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Economie informelle au Burkina Faso : On sait où elle commence. Mais sait-on où elle s’arrête ? (2/2)

Publié le mercredi 16 octobre 2013 à 19h32min

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L’économie informelle assure l’emploi, et donc le revenu, d’une large part de la population burkinabè. Elle déborde même sur l’économie formelle : des entreprises ayant pignon sur rue, surtout dans les « services », ont les mêmes pratiques ; qu’il s’agisse d’employés analphabètes sans qualification ou de diplômés de l’université : pas de fiche de salaire ; pas de protection sociale ; un emploi précaire ; des horaires flexibles ; des conditions de travail « hors norme »…

Avec tout ce que cela implique en matière de non-respect des droits des consommateurs, de risques sanitaires, de fraude organisée. « Cette situation nous interpelle tous sur l’impérieuse nécessité de réfléchir sur les mesures pertinentes et urgentes à prendre pour mieux accompagner les acteurs de ce secteur, et poser ainsi les bases d’une transition sûre vers sa formalisation ». C’est Beyon Luc Adolphe Tiao, Premier ministre, qui l’a affirmé lors de la XIIIème Rencontre gouvernement-secteur privé (cf. LDD Burkina Faso 0387/Lundi 14 octobre 2013).

L’informel fait vivre les populations mais mourir l’économie. Faible productivité, absence totale de formation, sous-équipement, non-bancarisation de l’activité… Un pauvre, ce n’est pas un riche raté. C’est un pauvre en tout ; avec tout ce que cela implique. L’économiste française Esther Duflo, spécialiste mondialement reconnue de la lutte contre la pauvreté (cf. LDD Spécial Week-End 0566/Samedi 5-dimanche 6 janvier 2013), l’a écrit : « Le fait d’être pauvre limite la capacité à mettre en œuvre ses idées et ses projets, condamnant l’entrepreneur potentiel à rester pauvre ou impuissant ».

C’est contre cette « pauvreté » et cette « impuissance » de l’économie informelle que le gouvernement burkinabè entend lutter. Formidable challenge. Car il s’agit de « ne pas lâcher la proie pour l’ombre », d’asphyxier un secteur d’activité, acteur majeur de la lutte contre la pauvreté, sans permettre à ces opérateurs économiques de passer à un cran supérieur. Celui de la crémaillère justement évoquée avec Assimi Kouanda (cf. LDD Burkina Faso 0387/Lundi 14 octobre 2013). Or chacun est conscient que ce passage de l’informel au formel ne peut pas se faire sans accompagnement. Chacun est conscient également – mais personne ne le dira bien sûr – que, compte tenu de l’état de la question au Burkina Faso comme ailleurs en Afrique et plus généralement dans les pays ex-sous-développés, que la « formalisation » globale de l’économie est étroitement liée à un clientélisme politico-affairiste national, régional, local qui n’est pas extensible à l’infini.

Pour paraphraser Jean de La Fontaine, « selon que vous serez puissant ou misérable, les rapports aux banquiers vous seront agréables ». Autrement dit : non seulement « on ne prête qu’aux riches » mais il n’y a que les pauvres, dit-on, qui remboursent les prêts qu’on leur consent. Le problème est toujours le même : l’exemple doit venir d’en-haut. En commençant par l’Etat. Qui, à en croire des entrepreneurs qui ont pignon sur rue, n’est pas toujours le bon payeur qu’il exige que les opérateurs économiques soient.

L’Etat d’une part, le secteur formel et le secteur bancaire d’autre part, doivent être aussi irréprochables que possible dès lors que le gouvernement entend que le secteur informel devienne un acteur économique significatif. Il s’agit, dit-il, de « faire des entreprises informelles des entités formelles, dynamiques, compétitives, à fort potentiel de contribution à l’économie nationale à l’horizon 2018 ». Y’a du boulot… !

A Bobo Dioulasso, il ne s’agissait pas tant de bavasser que de prendre des engagements. Et Tiao l’a dit : « Les engagements constituent une des innovations fortes, qui tranchent avec les expositions de problèmes dans les éditions passées ». 1.928 millions de francs CFA viennent financer ces engagements selon cinq axes : 1 – Clarification et amélioration du cadre institutionnel et réglementaire régissant le secteur informel. 2 – Amélioration de l’accès à l’information. 3 – Renforcement des structures d’appui et des organisations professionnelles du secteur informel. 4 – Amélioration de l’accès au financement. 5 – Développement de la fourniture de services spécifiques d’appui non financiers en contrepartie de la formalisation. Notons que ce programme comprend également un budget de fonctionnement des organes de suivi et d’exécution du plan opérationnel.

Reste que la « formalisation » de l’économie informelle burkinabè n’est pas, pour autant, la résolution des problèmes des opérateurs économiques du « Pays des hommes intègres ». Le face-à-face gouvernement/secteur privé mis en place depuis 2001 est le lieu d’expression des exigences des uns (les privés) et des promesses de l’autre (le gouvernement). « Les attentes du secteur privé sont nombreuses, a déclaré à L’Economiste du Faso* El Hadj Djanguinaba Barro, président de la section territoriale de l’Ouest de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso, et mythique patron du groupe Barro. Et certaines ont été présentées lors des rencontres sectorielles préparatoires à cet important rendez-vous. On peut retenir entre autres, la poursuite de la réforme fiscale, la lutte contre la fraude, la simplification des formalités administratives, la mise en place du soutien à la production, la réduction des charges de production, je veux parler de l’énergie et des transports sans oublier le renforcement des concertations entre l’Etat et les acteurs économiques ».

Des avancées ont été enregistrées grâce à l’action gouvernementale : réglementation du commerce de gros, de demi-gros et de détail par la loi réglementant la profession de commerçant au Burkina Faso ; exigibilité de la TVA sur les prestations de services prochainement introduite dans le code général des impôts ; étude en cours des modalités d’accès des PME et des artisans aux marchés publics ; mise en place de nouveaux équipements afin de résoudre la sempiternelle question des délestages électriques…

Ce qui fait la différence dans l’émergence, c’est la formation. Les Chinois l’ont compris. Pas ceux de Pékin, trop « staliniens ». Ceux de Taïwan. Et c’est la chance du Burkina Faso d’avoir cette relation avec Taipeh. Et de l’entretenir. Pan Shih-Wei, ministre du Travail de la République de Chine, était au Burkina Faso en juillet 2013. Pour visiter le Centre de formation professionnelle et de référence de Ziniaré (CFPR-Z) et le Lycée professionnel national Maurice Yaméogo de Koudougou. Le 7 octobre 2013, Tiao et l’ambassadeur Cheng-Hong Shen ont lancé les travaux de construction du Centre de formation professionnelle industrielle (CFPI) de Bobo Dioulasso.

240 à 300 apprenants seront formés chaque année en mécanique de précision, mécanique avancée et fabrication de pièces et de systèmes mécaniques mais aussi en matière d’énergie électrique, électricité industrielle et bâtiment, mécatronique, informatique, audiovisuel, froid, climatisation**. Car il ne faut pas se faire d’illusions, le passage de l’informel au formel passe d’abord par la formation de « professionnels » qui auront des exigences en matière de moyens techniques mis à leur disposition mais aussi de salaires et de conditions de travail. Car si l’informel l’emporte sur le formel, c’est aussi que les travailleurs burkinabè n’ont pas, aujourd’hui, les moyens de leurs ambitions. Il leur faut apprendre à travailler « professionnellement » et ce n’est pas dans un cadre informel, ou forme-informel, qu’ils y parviendront. Il faut des entreprises au sein desquelles les exigences seront totales. Il faut aussi, en face, une administration qui ait des fonctionnaires tout aussi « pros ».

* Entretien avec Christian Koné, L’Economiste du Faso du Lundi 7 octobre 2013.

** On peut lire avec intérêt, sur ce sujet, le papier de K.T. dans L’Economiste du Faso du Lundi 14 octobre 2013. Il rappelle que le Programme de renforcement de la formation professionnelle (PRFP) est le plus important programme dans le domaine de la formation professionnelle au Burkina Faso, financé, à hauteur de 40,8 milliards de francs CFA par la République de Chine.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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