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L’indécente exhibition au prétexte de « réconciliation » de l’arnaqueur-pollueur Marcel Gossio, ex-patron voyou du Port d’Abidjan (1/2)

Publié le mardi 21 janvier 2014 à 18h51min

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L’indécente exhibition au prétexte de « réconciliation » de l’arnaqueur-pollueur Marcel Gossio,  ex-patron voyou du Port d’Abidjan (1/2)

C’est ce matin (vendredi 17 janvier 2014), à « l’heure du laitier » - 4 h 50 – que Marcel Gossio, ancien directeur général du Port autonome d’Abidjan (PAA), a fait son grand come back en Côte d’Ivoire. Un remake du « retour de l’enfant prodigue ». La famille était là pour accueillir le « héros de la réconciliation » avec en tête le doyen Oulaï Tiabasse, son oncle, une tête d’affiche gbagboïste, et la député PDCI Madeleine Oulaï.

Il y avait, aussi, au titre du gouvernement, la ministre RDR de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, Anne Oulotto, la « daba du Cavally », dont Madeleine Oulaï avait soutenu la candidature au Conseil régional, contre le candidat PDCI Dagobert Banzio, au nom du « genre », toutes deux étant par ailleurs originaires de l’Ouest. Le FPI avait délégué Michel Amani Nguessan, militant de longue date, indéracinable ministre de l’Education nationale (2000-2007) avant de prendre en charge le portefeuille de la Défense (2007-2010) dans le gouvernement de Guillaume Soro. C’est donc « un long cortège » qui a accompagné Gossio de l’aéroport jusqu’au domicile de Tiabasse.

Tandis que ses amis s’adonnaient aux libations du retour, le FPI était rassemblé sous l’autorité de Pascal Affi Nguessan. Ordre du jour : la normalisation de la vie politique ivoirienne qui passe par le dégel des comptes bancaires et des avoirs (y compris les biens immobiliers) des cadres pro-Gbagbo et la réinsertion des fonctionnaires. Le leader du FPI exige toujours l’organisation des Etats généraux de la République (EGR) tandis que le gouvernement entend mener ces discussions dans le Cadre permanent de dialogue, structure d’ores et déjà en place.

Deux ans et neuf mois « d’exil » sont revendiqués par Gossio. Au Maroc. En fait, mais nous y reviendrons, s’il a programme et organisé son retour, il avait également programmé et organisé sa fuite au moment de la chute de son leader, Laurent Gbagbo, et de son égérie, Simone Gbagbo. S’il revient c’est, dit-il, « parce que le paysage socio-politique est apaisé ». Il a ajouté, sans rire : « J’ai fait l’analyse et je me suis dit qu’il fallait que je rentre dans mon pays pour prendre ma part à cette réconciliation […] Je me sens bien. Je suis revenu dans mon pays. J’ai quitté la Côte d’Ivoire pendant la période post-électorale pour des problèmes de sécurité ». Un retour particulièrement exhibitionniste qui a valeur symbolique. Gossio a été considéré comme « l’homme-clé du régime de Laurent Gbagbo » et tout l’Ouest (Gossio est originaire du Cavally) s’est mobilisé pour cette opération, tant auprès du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité que du ministre de la Justice, des Droits de l’homme et des Libertés publiques.

Pour l’équipe d’Alassane D. Ouattara et de Daniel Duncan Kablan, ce retour est « un signe positif » ; « un signal fort » a ajouté Joël Nguessan, porte-parole du RDR qui précise que les « exilés » n’iront « pas immédiatement en prison » : ils devraient auparavant être entendus par les juges. Rappelons que Gossio a fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par Abidjan après la conquête du pouvoir par Ouattara. Il était également sur la liste des proscrits par l’ONU et l’UE en tant que l’un des principaux argentiers de Gbagbo, soupçonné d’avoir financé l’armement des milices de l’Ouest. En le ramenant ainsi dans ses filets de la « réconciliation », c’est un gros poisson que pêchent les autorités ivoiriennes ; plus qu’un gros poisson même, un requin.

Gossio c’est le « mètre étalon » des dérives politico-affairistes du régime Gbagbo. Comme l’écrivait alors JAE (numéro 370) dans un gros dossier consacré au PAA et à son patron, « rien ne prédisposait à priori Marcel Gossio à occuper des responsabilités dans le transport maritime ». C’est le moins que l’on puisse dire, même si nous ne le disons pas dans le même sens que Jacques Bonnifait dans JAE.

Né à Bloléquin (comme la députée PDCI Madeleine Oulaï qui vient de l’accueillir à l’aéroport) le 18 février 1951, il a obtenu, en 1976, un diplôme d’études économiques et juridiques du Conservatoire des Arts & Métiers de Paris. Il est titulaire d’un DESS « immobilier » de la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges. De 1983 à 1987, il sera coordonnateur pour la Côte d’Ivoire de l’Association des banques de l’Afrique de l’Ouest (ABAO) et de la Chambre de compensation de l’Afrique de l’Ouest. Par la suite, il sera sous-directeur chargé de l’exploitation à la Compagnie ivoirienne de financement immobilier (CIFIM), filiale du Crédit de la Côte d’Ivoire. Un poste qu’il va occuper onze ans.

De juillet 1998 à février 2000, il sera consultant auprès du Bureau national d’études techniques et du développement (BNETD) dans le cadre d’un programme de construction de 12.000 logements à Abidjan. Au lendemain du coup d’Etat de 1999, qui a porté le général Robert Gueï au pouvoir, il sera directeur du Centre régional des œuvres universitaires d’Abidjan, le CROUA (23 février-15 novembre 2000). C’est alors qu’il est nommé directeur général du PAA. Il n’était vraiment pas « prédisposé » à cette responsabilité ! Il aurait pu être ministre. Il n’avait pas plus de compétence pour l’un ou l’autre poste.

Le mardi 3 octobre 2006, lors de sa rencontre avec les agents du port, Gbagbo a déclaré : « Vous connaissez les liens qui m’unissent à Gossio, votre directeur général. Gossio est mon ami, il est mon petit frère. Quand j’ai formé le gouvernement en 2000, je l’ai appelé. Je lui ai dit « Gossio, tu ne seras pas ministre parce que je veux te confier une tâche plus importante. Aujourd’hui, nous recevons 14 millions de tonnes de marchandises au port d’Abidjan, je veux qu’en 2005, nous en ayons 20 millions. Donc, va au port ». L’objectif ne sera pas atteint. En 2005, le trafic dépassera à peine 18,6 millions de tonnes ; l’objectif des 20 millions sera reporté à 2008. Pour n’être dépassé que lorsque la Côte d’Ivoire aura retrouvé sa sérénité politico-économique.

« L’affaire Trafigura » va marquer sa gestion. Le 19 août 2006, des déchets toxiques transportés par le Probo-Koala affrêté par Trafigura ont été déversés en plusieurs points de la capitale ivoirienne. Des morts et des dizaines de milliers de malades plus tard, « l’affaire Trafigura » va devenir un scandale international. Le 14 septembre 2006, Gossio est suspendu (pour trois mois) par le premier ministre (alors Charles Konan Banny). Mais Gossio refusera d’être coupable ; pas même responsable. « Dans tous les ports du monde, l’entrée et la sortie des navires relèvent de la capitainerie, des officiers assermentés chargés des questions techniques. J’ai un rôle purement administratif »*.

Pour un peu, Gossio arriverait à nous convaincre qu’il ne connaît pas Trafigura. Or, c’est sur le compte de « Trafigura Beheer BV c/o Trafigura Ltd Portman House 2, Portman Street W1H 6DU London », qu’il a séjourné à compter du 23 mai 2006 dans la chambre 433 du Sofitel Paris Le Faubourg. Un hébergement à 400 euros la nuité. Gossio prendra ses habitudes dans cet hôtel de luxe situé non loin de la Place de la Concorde à Paris. Notamment pour des rencontres avec… Trafigura. C’est aussi pourquoi, le mardi 3 octobre 2006, Gbagbo va se rendre au port d’Abidjan pour y rencontrer les agents. Et dénoncer un complot fomenté par ceux qui « ont échoué dans leur tentative de nous abattre par la guerre civile ».

A travers la fable de l’éléphant et du margouillat (le margouillat, condamné à se battre contre l’éléphant, va d’emblée se couper les oreilles pour impressionner son adversaire qui prendra alors la fuite), Gbagbo a voulu, à son tour, impressionner ses adversaires : « Si Gbagbo a laissé suspendre Gossio, et nous alors… ? »**.

* Entretien avec Cheikh Yérim Seck – Jeune Afrique du 24 septembre 2006.

** Discours du président Laurent Gbagbo lors de sa rencontre avec les agents du port d’Abidjan, le mardi 3 octobre 2006.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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