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Pressions sur les filles des cybercafés

Publié le samedi 29 janvier 2005 à 08h41min

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L’entrée dans l’ère du numérique s’est traduite à Ouagadougou par la multiplication des moyens et des lieux de communication. Télécentres et cybercafés pullulent dans la capitale. Si les internautes et autres usagers trouvent leurs comptes dans ces cybers, ce n’est pas le cas pour les filles qui y travaillent.

De Pissy à Dassasgho, elles sont des centaines à travailler dans les cybercafés. Les " gos de cyber ", comme on les surnomme, guident les internautes dans leur navigation, font la saisie de textes, des photocopies et des reliures, vendent des cartes de recharge et encaissent l’argent des appels téléphoniques et des navigations.

En général, sans profil adéquat, ces filles exercent dans la précarité la plus totale, doublement victimes des employeurs et des clients. Elles font l’objet de pressions diverses.

Les patrons d’abord

Abiba, secrétaire et guide internaute dans un cyber sur l’avenue De Gaulle, témoigne : " J’ai commencé par un stage en 2002. A la fin de mon stage, le propriétaire du cyber m’a proposé de rester. J’ai accepté cette offre sans hésiter. Mais aujourd’hui, ma situation n’est pas aussi meilleure qu’auparavant." Elle explique que c’est faute de mieux qu’elle a accepté d’y rester : " Mon père est décédé il y a longtemps. Je vis avec ma mère et deux petits frères. J’ai arrêté l’école en 4è parce que ma mère ne pouvait plus payer nos scolarités avec son maigre revenu de vacataire dans une école privée."

C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée "à ne rien faire" quand, par l’intermédiaire d’une amie, elle a pu bénéficier du stage au cyber. Aujourd’hui, même si elle a quelque chose à la fin du mois, elle avoue n’être pas sortie de l’auberge. Comme ses camarades d’autres filles, elle doit faire face à une multitude de problèmes inextricables.

Le problème numéro un, c’est le " salaire ", le pécule reçu à la fin du mois. Selon les cas, il varie entre 15 000 et 30 000 f Cfa. En plus de sa modicité, les filles affirment que le "salaire" est perçu, très souvent, avec du retard.

Avec un tel revenu mensuel, bon nombre de ces filles cèdent aux chantages de l’employeur ou de ses proches surtout que l’augmentation de salaire est aussi rare que l’éclipse du soleil. Les rares hausses n’obéissent pas au critère du travail bien fait. Elles seraient fonction de la "forme" et de la docilité de l’employée.

Elles font ainsi l’objet de chantages sexuels. Les sollicitations peuvent venir du patron lui-même ou de ses parents. "Mon patron m’a plusieurs fois fait la cour mais, j’ai toujours refusé. A cause de ça, je n’ai jamais eu une augmentation. Pourtant, une de mes camarades en a bénéficiée", témoigne Sylvie, sise à l’avenue N’krumah.

Cette collègue "privilégiée" reconnaît certes que son " salaire " a subi une hausse mais par contre, elle exclut que ce soit le résultat d’un marchandage. Elle avoue néanmoins que c’est très difficile de résister au patron : "Vous savez, c’est lui le chef, tout ce qu’il te demande, tu es obligée de faire sinon, il peut te mettre dehors." Il arrive que des filles soient renvoyées sans raisons apparentes.

Gisèle en a été victime en août dernier. Le petit frère de son employeur, qui gère le cyber, lui faisait la cour en même temps que deux de ses copines du quartier Wemtenga (secteur 29). Ayant refusé ses sollicitations, elle se retrouve aujourd’hui dehors. " Je préfère rester à la maison que de faire ce qu’il me demande. C’est parce que nous les filles, on se laisse faire que des gens comme ça continuent de marcher sur nous.", avance-t-elle d’un ton ferme.

Les clients ensuite ...

La pression ne vient pas uniquement des employeurs et de leurs proches. Elle vient aussi des clients. Les accrochages sont monnaie courante. Les causes de ces " accrocs " sont multiples. Soit la fille n’a pas bien fait la saisie d’un document, soit elle a pris du retard ou bien ce sont les codes Internet qui sont mauvais. D’autres clients se plaignent de la lenteur de la connection. Toutes ces défaillances sont mises sur le compte des filles.

Isabelle du quartier Kalghondin est exaspérée par la situation : "Vous imaginez, c’est nous qui avons un petit salaire, c’est nous encore qui subissons les courroux des clients pour des fautes qui ne relèvent pas toujours de nous." C’est quand par exemple le code ne permet pas d’accéder à Internet ou quand la connection est lente. Certains clients seraient même des " escrocs ".

Il y en aurait qui, après le service rendu (saisie d’un document, navigation etc.), refusent de payer au prix convenu. Les filles paient de leur maigre salaire le manque à gagner. Germaine en a fait les frais en décembre dernier : " Mon patron m’a coupé 4 000 f Cfa sur les 15 000 f Cfa qu’il me donne à la fin du mois. "

Le plus déplorable, selon elles, c’est que certains clients abusent de leur précarité. " Il y a des clients qui viennent nous faire la cour. Si tu refuses, ils disent au patron que vous n’êtes pas accueillantes.", se plaint Germaine. D’autres montent les enchères très haut : "Généralement, ce sont les hommes mariés qui nous courtisent. Ils proposent gros pour que tu n’aies pas à refuser leurs avances. Parfois, c’est plus que ce que tu gagnes à la fin du mois. ", confie Maria, caissière dans un cyber à Zogona.

Elle s’empresse toutefois de relever que les relations avec ces hommes mariés ont leur revers de la médaille. "Je connais une fille qui sortait comme ça avec un homme marié. Elle était à l’aise puis, quelques mois après, l’homme l’a abandonnée. Elle avait des difficultés pour s’en sortir puisqu’elle était habituée à vivre de l’homme.", explique-t-elle.

L’autre risque, c’est quand la femme apprend que son mari sort avec une fille de cyber. Des mini-scandales arrivent. "Un matin, une femme est venue très tôt, avant qu’on ouvre, demander après une de nos camarades du cyber qui était légèrement en retard ce jour-là. Nous, on pensait que c’était une de ses parentes. Quand notre camarade est arrivée, on a tout naturellement informé la dame. Mais il ne fallait pas voir. Elle a bondi sur la fille, la ruant de coups accompagnés d’injures. ", raconte Maria.

Même en famille

Les filles des cybers ont également des rapports tendus avec leur entourage. "On voit mal celles qui travaillent ici. On pense forcément que ce sont des filles faciles. C’est vrai que certaines ne se gênent pas de sortir avec le premier venu mais, j’estime que ce n’est pas une raison pour nous suspecter toutes de mauvaise moralité.", assure Florence, gérante de cyber sur l’avenue Circulaire.

Même à l’intérieur des familles, il y a de l’incompréhension. " Je me rappelle qu’une fois, un oncle est venu à la maison et m’a demandé ce que je fais. Je lui ai dit que je travaille dans un cyber. Il m’a regardée bizarrement. Après, il a dit à ma mère de me dire d’arrêter parce que ce n’est pas bon. ", souligne Abiba. Entre cette incompréhension et le chômage, elles choisissent le premier, convaincues qu’un jour, la situation pourrait changer favorablement.

Idrissa Barry
L’Evénement

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Vos commentaires

  • Le 30 janvier 2005 à 17:50, par Check Omar En réponse à : > Pressions sur les filles des cybercafés

    quel est le ministère qui s’occupe du niveau de formation de ces filles ?
    Car il est certain que certaines questions posées sont sans reponse.

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