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« Affaire Ghislaine & Claude ». Des responsables mais pas encore de coupables.

Publié le dimanche 10 novembre 2013 à 18h34min

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« Affaire Ghislaine & Claude ». Des responsables mais pas encore de coupables.

La mort brutale de journalistes – tout comme leur enlèvement – suscite toujours un vaste mouvement de compassion. C’est, évidemment, la « liberté de la presse qu’on assassine ». Et puis la corporation est soudée ; plus que d’ordinaire dans ces moments-là (d’ordinaire, d’ailleurs, elle ne l’est pas ; en la matière, RFI a toujours été le lieu de toutes les intrigues). Ajoutons que les médias sont les mieux placés pour… médiatiser les drames qui frappent leur salle de rédaction.

L’assassinat de Ghislaine et de Claude (cf. LDD Spécial Week-end 0608/Samedi 2-dimanche 3 novembre 2013) a été l’occasion de débordements ; et de dérives. D’abord parce que RFI est une radio dont la voix porte ; qui plus est, elle porte, de par sa nature même, à l’international. Ensuite, c’est une radio publique qui appartient à un groupe qui dispose aussi d’une chaîne télé d’info en continu (France 24). Enfin, cet événement bouleversant s’est déroulé dans un pays bouleversé depuis pas loin de deux ans. On se souvient de l’émotion provoquée au Mali (plus qu’en France) par la mort de Damien Boiteux, pilote d’hélicoptère tué au premier jour de « Serval ». Et de l’hystérie lors du « débarquement » au Nord-Mali de François Hollande après qu’il ait gagné la guerre contre les « terroristes » et les « islamistes radicaux ».

Voilà donc la corporation des porteurs de carte de journaliste professionnel en émoi. Une carte que l’on attribue, d’ailleurs, de la même manière aux grands reporters qu’aux présentateurs de talk-shows et aux critiques de cinéma. Ghislaine et Claude n’ont sans doute jamais eu autant d’amis, y compris à RFI. Et la « radio mondiale » s’est trouvée du même coup gratifiée de toutes les qualités ; y compris celle qu’on lui reproche le plus souvent (notamment en Afrique) : être « la Voix de la France ». La mort de Ghislaine et de Claude est d’abord un drame qui touche leurs familles et leurs amis. Que RFI vive mal cet assassinat et se pose des questions, c’est la chose la plus normale.

Que les journalistes (pas seulement « occidentaux ») sur le terrain africain se sentent touchés, c’est dans l’ordre des choses. Que la classe politique française soit concernée, normal : Paris est intervenu dans une guerre qui, à l’origine, n’était pas la sienne et RFI est une radio française ; plus encore publique. Pour le reste, j’avoue que les débordements lacrymaux de Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et de quelques responsables politiques maliens m’ont mis mal à l’aise.

Il y a quelques jours déjà, je n’avais guère trouvé judicieuse la remise de médaille, à titre posthume, dix ans après son assassinat, à Jean Hélène, par des autorités ivoiriennes qui ne sont pas un modèle en matière de liberté de la presse (et, pire encore, de déontologie journalistique). Voilà donc qu’IBK éclate en sanglots, que tout le monde trouve cela formidable – y compris à RFI (ce qui oblige quand même à s’interroger sur l’indépendance éditoriale de cette radio) – et que je ne constate guère de commentaires sur cette affaire.

Combien de larmes ont coulé sur ses joues quand le capitaine Amadou Haya Sanogo – qui, lui,… coule des jours paisibles dans son uniforme de général – a fait enlever, humilier, torturer les journalistes maliens et quelques autres de la sous-région ? Depuis son accession au pouvoir, IBK a-t-il concédé aux journalistes maliens un espace de liberté qui aille au-delà du clientélisme entre la classe politique et certains « journalistes » triés sur le volet ? Combien de temps IBK va-t-il trouver toutes les qualités à RFI ? Sauf à penser, bien sûr, que les journalistes de cette radio ne font pas leur boulot !

L’assassinat de Ghislaine et de Claude à Kidal est un drame humain pour leurs familles et leurs amis. Pour les journalistes, c’est un événement : un crime politique. Qui peut avoir, aussi, une dimension crapuleuse. Mais l’unanimité est faite sur deux points importants : Kidal est une zone grise de la République du Mali et c’est une volonté de la France. C’est ce que l’on retient, ce matin (mardi 5 novembre 2013), de la lecture de la presse burkinabè. Concernée au premier degré par cet événement. D’abord parce que l’assassinat d’un journaliste, depuis l’affaire Norbert Zongo, y interpelle toujours l’ensemble de la profession.

Ensuite parce que c’est dans la capitale du « Pays des hommes intègres » qu’ont été signés les « accords préliminaires » (qui n’ont jamais autant mérité leur nom). « Si cette tragédie a pu avoir lieu, c’est en partie dû au statut « bâtard » de Kidal aux velléités autonomistes à défaut d’être indépendantistes, et à la complaisance coupable de la France à l’égard de ces « hommes bleus » dont la seule vue suscite tous les fantasmes » écrit Hyacinthe Sanou dans L’Observateur Paalga. Outélé Keïta, dans Le Pays, n’est pas plus tendre vis-à-vis de Paris : « La France, par ses atermoiements, avait réussi le tour de force « d’épargner le MNLA et de faire de Kidal un cas particulier où Bamako n’a pas réussi à établir toute sa souveraineté, et ce jusqu’à aujourd’hui. L’analyse de la situation laisse croire que les Français, dans leur croisade contre les djihadistes, se sont appuyés sur le MNLA pour mettre en déroute les autres fractions [sic] armées dans le secret espoir de retrouver les otages récemment libérés, ce qui expliquerait leur relative mansuétude à son égard et cette position ambiguë lors de la prise de Kidal ».

Nul ne peut nier qu’à Ouagadougou, dans les rédactions de la presse privée, le ton a quelque peu évolué. Dix mois se sont écoulés depuis le déclenchement de l’opération « Serval ». Et voilà que l’on évoque une « croisade » de la France « contre les djihadistes », la collusion de Paris avec les Touareg du MNLA, la volonté de L’Elysée de faire de Kidal un acteur politique. Toutes choses que l’on pensait déjà au début de l’année mais que l’on exprime désormais plus ouvertement. L’édito d’hier (lundi 4 novembre 2013) de L’Observateur Paalga n’écrivait-il pas : « Si Kidal est toujours cette sorte d’enclave et de no man’s land qu’elle est, c’est quelque part du fait du Grand chef blanc et ce sont, à bien des égards, ses errements que nos confrères viennent de payer au prix fort. Sans doute faut-il maintenant que le général Hollande endosse à nouveau sa tenue de combat pour rebattre les cartes ». Vous avez dit : « Grand chef blanc » ?

Pourquoi cette évolution dans le ton de la presse privée ouagalaise ? Sans nul doute parce qu’il y a la perception, dans les salles de rédaction, que la position de Paris n’est pas sans être alignée sur celle de Ouaga (ou vice-versa) : pas de résolution de la « crise malo-malienne » sans prise en compte des groupuscules armés du Nord-Mali ; même si ces groupuscules armés sont responsables du chaos dans lequel s’est trouvé plongé le Mali en 2012.

Quand les journalistes burkinabè dénoncent la « complaisance » de Paris à l’égard des Touareg, c’est aussi celle de Ouaga à l’égard de ces mêmes Touareg qui est mise en cause. Les Touareg ont fait de Ouaga leur capitale politique et de Bobo Dioulasso le lieu de résidence de leurs familles. Ils ont conscience d’ailleurs de l’exaspération que suscite leur omniprésence sur le terrain burkinabè. « Les Burkinabè ne savent pas qui nous sommes et ont même parfois peur de nous, s’imaginant que nous sommes des terroristes poseurs de bombes. Et ça, c’est la faute de la presse qui ne joue pas toujours son rôle »*. C’est Bilal Ag Acharif, secrétaire général du MNLA, qui l’a dit hier (lundi 4 novembre 2013) lors d’un point presse à… Ouaga.

Pas sûr, d’ailleurs, que la mise en cause de la presse burkinabè dans cette affaire améliore l’image des Touareg au Burkina Faso. « De toute évidence, écrit Outélé Keïta dans Le Pays (mardi 5 novembre 2013), la responsabilité du MNLA est entièrement engagée et à tous les niveaux dans ces assassinats de journalistes français, et il serait difficile pour lui de s’en dédouaner ». Les responsables de la mort de Ghislaine et de Claude sont donc identifiés : Paris et le MNLA. Reste à mettre la main sur les coupables. Et ce ne sera pas le plus facile.

* Cité par Arnaud Ouédraogo dans L’Observateur Paalga du mardi 5 novembre 2013.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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