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Mali : Si c’est faisable, faites-le. Si c’est impossible, demandez à Paris et Ouaga de le faire… !

Publié le lundi 29 juillet 2013 à 20h44min

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Mali : Si c’est faisable, faites-le. Si c’est impossible, demandez à Paris et Ouaga de le faire… !

C’était le dimanche de toutes les espérances. Mais aussi celui de tous les dangers. Et voilà que la journée du 28 juillet 2013 s’est terminée sans accrocs. Inespéré. Le soulagement est tel que l’enthousiasme suscité par la tenue de cette élection présidentielle peut apparaître démesuré. Dioncounda Traoré, le président par intérim, a même estimé que c’était la présidentielle « la plus réussie » jamais organisée au Mali.

C’était, incontestablement, la plus inattendue. Elle devait se dérouler en 2012 ; elle se déroule en 2013 après une « guerre » intra-malienne, un coup d’Etat militaire, l’occupation de plus de la moitié du territoire national par des groupes armés, une intervention militaire étrangère de grande ampleur, le déploiement de troupes africaines, une médiation aux forceps, des réunions et conférences internationales à répétition. Un commentateur a osé le mot : « miraculeux ».

Le dimanche 28 juillet 2013 restera dans les annales du Mali. Mais aussi de l’Afrique. Plus personne ne pourra avancer l’argument qu’il faut attendre des conditions idéales (dont chacun sait qu’elles ne sont jamais réunies) pour assumer ses responsabilités : le premier tour de la présidentielle s’est tenu à peine plus de sept mois après le déclenchement de l’opération « Serval » ; et il y a moins de six semaines qu’a été signé l’accord de Ouagadougou qui a permis le retour de l’administration et de l’armée maliennes à Kidal, le fief du MNLA. Ce n’est bien évidemment qu’un premier tour et il faudra plusieurs jours avant d’en connaître le vainqueur ou les vainqueurs (en cas de deuxième tour), mais d’ores et déjà le Mali a assumé cette année ce qu’il semblait incapable d’assurer l’an dernier (et cela avant même le déclenchement de la « guerre » par le MNLA et le coup d’Etat du 22 mars).

On retiendra de cette affaire que le Mali n’est ni l’Irak, ni l’Afghanistan où une opération de ce type aurait provoqué son cortège de morts. Les Maliens sont-ils plus raisonnables que les Irakiens ou les Afghans ? Ou, bien plutôt, moins concernés par les enjeux idéologiques, politiques, souverainistes ? Il est vrai qu’il est difficile de s’y retrouver dans ce magma malien où l’on trouve de tout : des groupes qui ont exigé, les armes à la main, l’indépendance de l’Azawad avant d’y renoncer ; des putschistes qui n’ont pas tiré un coup de feu contre les « envahisseurs » mais trônent dans des « institutions » de la République, y compris celle en charge de la restructuration de l’armée ; des médiateurs qui ont contesté leur propre médiation ; des « islamistes radicaux » qui sont devenus radicalement indifférents à ce qui se passe chez eux pendant le Ramadan ; des « cénistes » prêts à proclamer des résultats après avoir affirmé haut et fort que cette élection n’était pas organisable dans les délais impartis ; un ex-chef d’Etat qui, a aucun moment, n’a semblé se soucier de ce qui pouvait se passer dans un pays dont il a eu la charge pendant dix ans et qui « se la coule douce » dans un pays étranger.

Ne nous plaignons pas que la mariée soit trop belle. Posons nous simplement la question de savoir si, pour ce qui est du Mali, nous n’en n’avons pas trop fait quand nous n’en faisons pas assez pour ce qui est de la région des Grands Lacs (où les drames humains sont plus bouleversants que dans le « corridor sahélo-saharien ») ; et que nous ne faisons rien du tout concernant le Nigeria où, week-end après week-end, Boko Haram s’adonne à son lot de massacres (encore une vingtaine de personnes cette fois).

On ne peut que se réjouir de ce que le Mali ait émergé du gouffre dans lequel il avait plongé avec une certaine délectation. Il n’est personne aujourd’hui, au sein de la classe politique malienne – celle que l’on a abondamment entendue pendant la campagne présidentielle – pour nier que tout un chacun avait conscience du laxisme du pouvoir et de son addiction à la corruption. Sauf que, bien sûr, « ce n’est pas moi, c’est lui » ; autrement dit avant ou après que l’intéressé ait été aux affaires. Mais on ne perd pas de vue, pour autant, que cette affaire malienne est un énorme gâchis. Pour le pays, pour l’Afrique de l’Ouest, pour la « communauté internationale ». Un gâchis qui résulte d’un échec ; ou, plutôt, d’une insuffisance de gouvernance à laquelle tout le monde a participé : les Maliens, la Cédéao et l’Uemoa, la France, l’Union européenne… Je ne suis pas certain que cette journée d’exception accouchera, en fin de parcours, d’un homme d’exception.

Mais je suis certain que s’il n’y avait pas eu autant de complaisance vis-à-vis d’Amadou Toumani Touré (ATT) et des siens le Mali n’aurait pas sombré dans le chaos. Des commentateurs ont affirmé, à l’issue de cette journée de dimanche, que cette élection était une « leçon de démocratie ». C’est surtout l’illustration qu’il ne faut pas mettre n’importe quoi derrière ce mot. Et qu’une élection ne devrait pas consacrer un homme mais d’abord un programme et une équipe capable de le mettre en œuvre. Et, là, nous sommes encore loin du compte. Très loin même.

La leçon qu’il convient de tirer de cette affaire, c’est qu’il faut que les chefs d’Etat africains, à commencer par ceux des pays qui se disent « démocratiques » mais qui ont failli (et la liste est longue : Mali, Côte d’Ivoire, Guinée, Togo et, évidemment, je ne fais pas référence aux régimes autoritaires qui règlent leurs problèmes en interne par l’oppression et la répression), cessent de jouer au président de la République. Qu’ils ne se contentent plus des attributs et des avantages du pouvoir mais qu’ils fassent le boulot. Avec humilité. Dans quelques jours ou dans quelques semaines, un nouveau chef d’Etat va s’installer au palais de Koulouba. Il ne faudra pas qu’il perde de vue « qui l’a fait roi ». Paris et Ouagadougou (sans oublier N’Djamena qui a joué un rôle crucial dans le Nord-Mali). Aux noms de la « communauté internationale » et de la Cédéao. Ce n’est pas une question de reconnaissance ; mais la nécessité d’être humble dans cette affaire.

Le président du Mali ne sera légitime que s’il rassemble les Maliens, ceux au pays comme ceux de la diaspora, autour d’un projet de développement. Paris a assaini la situation sur le terrain et continuera de veiller à ce que tout se passe bien. Ouagadougou a permis d’établir une feuille de route cohérente. La « communauté internationale » s’est engagée dans le redressement du Mali de manière conséquente (plus de 3 milliards d’euros de financements promis) et a mis en place, via l’ONU, une mission sur le terrain. Tous les ingrédients sont donc réunis pour que l’affaire malienne trouve une issue satisfaisante. On peut même penser qu’elle aura été, finalement, une chance pour le pays. A condition de ne pas la gâcher une fois encore.

C’est dire que le président de la République du Mali devra développer une vision collective du pouvoir. Qui ne soit pas, pour autant, cette vision unanimiste (et du même coup laxiste) qui a été celle prônée par ATT. On notera que la campagne présidentielle s’est déroulée dans une ambiance plutôt courtoise. Et que le scrutin n’a pas été l’occasion d’affrontements entre partis. Espérons que la situation post-électorale (et, le cas échéant, l’entre deux-tours) ne provoquera pas de radicalisation des comportements.

Le Mali n’est pas la Côte d’Ivoire. Mais l’expérience ivoirienne montre la difficulté qu’il y a à passer d’une situation de crise à une situation apaisée. On ne peut pas faire l’impasse, au nom du politique comme de l’économique, sur la mal-gouvernance qui a caractérisé les régimes antérieurs. Il faut, bien au contraire, en tirer les enseignements. Ce n’est pas que le rôle des hommes politiques ; c’est aussi celui des intellectuels et des commentateurs, maliens et africains d’abord. « Le Mali tourne la page » dit-on, ce soir. Il ne serait pas bon qu’elle la tourne trop brusquement et que la nouvelle équipe au pouvoir pense qu’elle n’est pas comptable, également, du comportement qui a été le sien au cours des décennies passées. Bien au contraire, il lui se rappeler d’où elle vient pour éviter de sombrer dans les mêmes dérives, celles du laxisme, du clientélisme, de l’incompétence, de la complaisance…

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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