LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Valorisation des résultats de la recherche : « L’engagement des opérateurs économiques est encore timide », dixit Pr Clémentine Dabiré/Binso

Publié le jeudi 19 septembre 2013 à 20h05min

PARTAGER :                          
Valorisation des résultats de la recherche : « L’engagement des opérateurs économiques est encore timide », dixit Pr Clémentine Dabiré/Binso

Le projet Valorisation des résultats de la recherche (VRRI) tire à sa fin, après une mise en œuvre de près de cinq ans. Certes, il a permis de valoriser, vulgariser et promouvoir certaines trouvailles de chercheurs, inventeurs et innovateurs du Burkina, mais les acteurs économiques tardent à suivre la dynamique. A la veille de la tenue du symposium de clôture (24 au 27 septembre 2013) de cet important projet, la secrétaire permanente du Forum national de la recherche scientifique et de l’innovation technologique (FRSIT), par ailleurs vice-présidente du comité national d’organisation dudit symposium nous a accordé un entretien le 18 septembre 2013.

Lefaso.net : Peut-on dire que les chercheurs burkinabè trouvent ?

Clémentine Dabiré : Je pense que même les populations se rendent compte que de plus en plus les chercheurs burkinabè trouvent. Mais, il n’y avait pas assez de bruit autour de ce que les chercheurs trouvent. Face aux évènements survenus comme la sécheresse, les émeutes de la faim… les gens ont réalisé qu’il faut produire davantage. C’est ainsi qu’ils se sont orientés vers la recherche, surtout la recherche agricole, pour utiliser les résultats et les recommandations de cette recherche pour accroitre la production.

Avant les chercheurs couraient derrière les populations et les politiques pour montrer leurs résultats. Aujourd’hui, c’est l’effet contraire, les gens vont vers la recherche pour demander ce qui est disponible pour améliorer les conditions de vie des populations.

Si je prends le domaine de l’énergie, l’année dernière au FRSIT, les gens ont exposé tout ce qui est résultat autour de l’énergie et l’énergie renouvelable, du matériel qu’on pouvait utiliser pour pouvoir diminuer la consommation en énergie et aussi pour pouvoir faciliter le travail domestique et autres. Donc les chercheurs trouvent.

Mais, mais est-ce que les résultats de la recherche sont suffisamment valorisés et vulgarisés ?

On disait que les chercheurs travaillaient dans les laboratoires et qu’ils gardaient les résultats là-bas. Ils avaient beaucoup de résultats mais les résultats ne sortaient pas assez pour contribuer au développement de notre pays, pour participer à l’épanouissement de la population. Mais, aujourd’hui, tout le monde a pris conscience de cette situation, aussi bien les chercheurs, les politiques, les partenaires si bien que les gens ont mis l’accent ces jours-ci sur la valorisation de ces résultats de recherche. Ça veut dire qu’on peut valoriser en créant des petites et moyennes entreprises autour des résultats que les chercheurs, les inventeurs, les innovateurs ont trouvé pour pouvoir exploiter tout ce qu’ils ont mis au point.

Etes-vous satisfaits des actions mises œuvre jusque-là pour promouvoir la valorisation et la vulgarisation des résultats de recherche (VRRI) ?

Nous sommes partiellement satisfaits parce qu’il y a le projet valorisation des résultats de recherche qui a commencé à mettre l’accent sur la communication autour de ces résultats, il y a le politique qui s’est engagé à créer tout un ministère consacré à la recherche scientifique et aux innovations, dans lequel des services de valorisation des résultats de recherche ont été mis en place. Donc, il y a beaucoup d’efforts qui sont fait actuellement pour que les résultats de la recherche ne dorment plus dans les laboratoires, mais qu’ils participent au développement du pays par l’utilisation intensive de ces résultats par les populations.

Cette dynamique est-elle suivie par les opérateurs économiques ?

Nous sensibilisons la population, notamment les jeunes et les politiques. Mais avec les opérateurs économiques, c’est un peu timide. Nous avons eu des séances de discussions avec eux, ils voient les résultats, mais prendre en charge ces résultats, les développer et en faire un métier, pour en faire la promotion, c’est encore timide. Il y a quelques-uns qui s’engagent mais –il faut le dire – les opérateurs économiques ne sont pas encore pleinement engagés dans ce domaine-là.

Par exemple, un des instituts du CNRST a mis au point les foyers améliorés Roumdé. C’est un projet, une ONG qui a pris cette technologie pour en faire la promotion. Ils ont formé des artisans et actuellement, ce matériel sort beaucoup. Mais c’était des opérateurs économiques qui devraient prendre cette activité en charge comme leur activité.

Vous prenez toujours les foyers Bitatooré (autocuisseur) mis au point toujours par l’IRSAT, c’est un matériel qui est commandé dans les pays extérieurs, le Sénégal surtout. Mais, aucun opérateur économique n’a pris en main cette trouvaille pour en faire son commerce.

Bref, il y a beaucoup de situations comme ça que les opérateurs économiques n’exploitent pas, alors qu’ils auraient pu en faire du commerce, créer des entreprises autour.

Vous aviez parlé du projet Valorisation qui devrait aider à promouvoir les résultats de recherche, concrètement, en quoi a consisté ce projet ?

Comme vous l’aviez dit, il y a beaucoup de résultats de recherche qui étaient accumulés au niveau du Burkina Faso, beaucoup de résultats de chercheurs et d’innovateurs. Donc, le CRDI qui est un organisme canadien de coopération a voulu accompagner les efforts du Burkina pour faire la promotion de ces résultats auprès des utilisateurs et pour valoriser ces résultats. C’est cette situation qui a mis ce projet en route depuis 2008. C’était un projet pilote et s’il marche au niveau du Burkina, les autres pays africains pourraient exploiter les résultats et utiliser dans les autres pays africains où les mêmes contraintes peuvent se poser. Donc, c’était un projet pilote, une expérience que le Burkina était en train de tenter.

Le projet ne fait pas la recherche mais il fait la promotion des résultats que la recherche a trouvé, que les inventeurs ont trouvé, que les innovateurs ont trouvé. Il a entrepris plusieurs actions pour pouvoir faire la promotion de ces résultats-là.

On a d’abord fait l’inventaire de tous les résultats au Burkina Faso dans les différents services qui font la recherche et on a fait un plan de communication. On a aussi étudié d’autres aspects comme la contribution du genre à la valorisation des résultats de recherche et il y avait un volet suivi-évaluation.

Pour ce qui concerne le plan de communication, une des défaillances était que les chercheurs trouvent mais les résultats ne sont pas assez exposés. Et les chercheurs n’ont pas la compétence de faire la promotion autour de ces résultats-là. Ils ne sont pas des communicateurs. D’autre part, les communicateurs sont là mais ils ne vont pas vers la recherche pour savoir ce qui existe, ce que les chercheurs veulent exposer. Ils n’avaient pas aussi le langage pour faire la communication concernant l’information scientifique et technologique. Voilà pourquoi dans le projet, il y a eu d’abord un plan de communication et la formation des journalistes pour qu’ils comprennent le langage des cherchent, pour qu’ils puissent faire des reportages dans un langage scientifique et technologique et aussi pour qu’ils puissent aller vers chercheurs. Cette formation des journalistes a mis ensemble les chercheurs et les hommes de médias pour pouvoir parler science et pouvoir s’informer largement sur ce que les chercheurs font comme travail et ce qu’ils ont trouvé.

Le plan de communication a recommandé une communication médias et une communication hors-médias. C’est ainsi que régulièrement, nous avons fait la promotion des résultats de recherche à travers des émissions radio (Antenne directe à la radio nationale, Vénégré (découverte) à Savane FM…), des émissions télé (Techno-Inno à la TNB)…

Un autre volet du projet, c’est création d’une vitrine permanente Exposition des résultats de recherche. Elle est dans le même bâtiment que le secrétariat permanent du FRSIT et expose des produits primés lors des différentes éditions du FRSIT et des produits primés à d’autres expositions ou des produits que nous trouvons d’un intérêt certain et que nous décidons d’accompagner.

Depuis la mise en œuvre de ce projet, peut-on dire que le regard du public vis-à-vis du chercheur a quelque peu changé ?

Le projet est venu trouver le FRSIT. C’est le FRSIT qui a commencé à changer le regard du public. Que ce soit au SIAO ou à la Maison du peuple, lorsqu’on organise le FRSIT, les stands ne désemplissent pas. Le projet Valorisation des résultats de recherche, en faisant régulièrement du bruit à la télévision, à la radio, dans les colonnes des journaux, a rendu plus assidu la population qui, maintenant, regarde le chercheur d’un autre œil, pas celui qui est dans sa tour d’ivoire mais quelqu’un qui est en train de chercher des solutions à ses préoccupations. Je pense que cela a beaucoup influencé le regard du public à l’égard du chercheur.

Le regard a changé, dites-vous, mais est-ce qu’il utilise suffisamment les résultats de recherche ?

Si vous regardez aujourd’hui les semences des variétés améliorées dont le public a déformé le nom en appelant semences améliorées, tout le monde cherche ces produits. Au début, on courait derrière les gens pour proposer ces semences et ils ne le prenaient pas toujours. Aujourd’hui, c’est le public qui recherche ces semences qui ne suffisent même plus. Il y a beaucoup d’exemples de ce genre qu’on pourrait donner.

Le projet VRRI a permis d’engranger des acquis notables, mais il tire à sa fin, faut-il s’attendre à un renouvellement ?

Non, il s’agissait d’un projet pilote. Avec un tel projet, on se demandait qu’est-ce qui faisait que les résultats de recherche ne sortaient pas, pourquoi les gens ne les prennent pas pour les valoriser. Ce projet a permis de tirer les leçons et de comprendre la complexité du problème et d’essayer de trouver des solutions pour que cela s’améliore. Et, un projet a une durée limitée. Par chance, nous avons aujourd’hui un ministère en charge de la recherche scientifique qui a des volets valorisation des résultats de la recherche, des services qui s’occupent spécialement de la valorisation des résultats de la recherche. Donc, c’est un des effets positifs du projet. Il y a un service permanent maintenant de valorisation des résultats de la recherche gérée par le gouvernement. Ça veut dire que le projet a eu de l’impact et cela pourra continuer le travail de valorisation des résultats de la recherche. Nous demandons toujours à nos partenaires d’appuyer ce service pour pouvoir continuer à faire ce travail de promotion des résultats de la recherche.


Pour marquer la fin de ce projet, un symposium international est prévu du 24 au 27 septembre, quel est l’objectif de cette rencontre ?

Comme le projet tire à sa fin, nous avions prévu d’organiser un symposium avec aussi bien des personnes qui pourraient être intéressées au Burkina Faso, mais aussi avec des personnes au niveau de l’Afrique subsaharienne qui ont essayé de valoriser des résultats de recherche ou d’autres personnes d’autres continents qui travaillent en Afrique pour la valorisation des résultats de la recherche. Donc, l’objectif est de mener une réflexion très approfondie sur la valorisation des résultats de recherche et de pouvoir trouver des solutions durables aux contraintes qui handicapaient la valorisation des résultats de recherche.

Quel est le menu de ce symposium ?

Nous avons fait un appel à candidature et tous ceux qui se sentaient concernés par le sujet en Afrique subsaharienne ont fait des propositions d’articles pour pouvoir participer aux travaux. Le symposium va consister en des séances d’intervention concernant la valorisation des résultats de recherche. Mais, avant les personnes pétries d’expériences dans le domaine vont faire une introduction.

Seront abordés pendant cette rencontre les thèmes suivants :
- les contraintes et les opportunités spécifiques aux pays africains dans l’utilisation intensive des résultats de recherche et des innovations pour le développement économique et social ;
- la création d’un environnement favorable à l’utilisation des résultats de recherche et des innovations pour le développement économique et social ;
- les expériences réussies de valorisation des résultats de recherche et des innovations dans les pays en développement : les contraintes et les facteurs de succès. Nous voulons surtout tirer les leçons des expériences réussies et des expériences qui n’ont pas marché pour pouvoir proposer les voies et moyens pour faire de façon durable la valorisation des résultats de recherche ;
- les approches stratégiques de promotion de la valorisation des résultats de recherche et des innovations dans les pays en développement dans l’un ou plusieurs des domaines suivants : organisationnel et institutionnel, renforcement de capacités, communication, protection intellectuelle, prise en compte du genre, développement de partenariat public-privé, etc.

Il y aura également une exposition des technologies par des inventeurs.

Qui sont les participants ?

Ce sont essentiellement les personnes pétries d’expérience pour faire les notes introductives, et les communicateurs. Ils viennent d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale, d’Afrique de l’Est, d’Afrique du Sud, bref toute l’Afrique subsaharienne. Il y a également des chercheurs venant d’Europe (Allemagne, Belgique, France) et d’Amérique (USA, Canada).

A quelques jours de l’évènement, où est-on avec les préparatifs ?

Actuellement, nous avons reçu les communications, nous avons sélectionné et retenu ceux qui entrent dans le thème. Ceux qui doivent faire les notes introductives ont envoyé ces notes qui sont toutes prêtes. Sur le plan des préparatifs, nous avons envoyé les billets d’avion à ceux qui doivent faire le déplacement. Tout est pratiquement prêt. Le symposium se tiendra à Joly Hôtel sise à Ouaga 2000. Nous avons bouclé le budget et il n’y a pas de difficultés particulières majeures.

Un appel à lancer ?

Nous demandons aux chercheurs, innovateurs et ceux qui doivent faire les notes introductives de participer pleinement aux débats et à la réflexion qui doit être très approfondie pour ressortir les voies et moyens pour valoriser les résultats de recherche et des inventions et innovations. Nous demandons aux politiques de nous accompagner et surtout que ces conclusions ne soient pas une conclusion de plus, mais qu’elles puissent être exploitées pour mettre en place et renforcer notre politique nationale de valorisation des résultats de la recherche. Nous demandons à la presse de nous accompagner comme d’habitude.

Entretien réalisé par Moussa Diallo

Lefaso.net

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique