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Côte d’Ivoire/Burkina Faso : « Je t’aime… moi non plus ».

Publié le dimanche 4 août 2013 à 17h38min

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Côte d’Ivoire/Burkina Faso : « Je t’aime… moi non plus ».

On ne peut pas rêver relation plus essentielle et pourtant autant anachronique. Quand Félix Houphouët-Boigny régnait sur la Côte d’Ivoire et voulait régner, du même coup, sur l’Afrique de l’Ouest, la Haute-Volta ne représentait pas grand-chose dans la géopolitique ivoirienne. Juste une réserve de main d’œuvre bon marché mais fiable. Il n’était pas un ministre ivoirien qui, comblé de terres à défricher pour bons et loyaux services rendus au « Vieux », ne les ait confiées à des « Voltaïques ».

L’agriculture extensive, le café et le cacao… sont, en Côte d’Ivoire, des inventions venues d’ailleurs. A Abidjan, on disait alors que « quand on a des Voltaïques chez soi on est tranquille à la maison comme dans la plantation ».

La « Révolution » de Thomas Sankara a été vécue, à Abidjan, comme un crime de lèse-majesté. Une remise en question de la hiérarchie régionale et, plus encore, une connexion avec les « ennemis » du « Vieux » (notamment Mouammar Kadhafi et Jerry Rawlings). La « Rectification » de Blaise Compaoré a remis les pendules à l’heure d’Abidjan en un temps où les Ivoiriens trouvaient le… temps long. C’était la fin d’une époque. Marquée par la quadrature du cercle : Félix Houphouët-Boigny/Alassane D. Ouattara/Henri Konan Bédié/Laurent Gbagbo. Devenue, après le 7 décembre 1993, le triangle des Bermudes. Puis, au lendemain du 11 mars 2011, date de la capture de Gbagbo, un « Tea for Two » entre « houphouëtistes ». Aujourd’hui, il n’en reste qu’un : ADO !

Blaise, quant à lui, était là, déjà, en 1983, et, plus encore, à compter de 1987. Il a vu passer le « Vieux », Bédié, Robert Gueï, Gbagbo, ADO. Il est celui qui a le mieux profité de la « crise ivoiro-ivoirienne » alors que beaucoup pensaient qu’il n’y survivrait pas. Et quelques uns de ceux qui l’ont accompagné dans la gestion de cette crise occupent, aujourd’hui, le devant de la scène politique burkinabè, à commencer par Djibrill Y. Bassolé.

La résolution de cette crise résulte, pour une large part, de l’implication ferme de Ouagadougou. Les mauvaises langues diront que ce n’est qu’un juste retour des choses dans la mesure où, pour une large part également, c’est Ouaga qui, directement ou indirectement, en a été à l’origine. On ne peut pas reprocher aux Burkinabè d’être dogmatiques. Ils ont « fait avec » un « Vieux » à bout de souffle, un premier ministre technocratique (ADO), un président déboussolé avant d’être déboulonné (Bédié), un général déglingué (Gueï), un socialiste passablement défroqué (Gbagbo). C’est avec celui-ci que Ouaga va négocier, en 2007, l’accord de… Ouagadougou. Guillaume Soro, l’homme qui a su récupérer et structurer le mouvement du 18-19 septembre 2002, devient premier ministre. Il le restera quand, à la suite de la présidentielle 2010, ADO succédera, dans les conditions que l’on sait, à Gbagbo.

Pour Ouaga, dans une conjoncture régionale délicate, l’essentiel aura été de maintenir, coûte que coûte, le lien avec Abidjan. Avec détermination et fermeté. Pour des raisons diplomatiques (un temps, on a pu penser qu’une confrontation armée pouvait devenir inévitable), certes, mais aussi économiques et sociales ; sans oublier que la communauté burkinabè en Côte d’Ivoire était une cible. Tandis que Ouaga, sans oublier Bobo-Dioulasso et Banfora, sont devenus les QG des « rebelles » et autres « mafieux » qui ont exploité, à leur propre compte, l’état de déliquescence de… l’Etat ivoirien.

Il n’est pas, en Afrique, deux pays dont l’histoire et le destin sont aussi différents et aussi intimement liés. A tel point, d’ailleurs, que l’administration coloniale avait pensé en faire un seul et même espace territorial (ce qui sera effectif de 1932 à 1947). La Côte d’Ivoire, longtemps, va traiter la Haute-Volta puis le Burkina Faso avec cette indifférence qui, trop souvent, confine à la suffisance : costume-cravate vs Faso dan fani. Du côté des Burkinabè, les sentiments sont plus complexes. Il y a ce ressentiment vis-à-vis d’une population qui, selon eux, ne les reconnait par à leur juste valeur. Et, dans le même temps, cette nostalgie d’une Côte d’Ivoire du « miracle » qui est, pour beaucoup d’entre eux, un « paradis perdu ». Mais aussi, depuis deux décennies, la prise de conscience que le Burkina Faso a évolué, globalement, dans le bon sens quand la Côte d’Ivoire ne cessait de dégringoler. Cerise sur le gâteau : Abidjan ne cesse ne rendre hommage à la médiation menée par le Burkina Faso.

A Yamoussoukro, à l’occasion de la 3ème conférence au sommet du Traité d’amitié et de coopération (TAC) Burkina Faso-Côte d’Ivoire (cf. LDD Côte d’Ivoire 0410/Lundi 29 juillet 2013), le très « houphouëtiste » préfet de la région, Augustin Thiam, n’a pas manqué d’affirmer : « Nous nous souviendrons toujours de votre grande contribution à l’évolution du processus politique et à l’instauration de la paix dans notre pays ». Il a ajouté : lorsque la Côte d’Ivoire « a pris feu, au lendemain des élections [de 2010], les sapeurs-pompiers sont venus du Burkina Faso avec le très discret et efficace président du Faso ». Même Guillaume Soro, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale, a fait le déplacement jusqu’à Yamoussoukro, pour une « visite de courtoisie » au président du Faso avec qui, dit-il, il a « toujours » eu « des relations privilégiées ». C’est bien plus que de la « courtoisie » d’ailleurs puisque Soro a partagé avec Blaise « sa vision, ses convictions pour le Burkina et aussi pour la Côte d’Ivoire ».

Le TAC, initié au temps de Gbagbo, s’épanouit sous ADO. Ce qui n’est pas le moindre de ses mérites. La proximité était sans doute plus grande entre le leader du FPI et un président du Faso qui, dans sa relation avec son homologue ivoirien, n’employait pas la langue de bois. ADO, c’est autre chose : rien d’un « voyou de la politique » ; un technocrate quelque peu engoncé dans la fonction présidentielle et rassuré par le protocole qui l’entoure et le protège. Mais la synergie est plus forte entre le Burkina Faso de Blaise et la Côte d’Ivoire ADO qu’elle ne l’était avec celle de Gbagbo.

D’où la volonté du président du Faso « d’œuvrer à faire en sorte que notre espace Côte d’Ivoire-Burkina puisse, à l’avenir, se présenter comme l’exemple à suivre pour les autres nations. Nous avons aussi l’ambition, a-t-il ajouté, de travailler de façon plus ouverte avec les autres afin qu’à partir de ce noyau, la sous-région puisse accélérer le processus d’intégration ». Nul doute que dans quelques années, cette relation Ouaga-Abidjan sera un sujet de thèse* pour les économistes et les politistes. En attendant, 19 projets d’accord ont été paraphés dans tous les domaines : orpaillage clandestin, relations postales, fluidité du trafic et libre circulation des personnes et des biens, foncier rural, communication, changements climatiques, etc.

En ce qui concerne les « grands projets » qui vont changer la physionomie de la relation Abidjan-Ouagadougou notons qu’il a été annoncé que la réhabilitation du chemin de fer est confiée à un opérateur privé dans le cadre d’une concession de service public (un schéma typiquement ADO qui n’oublie jamais ses années passées au FMI) et que les conclusions concernant cette opération devraient être remises par Timis et Bolloré avant le 16 août 2013. C’est la plus grosse et la plus significative des opérations qui sera initiée entre les deux pays, sa réalisation étant un préalable à l’exploitation du gisement de manganèse de Tambao, dans le Nord du Burkina Faso, au-delà de Dori, « l’arlésienne » des projets miniers du pays.

* Un des aspects les plus innovants du TAC porte sur les projets transfrontaliers. Un projet de coopération triangulaire, appelé Sikobo, concerne ainsi les trois agglomérations de Sikasso (Mali), Korhogo (Côte d’Ivoire) et Bobo Dioulasso (Burkina Faso). Notons que dans le cadre de l’Institut des hautes études internationales (INHEI), une étudiante, Suzanne Nouma, vient
de soutenir un mémoire sur la coopération interétatique dans la gestion durable des ressources naturelles transfrontalières
à travers, particulièrement, le plus vaste complexe d’écosystème d’Afrique de l’Ouest : W/Arli/Pendjari, à la frontière entre
le Burkina Faso et le Bénin.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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