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L’indécente exhibition au prétexte de « réconciliation » de l’arnaqueur-pollueur Marcel Gossio, ex-patron voyou du Port d’Abidjan (2/2)

Publié le lundi 27 janvier 2014 à 21h16min

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L’indécente exhibition au prétexte de « réconciliation » de l’arnaqueur-pollueur Marcel Gossio, ex-patron voyou du Port d’Abidjan (2/2)

« L’affaire Trafigura » va révéler la vraie nature du patron du Port autonome d’Abidjan (PAA), Marcel Gossio. Et du régime de Laurent Gbagbo (cf. LDD Côte d’Ivoire 0424/Vendredi 17 janvier 2014). Quelques années auparavant, en 2004, Gossio avait déjà été épinglé pour « l’affaire du terminal à conteneurs de Vridi », un marché de gré à gré confiant à la filiale ivoirienne du groupe Bolloré, la SETV, son exploitation pour quinze ans, une opération dénoncée par Patrick Achi, ministre des Infrastructures économiques.

« Cette opération qui s’est déroulée de façon transparente et dans le strict respect de la réglementation ivoirienne en la matière, a fait l’objet d’une polémique qui tenait surtout de la désinformation et de quelques incompréhensions »* rétorquera Gossio. Gbagbo reviendra sur cette affaire le jeudi 3 avril 2008, à Vridi, lors de l’inauguration du terminal : « Je voudrais dire à M. Bolloré et à tous ses collaborateurs, que je leur présente mes excuses pour tous ces débats fangeux et qui ont eu lieu à propos de l’attribution de ce terminal à conteneurs. C’était dégoûtant, illogique, indigne ».

La roue tourne : 2010 : Gbagbo est battu à la présidentielle ; 2011 : il est arrêté et son entourage prend la fuite. Gossio se réfugie au Maroc. Où, depuis des années, il avait ouvert un compte à l’agence de la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE) du 140 avenue Hassan II à Casablanca. Au nom de « M. ou Mme Marcel ou Hortense Gossio ». Sage précaution. L’UE et la France vont le sanctionner ainsi que le PAA lors de la crise post-présidentielle. « Une décision idiote et irresponsable » commentera Gossio rappelant que Henri Konan Bédié, Alassane D. Ouattara et « leur porte-parole », Patrick Achi, étaient opposés au marché avec Bolloré. « Sarkozy veut contenter ses petits copains [Bédié et Ouattara] pour partager ensemble le gâteau de la Côte d’Ivoire. Mais nous allons résister parce que la France et l’Union européenne ne peuvent pas mettre notre pays à genoux ».

Ce sont les Gbagbo, Laurent et Simone, et, parmi d’autres, Gossio, qui mettront « le pays à genoux ». Et lui, ensuite, de prendre la fuite. « J’ai vu ce que c’est que la mort, c’est pourquoi je me suis caché », dira-t-il à L’Inter (samedi 21 mai 2011). D’abord à « l’abri en Côte d’Ivoire », il priera Dieu. « Vivement que le pays retrouve la paix pour se mettre véritablement au travail. Alassane Ouattara est désormais reconnu comme le chef de l’Etat par les institutions ivoiriennes, il représente donc la Côte d’Ivoire. Il faut maintenant aller à la paix et à la réconciliation pour reconstruire le pays ».

Mais il reste dans le collimateur de la nouvelle équipe. C’est le ministre Maurice Kakou Guikahué, « Monsieur mobilisation » du PDCI, qui, en juin 2011, à Gagnoa, fief de Gbagbo, va « allumer » l’ancien patron du PAA. « On a ouvert des comptes en France, en Belgique, au Japon, aux Etats-Unis et dans bien d’autres pays du monde. Parce qu’il est plus facile de faire les échanges avec l’argent de ces pays qu’avec le franc CFA. Mais ces comptes, tenez-vous bien, au lieu de porter le nom « Port autonome d’Abidjan », tous les comptes portaient le nom Gossio Marcel. Authentique ! Donc quand l’Union européenne, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont bloqué les comptes de Gossio, le port n’avait plus d’argent. C’est comme ça que nous avons su comment il détournait l’argent du pays à partir du port via ses comptes à l’étranger ».

Gossio se dira « attristé » par les propos de Guikahué. Et il souhaitera, dans la presse, « rétablir la vérité dont la Côte d’Ivoire, notre pays à tous, a si cruellement besoin ». S’inscrivant « pleinement dans cette recherche de la paix pour mon pays […] au moment où, je l’espère, la Côte d’Ivoire semble péniblement amorcer une dynamique de réconciliation nationale et de pardon », il entendait rompre le silence que « se sont imposé » ceux des Ivoiriens qui « se sont exilés pour échapper à une mort certaine ». Ce qui disait Guikahué serait « ridicule, malhonnête et honteux » ; plus encore, soulignait-il, de la part de « gens qui ont régulièrement bénéficié de mes largesses de façon directe et indirecte » (mais, hélas, il ne s’étend pas sur ces « largesses » et ne précise pas qui sont les « bénéficiaires »).

Le 19 avril 2011, Gossio s’est enfui au Maroc (lui dit qu’il est parti en « exil », ce qui est quand même plus « classe »). Depuis le 17 janvier 2014, il est de retour, via un vol Royal Air Maroc (RAM), dans la capitale ivoirienne. Personnalité emblématique du système Gbagbo (« l’un des piliers du régime », dit-on à Abidjan), membre éminent du FPI mais considéré bien plus comme un « technocrate » que comme un « politique », son retour ne saurait être perçu comme anecdotique.

Gossio lui-même l’a déclaré dans le salon d’honneur de l’aéroport d’Abidjan, à son arrivée : « Je voudrais remercier le président de la République qui a permis ce retour. Remercier aussi le ministre Hamed Bakayoko [ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité], le ministre Gnénéma [il s’agit de Mamadou Gnénéma Coulibaly, Garde des sceaux, ministre de la Justice, des Droits de l’homme et des libertés] et ma jeune sœur, Madame la ministre Anne Désirée Ouloto, qui ont participé à l’organisation pratique de ce retour. Je remercie aussi le président Affi [Pascal Affi Nguessan, le patron du FPI, libéré le 5 août 2013] qui, dans toutes les réunions avec les autorités, a toujours placé le retour des exilés au cœur de ses préoccupations ».

Il entend ainsi répondre à l’appel lancé aux « exilés » par le chef de l’Etat, Alassane D. Ouattara, lors de ses vœux de Nouvel An, et a repris cet appel à son compte. Pour illustrer le bon déroulement de ce « retour de l’enfant prodigue », il s’est embarqué dans une « Audi Q5 de couleur rouge bordeaux » (le goût du luxe, cela ne se perd jamais, même pas après trois ans d’exil… !) pour prendre son petit-déjeuner avec la ministre RDR Ouloto.

Un retour qui tombe à pic. Le Conseil fédéral suisse a décidé, le 18 décembre 2012, de rendre « libres d’accès », les comptes bloqués depuis janvier 2011 de quatre ministres et hauts fonctionnaires proche de Gbagbo : plus de 10 milliards de francs CFA (c’était un job en or que celui de ministre de Gbagbo !), tandis qu’une délégation du FPI fait la tournée des « exilés » pour négocier les conditions de leur retour au pays ; un pays où, semble-t-il, « coulent le lait et le miel » puisque Ouattara, lui aussi, a pris la décision de procéder au dégel des avoirs des ex-gbagboïstes après avoir accordé la liberté provisoire à neufs prisonniers pro-Gbagbo qui sont, essentiellement, des têtes d’affiche de l’ancien régime. D’ores et déjà, Gossio a entrepris de faire la tournée des « élites » du nouveau régime pour les remercier de leur engagement (« On ne libère pas les gens pour les remettre en prison » dit-on du côté du gouvernement) avant de récupérer ses domiciles d’Abidjan et de Guiglo occupés depuis 2011 par des « militaires ».

La « réconciliation » prend, du même coup, un autre aspect. Vulgairement, on pourrait écrire : « On vous rend votre pognon et vos biens même si leurs conditions d’acquisition ne sont pas claires et on vous demande, en échange, d’être politiquement correct ». C’est sans doute plus efficace que moral. Mais chacun sait que la morale est, pour les hommes politiques, à géométrie variable*. Et cela sous tous les régimes. Et la justice n’est pas mieux traitée que la morale.

* Je rappelle qu’à la suite du scandale du Probo Koala, un autre scandale a éclaté, un certain nombre de versements effectués par Trafigura au titre des dédommagements (133 milliards de francs CFA soit 203 millions d’euros) ayant disparu dans la nature. Cette fois, les protagonistes de l’affaire n’étaient pas que des gbagboïstes puisque Adama Bictogo, ministre de l’Intégration africaine, avait été épinglé par la presse à défaut de l’être par la justice (cf. à ce sujet l’enquête de Pascal Airault et Pierre Boisselet dans Jeune Afrique du 20 mai 2012).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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