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Moussa Konaté, le père littéraire du commissaire Habib Keita est mort.

Publié le samedi 21 décembre 2013 à 12h09min

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Moussa Konaté, le père littéraire du commissaire Habib Keita est mort.

Il est mort le 30 novembre 2013 à Limoges mais l’information n’est pas arrivée à Ouaga où j’étais encore. Né à Kita, au Mali, en 1951, Moussa Konaté partageait son temps entre la France et l’Afrique. Ce sont ses romans policiers qui le feront connaître comme écrivain. Son personnage principal était le commissaire Habib Keita. Mais ses livres étaient bien plus que des polars : ils permettaient de découvrir, par la fiction, le quotidien de la vie dans le Mali contemporain.

Il était aussi l’auteur d’un essai remarquable : « L’Afrique noire est-elle maudite ? » (éd. Fayard, Paris, 2010 - cf. LDD Mali 01/Jeudi 15 avril 2010). Romancier (son premier roman, « Le Prix de l’âme » a été publié en 1981), dramaturge, essayiste et éditeur (il a créé les éditions Le Figuier en 1997), personnalité culturelle incontournable en Afrique de l’Ouest, il avait fondé, avec Michel Le Bris (cf. LDD Spécial Week-End 0400/Samedi 29-dimanche 30 août 2009), le festival Etonnants Voyageurs de Bamako (2001/2011). Son dernier livre, « Meurtre à Tombouctou », doit être publié en 2014.

Tant que le Mali était, pour bien des commentateurs, une « vitrine de la démocratie » – le fait qu’Etonnants Voyageurs y ait été organisé a crédibilisé ce cliché – les essais de Konaté pouvaient apparaître comme ceux d’un intellectuel africain en rupture. Il meurt alors que le Mali n’est plus ce qu’il était mais ce qu’il en avait dit.

Konaté avait dédicacé son dernier essai « A toutes les Africaines et tous les Africains que la situation de leur continent angoisse » ; mais écrivait aussi pour les « Occidentaux » que l’absence de devenir angoisse tout autant. Konaté y évoquait ce « jour où, comme ces Noirs africains qui rêvent aujourd’hui de l’Europe, des Blancs européens, par milliers, aspireront à s’établir sur le continent premier, enfin reconnu habitable, et n’y seront accueillis ni à coup de fusil ni à coups de tests ADN ».

En son temps, j’ai beaucoup acheté son livre pour le distribuer. Non pas qu’il ait été une œuvre maîtresse (ce n’était pas l’ambition de Konaté), mais il y stigmatisait les contradictions de l’Afrique et du monde contemporain. Konaté y fustigeait (parfois injustement) la littérature des « Africains de la diaspora » qui n’écriraient que dans le « désir de s’insérer dans les sociétés occidentales » et qui, pour y parvenir, entreprenaient de détruire « l’image de l’Afrique noire [qui] paraît constituer un obstacle à leur intégration » (autrement dit, les écrivains africains de la diaspora écriraient à charge : « tête baissée, plume en avant, ils foncent sur leur société » dit-il) ; des écrivains de la diaspora qui n’ambitionneraient qu’être des « écrivains français ».

Les contradictions sont les fondements de la dialectique, fondement de la réflexion intellectuelle. Konaté a donc entrepris de démonter le système sans réellement démonter son « moi » profond. Quoi que ! La société africaine – dans une lecture très « Afrique de l’Ouest » de ce qu’elle est – nous dit-il est une société bloquée : la famille africaine, les vieux, le consensualisme, la solidarité noire africaine (« L’Afrique noire est ainsi un des rares lieux de la planète où l’on peut refuser de travailler, tout en mangeant à sa faim et en bénéficiant d’un toit où s’abriter »), le fait que l’individu n’existe que par rapport au groupe auquel il appartient, la condition de la femme (excision/polygamie) dont la subordination est confiée au groupe des femmes, etc. sont, selon Konaté, autant de freins à l’évolution de la société africaine.

Dans le même temps Konaté expliquait que ces contraintes internes ont permis à la société africaine de résister aux contraintes externes, liées à la déportation puis à la colonisation et qu’elle peut y puiser des ressources pour sa « renaissance ». Ces contraintes externes n’étaient pas, non plus, dénuées de contradictions majeures. A commencer par l’école coloniale gratuite et obligatoire. « L’enfant noir, écrivait Konaté, devrait intégrer l’esprit du Blanc en parlant la langue du vainqueur, sa langue supérieure. L’école à l’occidentale fut sans doute le facteur le plus perturbant pour les sociétés africaines. En donnant le savoir à « n’importe qui », de surcroît à des jeunes, elle vint soudain rompre le système traditionnel, où un certain savoir était concentré entre les mains de quelques individus souvent âgés. Pour les Noirs africains, ce fut le monde à l’envers ».

Konaté évoquait ainsi une « bataille des mémoires » ; il écrivait encore : « En fait, si le continent noir continue à faire parler de lui, c’est qu’il résiste encore » ; il appelait à une « renaissance » qui serait une résistance afin de « permettre aux cultures noires africaines de subsister ». Pour l’Afrique ne s’y est pas attelée d’emblée ? C’est que « l’Afrique noire, dénuée de tout autre projet que celui du mimétisme, sombra dans une grande confusion, dont les « pères des indépendances » furent les premiers à faire les frais ». C’est surtout, disait-il aussi, que deux systèmes se sont superposés : l’ancien, l’africain, le nouveau, l’occidental, établissant « un jeu permanent de compromis équivoque qui perturbe le fonctionnement des institutions ». C’est ainsi que l’on a assisté à la « privatisation de la fonction publique » qu’il appelait « l’Etat familial ». « L’objectif essentiel de la politique est la conquête du pouvoir pour soi et le siens, c’est-à-dire pour la « famille ». La politique est devenue un métier, le chemin le plus court vers la prise en main de l’Etat, donc vers la richesse matérielle ».

L’intérêt de ce discours est qu’il était celui d’un « Africain d’Afrique ». Et qu’il prônait non pas une démarche politique, la politique étant sous tutelle économique de « l’Occident », mais une démarche culturelle. Konaté voulait débarrasser la culture noire africaine de ses scories liées à l’éducation coloniale et post-coloniale pour revenir aux fondamentaux. Il posait ainsi une « question taboue » : « Pourquoi est-ce seulement dans les pays où cohabitent les Noirs africains et d’autres communautés (comme en Afrique du Sud et, naguère, dans l’ex-Rhodésie) que les choses semblent aller mieux – du moins apparemment ? En fait, dans lesdits pays, ni la colonisation ni l’apartheid n’ont réussi à détruire le modèle social noir africain. Ainsi cohabitent deux secteurs sociaux, deux mentalités : la noire africaine et l’occidentale ».

Konaté en venait à recomposer le puzzle humain. Il était parti de la rupture entre « l’Occident » et le Noir africain (la traite, la colonisation) pour évoquer la rupture entre le Noir africain et la culture noire africaine (la colonisation, les indépendances). Konaté en venait à penser que l’Afrique doit être l’avenir de l’homme. Non pas « une Afrique identique à elle-même pour l’éternité » mais une Afrique qui « doit trouver les moyens d’évoluer sans se renier, et pour ce faire, accepter de laisser l’individu affirmer sa liberté, d’une façon ou d’une autre ». Il en venait même à penser que « la coopération avec le continent noir aurait pu nourrir plus que le portefeuille et la mauvaise conscience des Européens : elle aurait pu nourrir leur âme. Deux civilisations qui se fécondent mutuellement pour le meilleur, n’est-ce pas le plus beau rêve de l’homme ? ».

Reste à savoir quel peut être le rôle de la « civilisation noire africaine » dans cette « fécondation ». Konaté nous disait que « les Noirs africains ont un rôle essentiel à jouer », celui « d’un développement économique raisonnable, fondé sur l’usage d’énergies durables ». Il prônait « un supplément d’âme plutôt qu’un surcroît de richesses » considérant que « le capitalisme a atteint son stade ultime et s’est constitué en mafia internationale ». « Quand l’abondance matérielle ne produit plus que l’angoisse, c’est qu’il n’y a plus d’horizon et que la fête est bel et bien finie ».

Dans ce formatage, Konaté mettait en cause, également, la francophonie alors que « l’âme d’un peuple se loge dans sa langue ». Il ajoutait et c’était sa conclusion : « Tant que les classes dirigeantes des pays africains n’auront pour repère que l’image sublimée de leurs anciens maîtres, l’indépendance de leurs pays se limitera à une autonomie plus ou moins large… ». Konaté s’en est allé. A bon entendeur, salut.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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