l’adhésion massive du campus sur ces questions là. C’est la raison pour laquelle l’ANEB avait des problèmes. Et quand l’ANEB a lancé la grève, elle n’était pas suivie. Elle a constitué un groupe d’une centaine de personnes qui passait aux fenêtres pour perturber les cours. Quand les gens étaient en classe, ils tapaient les portes et les fenêtres pour faire sortir les étudiants. Donc en mai 1990, c’était ainsi. A un moment, on m’a dit que l’ANEB est passé et ils ont sorti les étudiants et qu’ils sont en train de se diriger vers le campus. J’en ai informé qui de droit : le ministre en charge des Enseignements secondaire et supérieur et le Conseil (NDLR : le camp de la garde présidentielle). Et puis, ils sont venus : Salif Diallo, le ministre Mouhoussine Nacro, avec les forces de l’ordre. Ils ont voulu charger les étudiants et je me suis opposé. J’ai dit de ne pas les charger. J’ai soutenu que comme ils semblent avoir quelque chose à dire, il faut leur permettre de s’exprimer. Je leur ai alors donné un banc. J’ai donné un banc à Kouanda Seni (NDLR : président de l’ANEB à l’époque, aujourd’hui médecin chercheur à l’IRSS) pour qu’il monte parler. Quand il est monté, il n’a pas pu parler plus de 30 mn. Et puis, c’était fini. Ils se sont dispersés.

Qui les a dispersés ?

Personne ne les a dispersés. Ils sont partis d’eux-mêmes.

C’était à quelle date précisément ?

Je ne me rappelle pas du timing. Je sais que c’était en mai 1990. C’est quand le lendemain après midi, lorsqu’ ils ont voulu recommencer la même scène, c’est-à-dire passer d’établissement en établissement pour taper les fenêtres et les portes et faire sortir les étudiants de force, que j’ai dit non. Il faut que les forces de l’ordre fassent en sorte que ceux qui veulent faire grève fassent grève et que ceux qui veulent faire cours puissent aussi le faire. Donc les gens du Conseil sont sortis. Quand ils sont arrivés sur le campus, ils se sont attaquées aux étudiants que l’ANEB avait fait sortir de force et qui se trouvaient à l’entrée Est au niveau de l’IUT. Ces derniers qui n’étaient pas grévistes, qui ne se reprochaient rien et qui par conséquent n’avaient pas jugé utile de fuir ou de se disperser ont été pris à partie. Ils ont été frappés. Certains ont eu leurs habits déchirés. Il semblerait même –je ne sais pas si c’est vrai- que les forces de l’ordre voulaient aussi me régler mon compte comme je m’étais opposé à leur intervention pendant les premiers moments. Mais comme ils ne me connaissaient pas, ils s’en sont pris par confusion au Pr Alfred Traoré qui a subi des voies de faits.

Voilà un peu le déroulement des choses. Maintenant, comme Salif Diallo l’a souligné, nous avons entrepris des démarches pour libérer les étudiants qui avaient été arrêtés sans être pourtant des grévistes. Halidou Ouédraogo, Salif Diallo et moi, nous sommes allés voir Gilbert Diendéré pour lui demander de sortir les enfants parce que ces étudiants n’étaient pas des grévistes. On a emmené des cars au Conseil. On a remis à chacun qui son bracelet, qui ses boucles d’oreille, etc. et on les a ramenés sur le campus. Ce n’est après que j’ai appris -et jamais officiellement- la mort de Dabo Boukary au Conseil. Je ne le connaissais pas, je ne l’avais jamais vu et je ne l’ai jamais rencontré. Mais il faut savoir aussi que le recteur n’est pas là pour rendre compte des morts du Conseil, fussent-ils des éléments de l’université. Sinon, on m’aurait demandé des comptes sur la mort de Patrice Zagré, un Professeur d’université qui est tombé le 15 octobre 1987 avec Thomas Sankara. Tout comme on aurait pu me demander des comptes sur la mort du Pr Oumarou Clément Ouédraogo ou de Guillaume Sessouma. Je n’ai pas connu de l’affaire Dabo Boukary en tant que recteur parce que ça se traite au Conseil et ce qui se passe au Conseil ne me concerne pas.

Moi je me suis engagé après le 15 Octobre pour tout simplement sauver la Révolution parce que je pensais -que face au sauve-qui-peut qui avait court-, qu’il fallait quand même qu’il y ait un groupe pour gérer le pays et ne pas laisser le président Compaoré seul à la tâche. C’est vrai que la version sur les événements du 15 Octobre qu’on nous avait donné à l’époque était très loin de la réalité qu’on a découverte après, mais le pays était là et il fallait le gérer. Et nous avons géré le pays avec l’honnêteté et l’engagement qu’on nous connait et qui resteront les nôtres toute notre vie.

D’aucuns affirment que vous étiez en tenue militaire pendant les événements de mai 90.

Non. Je n’ai jamais été en tenue militaire. Je portais une tenue qui avait des épaulettes. Mais ce n’était pas une tenue militaire. Mais si j’avais sollicité une tenue militaire, je l’aurais obtenue. Figurez-vous que mon autorisation de port d’arme a été signée exceptionnellement par le président Compaoré !

Comment avez-vous appris la mort de Dabo Boukary ?

Je vous ai dit que c’est presque par la rumeur que j’ai été informé de la mort de Dabo. On ne m’a jamais informé de ce drame. Je vous ai dit qu’on pensait que j’étais derrière les étudiants. On pensait que je faisais double jeu alors que je ne connais pas ça moi !

Quels étaient vos rapports avec l’ANEB à l’époque ?

Les rapports étaient assez tendus. Parce que l’ANEB ne voulait pas entendre parler de CR. Alors que moi, je m’appuyais sur les CDR sous la révolution et sur les CR sous le Front populaire pour gérer le campus. Donc les rapports n’étaient pas bons et ça je l’assume. L’université était gérée par les CR des travailleurs, les CR des étudiants. Mais l’ANEB était hostile à cela. C’est normal ; puisque tout cela était en cohérence avec des principes et l’idéologie qu’ils défendaient. Comme ils n’ont pas adhéré à la révolution, c’est normal qu’ils ne cautionnent pas cela.

27 ans après, l’affaire est toujours pendante en justice. Et ces derniers temps, le dossier semble connaitre un regain d’intérêt avec l’audition de certains camarades de Dabo Boukary. Une convocation est en instance de notification à Salif Diallo. Que pensez-vous de cette activation ?

Non je crois que c’est parce que Salif n’est plus dans les rangs. Salif a dit qu’il a appris la mort de Dabo par le président Compaoré. Moi par contre, personne ne m’a informé de rien. Moi je n’ai pas connaissance de ce dossier et je reste serein.

Avec le recul, quels enseignements tirez-vous des événements de mai 90 ?

Comme je le disais, l’ébullition, ou si vous voulez, le bouillonnement des idées au niveau de l’université, est tout à fait normal. Seulement, on naviguait dans l’Etat d’exception et l’ANEB n’a pas bien perçu cela. Quand il y a Etat d’exception, il faut être prudent. Et eux, ils ont manqué de prudence alors qu’on était géré par des militaires. Je ne serai pas surpris que les Dabo là n’aient pas été pris sur le campus. Parce que ceux qui ont été arrêtés sur le campus ont été libérés suite à la démarche que j’ai initié avec Halidou et Salif. Comment Dabo a-t-il pu se retrouver là-bas ? Je ne sais pas.

Pour les enseignements, je dirai que l’histoire est ainsi faite. Quand le politique tient la route, la jeunesse suit. Quand le politique ne tient pas la route, vous ne pouvez pas amener les étudiants à vous suivre. Nous à la révolution et au Front populaire, on nous suivait parce qu’on tenait la route. Au jour d’aujourd’hui, peu d’hommes politiques donnent l’exemple de probité, de sérieux et même de patriotisme. Et quand c’est ainsi, les gens ne peuvent pas suivre. Vous ne pouvez pas amener un étudiant à vous suivre. Et la crise vient de là. Parce qu’il n’y a pas de phare. Si devant, il n’y a pas de modèle, derrière, ça s’écroule.

Les conditions d’études n’ont cessé de se dégrader à l’Université. Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette situation ?

Il y a beaucoup de facteurs. L’université est à l’image du pays. Et le pays ne va pas bien. L’université ne peut pas aller bien. Le pays est en dérive morale. L’université va faire la même chose. Il manque l’engagement citoyen et patriotique chez tout le monde en commençant par les enseignants qui sont censés donner l’exemple. Un enseignant n’est pas un instructeur. C’est un formateur d’homme.

Pour que l’université et le pays aillent bien, il faut un déclic quelque part. Il faut qu’à un moment donné, les gens sachent que si on veut construire un pays, il y a des normes à respecter et une conduite à tenir et que tout le monde devrait s’y conformer.

Quelle appréciation faites-vous de l’enseignement supérieur en général au Burkina Faso.

L’enseignement supérieur est aussi à l’image du pays. C’est un désordre inextricable où on crée des universités partout. On voit des licences 2, des masters à droite à gauche. Cela n’a aucune signification. Parce que le pays n’a pas analysé en perspective pour dire : « nous avons tel projet de société, nous visons tel avenir et voilà le profil des cadres qu’il nous faut dans les 10, 15 années dans chaque domaine ». On navigue à vue.

Quelle solution préconisez-vous alors ?

Il faut une refondation. Pas seulement de l’université, mais une refondation de tout le pays.

Sur le plan politique, vous militiez au PDP/PS jusqu’au lendemain de la mort du Pr Ki-Zerbo. Pourquoi vous avez quitté ce parti ?

Le parti a éclaté. Ça commencé du vivant du Professeur, puis ensuite après son départ. Parce que ceux qui entendaient prendre la relève n’ont pas su présenter le même esprit de rassemblement que le Professeur Joseph Ki-Zerbo.

Nous avons créé le RDS avec le Boussouma et Ouendlassida en attendant bien sûr d’autres perspectives comme ce qui est train de se passer. Parce que nous savons que le changement ne viendrait pas forcément de l’opposition dite traditionnelle ou classique que nous incarnons avec d’autres forces politiques. C’est comme la révolution à l’époque. Les petits réactionnaires s’agitaient, mais ils ne pouvaient pas nous bousculer. Pour nous terrasser, il a fallu que la secousse vienne de l’intérieur. De la même manière que la révolution a été combattue de l’intérieur, le parti au pouvoir aussi sera dynamité de l’intérieur.

Est-ce à dire que vous êtes prêt à cheminer avec le MPP, le nouveau parti des démissionnaires du CDP ?

Pourvu qu’on dise qu’il faut faire large pour réaliser l’alternance. Je lève mon point et je dis « en avant » !

Aujourd’hui, le PDP/PS est l’ombre de lui-même. Pourquoi les compagnons du Pr Ki-Zerbo n’ont pas voulu poursuivre le combat dans ce parti ?

Je ne pourrai pas répondre à cette question puisque je ne suis plus au PDP/PS.

Que retenez-vous de votre compagnonnage avec le Pr Ki-Zerbo ?

Je retiens surtout l’image d’un homme. C’était un homme et un Grand homme.
Je vais vous raconter une anecdote. Lorsqu’en novembre 2000, le premier ministre Paramanga Ernest Yonli devait former son gouvernement, il a contacté le PDP/PS à travers le Pr Ki-Zerbo. Il a invité le parti à rentrer au gouvernement. Le Pr Ki-Zerbo a partagé l’information avec certains de ses camarades et il a dit, on verra. Et quand Yonli appelle le Professeur pour le relancer, il lui répond que « demain, avant 13h, je vais vous donner ma réponse ». Quelques camarades et compagnons du Professeur jubilaient déjà à l’idée d’avoir des portefeuilles ministériels. Mais le Professeur- pour fuir ses camarades- a disparu jusqu’à 18h. Le Premier ministre ayant attendu en vain a fini par former son gouvernement. C’est en ce moment que le Professeur a réapparu. Ce n’est pas un grand homme ça ?

Quelle a été la réaction de ces camarades désillusionnés ?

Ce fut difficile. Certains ont trainé les pieds, d’autres ont boudé. C’est comme en 2000 aussi quand on a décidé de boycotter les municipales. Des camarades ont failli lâcher. Ils ont menacé de démissionner.

Mais avec le recul, est-ce que vous trouvez que c’étaient des choix judicieux et efficaces ?

Avec ce régime là, il n’y a pas d’efficacité possible. Ils voulaient des accompagnements. Il faut de temps en temps refuser ces types d’accompagnement qui ne font que servir de faire-valoir.

Interview réalisée par Touwendinda Zongo

MUTATIONS N°46 du 1er février 2014. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact : mutations.bf@gmail.com , site web :www. mutationsbf.net)

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