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Perceptions paysannes des indicateurs pluviométriques dans un contexte climatique en mutation dans le sahel Burkinabé

Publié le lundi 2 décembre 2013 à 21h12min

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Introduction

A l’instar des autres pays sahéliens, le Burkina Faso subit les conséquences des bouleversements climatiques enregistrés ces dernières années que l’on a qualifiés de "changement climatique." Pour Chastanet (2002), l’une des contraintes du climat sahélien réside dans la grande variabilité de l’apport en eau, en termes de quantité et de répartition dans l’espace et dans le temps. Cette irrégularité, conjuguée avec d’autres facteurs écologiques et socioéconomiques, s’est traduite sur la longue durée par l’alternance de bonnes et mauvaises années agricoles.

Au Burkina, la pluviométrie moyenne annuelle y a connu une baisse sensible avec un déplacement latitudinal des isohyètes moyennes vers le Sud (environ 100 km) en l’espace de quatre normales (entre 1931 à 2000). Il s’en suit donc une raréfaction des ressources en eau suite à ces longues années de sécheresse (les années 70 et 80).

Le défi pour le Sahel burkinabè, c’est de pouvoir assurer entre autres l’alimentation en eau potable des populations, promouvoir les cultures irriguées afin d’accroître la production agricole de contre saison, augmenter la production animale et halieutique, développer une agriculture pluviale mieux adaptée aux conditions climatiques actuelles (Yanogo, 2012). L’objectif de la présente étude est de décrire la vision des populations sur les irrégularités pluviométriques qui orientent la qualité de leurs saisons agricoles et les stratégies qu’ils mettent en place.

1. Perception locales des irrégularités pluviométriques par les producteurs

Les investigations menées sur un échantillon 322 ménages dans le bassin versant de Yakouta donnent les résultats suivants : 319 ménages (99,1%) estiment que le climat de façon générale est en régression ; 211 ménages (65,5%) pensent qu’il pleut de moins en moins. La figure n°1 représente schématiquement la vision communautaire de l’évolution des saisons dans le temps dans le bassin versant de Yakouta.


Figure n°1 : Graphique indicatif de la vision des producteurs de la durée de la campagne agricole (les dates approximatives des débuts et fins des saisons de pluie)

De cette figure, les conclusions suivantes peuvent être tirées :
-  un décalage de nos jours, aussi bien pour le début que pour la fin de la saison des pluies existe par rapport au temps passé ;
-  en considérant les piques du graphique comme le consensus de points de vue des appréciations populaires, la saison pluvieuse débuterait en fin avril à début mai avant, contre mi-juin actuellement. Quant à la fin des pluies, elle était estimée à la fin du mois d’octobre à début novembre contre fin septembre à début octobre de nos jours ;
-  la saison pluvieuse évoluait sur six mois (de mai à octobre) avant contre quatre mois (juin à septembre) de nos jours ;
-  il y a un début tardif de la saison pluvieuse (mi-juin) et un arrêt précoce (septembre). Elle était donc plus longue qu’actuellement. On assiste ainsi à une diminution progressive de la période hivernale, 76,4% l’ont déclarée et insisté sur les perturbations (perturbation du calendrier qu’elle engendre. Pour 61,5% d’entre eux, la saison a connu une restriction de l’ordre de trente à quarante cinq jours depuis les cinquante dernières années ;
-  la période de forte intensité de pluviométrie qui était connue par les producteurs entre juillet et août (pour 91%) a évolué de nos jours avec 81,1% qui affirment qu’elle a basculé vers les mois de juillet et septembre.

De façon unanime, 99% des populations ont affirmé que la rosée est de moins en moins présente dans leur terroir. Elle n’arrive plus à jouer son rôle d’accompagnement des plantes en périodes de stress hydrique. Elle était en effet source d’humidité observée tous les matins et foulée par le berger qui accompagne son troupeau au pâturage.

Les populations reconnaissent à 99,1% qu’il y a une péjoration du climat de façon générale. 98,1% soit 316 chefs de ménages affirment que de nos jours le cumul pluviométrique est en régression. 211 ménages (soit 65,5%) pensent qu’il pleut de moins en moins et les pluies ont diminué en quantité. 219 (68%) affirment que l’évaporation persiste au maximum au cours de la saison froide sèche. Ces résultats corroborent avec ceux de Ouédraogo et al. (2012), qui ont trouvé que environ 86% des populations estiment que les précipitations ont connu une baisse dans la zone sahélienne du Burkina. En outre, ils sont en adéquation avec les analyses faites avec les relevés météorologiques de la période 1961-2010.

2. Indicateurs communautaires de la prévision d’une saison pluvieuse

Au Sahel, les populations ont révélé leur capacité à prédire le temps à court ou relativement à long terme. Les prévisions météorologiques s’inspirent notamment d’une observation du monde animal et végétal. Elles se traduisent par l’observation des mouvements des corps célestes (soleil, lune, constellation), de la phénologie de certaines plantes, du comportement des animaux, des changements physiques ou chimiques de l’atmosphère (couleur du ciel, la direction du vent, etc.) ainsi que par des systèmes symboliques.

-  Quand les arbres se reverdissent (faire de nouvelles feuilles) par leurs sommets, cela est un signe que la saison ne sera pas bonne. Par contre c’est le signe d’une bonne saison s’ils comment par le bas.
-  Si les fourmilières (insectes) colonisent les lieux de passage des eaux pluviales, c’est une preuve que la saison sera médiocre car il n’y aura pas suffisamment d’eau ni pour boire ni pour les plantes. Par contre si elles remontent en hauteurs sur les versants, cela signifie que la saison sera bonne. Les producteurs suivent donc leurs mouvements pour se faire une idée de la prédiction de l’hivernage.
-  Pendant l’hivernage (Ndungu), quand les vents soufflent du sud vers le nord, c’est le signe que la saison des pluies ne sera pas bonne, mais s’ils soufflent d’ouest en est, les pluies seront abondantes et la saison apportera beaucoup à manger aux paysans.
-  Dès les premières pluies, s’il y a une stabilité des vents (c’est-à-dire que les vents ne soufflent pas trop après les pluies), c’est un signe aussi que l’hivernage sera bénéfique pour tous.
-  Il y a un brouillard qui apparaît à l’approche de la saison des pluies (Gataadgé) certains matins ou au crépuscule. Il annonce une bonne saison pluvieuse.
-  Une étoile (zahara) dénommée étoile du crépuscule qui apparaît à l’ouest annonce une bonne saison. A l’inverse si elle apparaît à l’est, la saison sera mauvaise.
-  Si les premières pluies tombent avec de la grêle, c’est un signe de bonne saison agricole.
-  L’apparition de traits blancs sur certains arbres (Balanites aegyptiaca, Combretun sp) annonce une bonne campagne.

Dans le Sahel burkinabè, ces observations constituent une « météorologie populaire » qui, à l’échelle locale, continue de servir de base de prise de décision pour ces producteurs dans l’organisation de leurs activités socio-économiques. Ces connaissances transmises par le langage peuvent s’accumuler de générations en générations. Grâce à elle l’homme se projette dans le futur et organise ses activités à plus ou moins long terme.

Les moyens utilisés par les producteurs comportent certes beaucoup plus limités que les nouvelles technologies de climatologie moderne, surtout avec l’utilisation des satellites et de la modélisation météorologique. Néanmoins, l’efficacité de la prédiction dans un microclimat donné ou dans des climats à risque, peut être plus performante que celle des météorologues (Bergeret A., 2002). Cette perception a conduit à la subdivision de la saison spécifiquement par rapport à la programmation des activités agropastorales.

3. Répartition saisonnière de l’année en fonction des activités

Il est impossible d’isoler les éléments du climat des moments de l’année où ils se situent et, par conséquent, de la structuration du temps (Chastanet, 2002). A partir de la vision faite par les producteurs du bassin versant, une répartition de l’année en périodes est faite (tableau n°1) mais elle ne tient pas forcement compte de la division classique de l’année en douze mois.

Tableau n°1 : Répartition de l’année en fonction des activités agro-pastorales à Yakouta

 

Saisons (mois)

caractéristiques

Nom local

Observations (Activités menées)

Saison froide Décembre à février

Froid et le vent frais (harmattan)

Dabundé

- Cultures maraîchères

- Construction et réfection de maisons

- L’exode rural

Saison chaude

Mars à avril

Chaleur intense et éloignement des sites d’approvisionnement d’eau

Kiedu

- Conduite du bétail à la recherche de l’eau et du pâturage

- Préparation des champs

- Cultures de contre saison

- Construction et réfection des maisons

- L’exode rural

Période pré-hivernale Mai à juin

Premières pluies

Reverdissement de la nature

Gataadgé

- Réfections des toits des maisons

- Préparation des champs

- Conduite du bétail au pâturage

Saison des pluies Juillet à septembre

Installation de la saison pluvieuse

La nature redevient verte

Ndungu

- Semis, sarclage et labours

- gardiennage des animaux pour éviter les dégâts dans les champs

 

Période post-hivernale Octobre – novembre

Récolte du mil

Ngnamdé

- Récolte du niébé, du mil, de l’arachide

- Récolte et préparation du fourrage

- Préparation des jardins maraîchers

Source : Enquêtes de terrain, septembre 2010

 

L’année des populations de Yakouta est subdivisée en cinq principales saisons qui correspondent à des étapes de déroulement des activités socioéconomiques (activités agricoles, pastorales et domestiques). Mais plus encore, ce découpage est calqué sur les manifestations du temps qui influence d’une manière ou d’une autre l’exécution de ces activités. En dehors des éléments qui permettent de prédire la saison, le tableau 1 ci-dessus fait ressortir les réalités locales qui forment les repères temporels et qui orientent les producteurs dans la planification de leur vie quotidienne.

Les populations du bassin versant ont leur perception claire du changement des précipitations. Cette affirmation rejoint celle de Ouédraogo et al (2012) qui ont révélé qu’environ 86% des paysans en zone sahélienne du Burkina Faso estiment que les précipitations ont changé. Par conséquent, ils ont initié ou adopté des comportements qui leur permettent de faire face un temps soit peu à l’adversité de la nature. Ce sont des activités aussi bien de saison pluvieuse que de saison sèche. Les principales qui ont été inventoriées sont : le zaï, les cordons pierreux, les bandes enherbées, la fumure organique, les variétés améliorées etc. (en saison pluvieuse), l’utilisation des points et plans d’eau et le maraîchage en saison sèche.

4. Les stratégies d’adaptation des producteurs

Au Sahel, la maîtrise de l’eau constitue un défi permanent pour les populations locales qui sont confrontées quotidiennement aux effets de la récession pluviométrique (Thioubou, 2001). Les agriculteurs y ont depuis longtemps adopté des pratiques aléatoires en vue d’adapter leur système de production aux aléas climatiques qui caractérisent leur milieu (Jouve, 1991). Les principales initiatives d’adaptation sont : le zaï, les cordons pierreux, les bandes enherbées etc. Les stratégies réalisées par les populations présentent des intérêts contrastés aussi bien en saison sèche qu’en saison des pluies.

Au Sahel, l’entretien du taux de matière organique des sols est un objectif majeur pour lutter contre leur dégradation, restaurer leur capacité productive et améliorer l’efficience de l’eau (Jouve, 2007). Il se pose la question de l’efficacité de toutes ces réalisations vu que les résultats donnent des performances mitigées. En saison sèche, ce sont les points d’eau qui ont plus d’impact sans doute à cause de leur assez bonne distribution spatiale. Ils sont suivis des plans d’eau qui sont des ouvrages importants pour la zone mais dont les réalisations ne se sont pas faites directement par les populations.

En saison pluvieuse, l’utilisation de la fumure organique constitue un tremplin pour les producteurs car l’élevage constitue une activité essentielle dans le bassin versant. En effet le caractère agropastoral du Sahel fait que chaque ménage possède au moins un animal (ovin ou caprin) et pratique l’agriculture. Mais pour un rendu plus efficient de ces stratégies, Diallo et Roose (2006), préconisent une association de plusieurs critères (stratégies) qui sont sensés apporter de l’efficacité dans la gestion de l’eau.

D’autres études ont démontré que la productivité des terres dans les zones semi-arides augmente sérieusement avec la combinaison des aménagements de gestion de l’eau et l’amélioration du niveau de fertilisation du sol et de nutrition des cultures : fumier, compost, paillage et complément N + P. Pour Mazour et al, (2006), l’utilisation des techniques citées ci-dessus n’a d’impact positif observé que parce qu’elles fonctionnent ensemble et d’une manière combinée.

La météorologie populaire permet d’appréhender une société, une culture et un certain regard sur le monde. L’opinion populaire au Sahel est unanime que le climat a évolué et continue de changer. De façon empirique, les producteurs suivent et identifient les déterminants du climat même si c’est à une échelle réduite. Ces déterminants sont entre autres l’irrégularité et la rareté des pluies aussi bien dans le temps que dans l’espace, le début tardif et l’arrêt précoce de la saison des pluies. Le temps qu’il fait est alors défini dans son rapport au temps qui passe. Le calendrier solaire détermine les saisons plus ou moins tranchées et qui peuvent varier selon les régions. Les producteurs subdivisent généralement les saisons selon les variations de températures et de précipitations, ils intègrent parfois des nuances liées à leurs activités, à d’autres observations quotidiennes sur les animaux et des plantes terrestres ou à la contemplation du cosmos.

Pour gérer au mieux le peu d’eau qui tombe du ciel, une série d’initiatives sont donc mises en œuvre par les populations. Il s’agit aussi bien de stratégies de conservation des eaux et des sols que (zaï, cordon pierreux etc.), les variétés améliorées que d’ouvrages hydrauliques (forges, bouli etc.).

Lucien OUÉDRAOGO, Attaché de Recherche, INERA /CNRST,
BP 476 Ouagadougou. E-mail : lucienouedraogo@yahoo.fr

Pour en savoir plus

- BERGERET A., (2002) : Saisons mouvantes, prévisions, présages et décisions chez les peuls du Yatenga (Burkina Faso). IRD, (dans entre ciel et terre, climat et sociétés de Esther KATZ, Annamaria LAMMEL, Marina GOLOUBINOFF), pp. 213 à 230
- CHASTANET M., (2002). Entre bonnes et mauvaises années au Sahel : climat et météorologie populaire en pays soninké (Mauritanie, Sénégal) aux XIXe et XXe siècles in Katz Esther (ed.), Lammel A. (ed.), Goloubinoff M. (ed.) Entre ciel et terre : climat et sociétés. Paris (FRA) ; Paris : IRD ; Ibis Press, 2002, p. 189-209. ISBN 2-7099-1491-3. http://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00507026/
- DIALLO D. et ROOSE E., (2006) : Gestion de l’eau et des sols sur toposéquences cuirassées en Afrique occidentale : Limites des méthodes traditionnelles et perspectives. Actes de la session VII organisée par le Réseau E-GCES de l’AUF au sein de la conférence ISCO de Marrakech (Maroc), pp. 97-102
- JOUVE P., (1991) : Sécheresse au Sahel et stratégies paysannes. In sécheresse vol. 2, n°1, pp. 61-69
- JOUVE P., (2007) : Valoriser l’eau verte en zone aride : Comment améliorer la valorisation des eaux de pluies au Maghreb et au Sahel ? conférence à la séance des Savoirs partagés d’Agropolis-Museum, 14 p.
- MAZOUR M., MORSLI B. et ROOSE E., (2006) : Analyse de quelques techniques traditionnelles de conservation de l’eau et du sol dans le nord-ouest Algérien. In Actes de la session VII organisée par le Réseau E-GCES de l’AUF au sein de la conférence ISCO de Marrakech (Maroc), pp. 193-198
- OUEDRAOGO L., KABORE O., YANOGO P. I., OUEDRAOGO B., ZOUNGRANA T. P., BOUZOU MOUSSA I. (2012). Changement climatique et modèle spatial de gestion de l’eau pluviale dans le bassin versant de Yakouta, Burkina Faso, in Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou (RGO) n° 01 - décembre 2012, pp 1-20
- THIOUBOU A., (2001) : L’aménagement intégré des ressources en eau : une réponse à la désertification. Integrated Water Resources Management (Proceedings of a symposium held at Davis. California. April 2000). In IAMS Publ. no 272, pp. 113-119
- YANOGO P. I., (2012). Les stratégies d’adaptation des populations aux aléas climatiques autour du Lac Bagré (Burkina Faso). Thèse de Doctorat Unique de Géographie Option : Gestion de l’Environnement, Spécialité : Géosciences de l’Environnement et Aménagement de l’Espace, Université d’Abomey-Calavi, 254 p. + annexes

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