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Développement : Gordon, le Marshall de l’Afrique ?

Publié le mercredi 19 janvier 2005 à 07h52min

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A la suite de son premier ministre Tony Blair, qui affirmait à Addis-Abeba en octobre 2004 que l’Afrique serait en 2005 une préoccupation du G-8 et de l’Union européenne, Gordon Brown, le ministre de l’Economie et des Finances de la Grande-Bretagne, a appelé les pays riches mercredi dernier au Kenya à annuler définitivement en Afrique, « une fois pour toutes, la dette historique et non payable du passé et de mettre fin à une injustice qui dure depuis longtemps ».

Mettre à profit sa présidence du Groupe des huit pays les plus industrialisés pour soutenir la mise en œuvre d’un nouveau « plan Marshall pour le monde en développement », dans le but d’alléger la dette et de réviser l’aide financière des pays pauvres, tel est le nouvel engagement qu’affiche Londres.

« La justice promise restera une justice niée tant qu’il n’y aura pas un plan pour l’Afrique, aussi audacieux que le plan Marshall des années 40, fournissant les ressources dont nous avons besoin pour mettre en place les réformes et la transparence financière permettant d’en finir avec l’illettrisme, la maladie et la pauvreté », a déclaré Gordon Brown à ses homologues africains, alors réunis pour examiner le rapport préliminaire de la Commission pour l’Afrique, du Premier ministre Tony Blair.

Il en a d’ailleurs convaincu l’ancien président sud-africain, Nelson Mandela, qui s’est engagé à se rendre à Londres en février prochain pour défendre ce plan Marshall, qui prévoit de doubler l’aide du monde développé à l’Afrique pour la porter à 100 milliards de dollars par an.

Sans une aide massive pour l’Afrique, a-t-il laissé entendre à cette occasion, l’objectif de l’ONU d’en finir avec la pauvreté d’ici 2015 devra être repoussé de plus d’un siècle. L’éducation pour tous à l’horizon 2015 ne pourrait être atteint qu’en 2130, et la réduction de la pauvreté, seulement en 2150.

Pendant les dix prochaines années, promet-il, les pays développés vont « fournir les ressources humaines nécessaires pour qu’on dispose en Afrique des enseignants et du personnel, des écoles et des livres indispensables... ».

Le chancelier de l’Echiquier a en outre proposé que soient annulés 80 milliards de dollars de dette dus par les pays pauvres au Fonds monétaire international (FMI), à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement (BAD).

Mais un plan Marshall en faveur de notre continent constitue-t-il une véritable lueur dans un environnement de désolation ou un leurre ? Par ailleurs, ce SOS au profit de l’Afrique obtiendra-t-il le soutien attendu par Brown de ses partenaires, dont certains ne cachent pas leurs réticences ?

Qu’est-ce qui a d’ailleurs bien pu inspirer le grand argentier britannique à emboucher la même trompette que George Marshall qui, en juin 1947, alors secrétaire d’Etat américain sous Harry Truman, a proposé à Harvard un programme d’aide financière contre la famine, le désespoir, la pauvreté et le chaos que connaissait l’Europe suite à la deuxième Guerre mondiale ? Ce programme, on le sait, aura en effet permis un nouveau décollage économique du vieux continent dévasté par la Grande Guerre.

Mais s’il faut se féliciter du succès de ce plan de George Marshall, on se rappelle encore qu’au-delà des objectifs officiels se cachaient bien d’autres, notamment le "containement" autrement dit, l’endiguement du communisme. L’Afrique, qui a pourtant pris part à cette guerre, n’a pas été prise en compte dans cette thérapeutique.

Ce n’est pas qu’il ait manqué des avocats pour défendre le continent noir ; seulement toutes les plaidoiries en sa faveur tombaient dans l’oreille d’un sourd. Des politiciens aux artistes en passant par les altermondialistes, tous ont plaidé, à leur manière, pour l’Afrique.

Sans résultat probant jusque-là. Car non seulement ils sont très peu les pays développés qui acceptent de consacrer 0,7% de leur PIB à l’aide publique au développement, comme souhaité, mais la superpuissance du monde, les Etats-Unis, renâcle à délier les cordons de leur bourse, préférant d’ailleurs le commerce (qu’on sait pourtant inique et inéquitable) à l’aide.

Du coup, on se demande si la campagne pour un « Nouveau plan Marshall pour l’Afrique », engagée par Gordon Brown à Nairobi au Kenya lors de sa tournée sur ce continent, qui n’est pas nouvelle en soi, n’est pas vouée à l’échec comme les nombreuses autres initiatives qui l’ont précédée, quand bien même à la différence des appels antérieurs, celui-là vient d’un des leurs.

On notera aussi la dénonciation des subventions accordées aux agriculteurs des pays développés par Gordon Brown. Un tel discours, s’il n’est pas démagogique, avouons-le, apportera du baume à plus d’un en Afrique, notamment aux pays producteurs de coton dont le nôtre.

Mais l’annulation mécanique de la dette, d’un trait de plume, est-elle suffisante pour qu’enfin l’Afrique, à la traîne dans le développement, décolle ? Peut-être, mais encore faut-il qu’elle ne s’y enlise pas de nouveau.

Par ailleurs, il faut que, si cela devrait avoir lieu, elle soit conditionnée à la bonne gouvernance et que la lutte contre la corruption et pour la transparence dans les pays bénéficiaires ne se résume pas à de simples professions de foi de nos gouvernants à éradiquer ces maux qui minent notre continent.

Rien ne sert par exemple de construire une école et d’organiser par la suite une cérémonie d’inauguration dont le budget pourrait dépasser celui qui a été nécessaire à la réalisation de l’infrastructure.

Il faudrait, disons-le, que ce ne soit pas une nouvelle aubaine donnée à nos dirigeants pour qu’ils desserrent leur ceinture pour laisser pousser leur bedaine pendant que les citoyens, eux, s’embourbent davantage dans la misère.

Car on n’oublie pas que ces dettes, contractées depuis des décennies et dont nous ployons toujours sous le faix, ont souvent été utilisées pour des dépenses somptuaires ou proprement détournées vers des comptes extérieurs. Dans ces conditions, à quoi sert de remettre son compteur de crédit à zéro si c’est pour retomber dans les mêmes travers ?

Il est vrai que si le service de la dette grève considérablement nos maigres ressources, les créanciers ne se font pas vraiment trop d’illusions quant au recouvrement total des créances. Autant donc, pense celui qui aspire à déménager du 11 au 10 Downing Street (1), en faire le deuil une bonne fois pour toutes.

C’est certes bien gentil et généreux de sa part, mais nous, Africains, sommes bien payés pour savoir qu’en la matière, il y a loin de la coupe aux lèvres, dans la mesure où il y a bien souvent un grand fossé entre les discours et les actes.

Hamidou Ouédraogo
L’Observateur

(1) Gordon Brown ambitionne remplacer son patron à la tête du gouvernement lors des élections de 2006

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