Le religieux et le vivre-ensemble au Burkina Faso : une exhortation à la vigilance

Il y a quelques semaines, le Centre pour la gouvernance démocratique, le CGD, initiait un débat sur « les tabous constitutionnels de la Ive république ». Dans les lignes qui suivent, Nana Firmin revient quant à lui, sur la question du religieux et du vivre-ensemble au Burkina.
Cette note constitue un cri de cœur au-delà de son allure analytique. Elle se veut un appel à la promotion du bon voisinage entre citoyen de religion différente. Même si les chemins empruntés pour se relier au divin semblent différés, nous devons nous rendre compte que ce qui nous unit à ce territoire burkinabè et africain est ce qu’il y a de plus important et sacré.
De la sorte, il est nécessaire de tout mettre en œuvre pour que le religieux contribue fortement à la consolidation de la cohésion sociale au Burkina Faso et ailleurs. Par conséquent, même si la prépondérance du religieux est manifeste, elle doit plutôt favoriser le bon voisinage et le vivre ensemble quelles que soient nos différentes appartenances religieuses.
Selon les données issues de l’enquête « Valeurs » du Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD), il ressort que la quasi-totalité des burkinabè estiment appartenir à une confession religieuse. Seulement 0,8% des burkinabè affirment ne pas appartenir à aucune confession religieuse.
Ce qui montre l’importance de la religion pour les burkinabè. Il ressort même que 98,4% et 98,7% des enquêtés accordent respectivement une importance aussi bien à la religion qu’à Dieu.
Les burkinabè largement acquis au religieux
Neuf burkinabè sur dix sont membres d’une religion révélée. D’où la prédominance des religions révélées dans la vie sociale burkinabè contre des proportions faibles pour les adeptes de la religion traditionnelle (6,4% selon le CGD) et ceux déclarant n’appartenir à aucune religion (0,8%).
L’autre caractéristique de la vie religieuse au Burkina Faso est relative à la tendance à la baisse de la proportion des adeptes de la religion traditionnelle et à la constante augmentation de ceux des religions dites révélées. Les données issues du RGPH (2006) traduisent cette situation.
Selon l’INSD, la baisse moyenne annuelle de la proportion des animistes se situe autour de 3,2% avec un rythme plus accéléré en milieu urbain tandis qu’au niveau des religions révélées, la proportion de leurs adhérents s’accroît d’année en année, soit un accroissement moyen de 1,7% par an chez les musulmans, 3,6% pour les catholiques et 8,5% chez les protestants. Si l’adhésion à une confession donnée implique un changement de référant culturel, il va de soi que la dynamique culturelle burkinabè s’oriente de plus en plus vers les idéaux socioculturels véhiculés par les religions révélées. Ce qui engendre des questions sur la pertinence de l’existence d’une identité culturelle spécifique caractérisant le burkinabè.
La religion dans le voisinage
Au-delà de ces caractéristiques, les données collectées révèlent un problème de voisinage entre burkinabè du fait de l’appartenance religieuse. Il a paru nécessaire d’observer cette situation afin de mieux cerner ses contours et traduire la nécessité d’initier des actions pour la consolidation de la cohésion sociale au Burkina Faso.
Il ressort des enquêtes "Valeurs" du CGD que certains habitants du Burkina Faso se sentent gênés d’avoir des voisins pratiquant une religion autre que la leur. Ce groupe de personnes constitue 21,7% des 18 ans et plus.
Autrement dit, sur 10 burkinabè âgés de 18 ans et plus environ deux d’entre eux affirment avoir du mal à vivre avec des voisins de religion différente.
Les femmes moins tolérantes que les hommes
Dans cette catégorie, il y a 54,2% de femmes contre 45,8% d’hommes. Ces proportions sont en baisse lorsqu’on tente de mesurer le phénomène parmi les femmes d’une part et parmi les hommes d’autre part.
L’intensité est plus élevée chez les femmes que chez les hommes. En effet, tandis que 23% des femmes sont gênées d’avoir des voisins de religion différente, on a 20,3% d’hommes qui éprouvent un tel sentiment.
Il y a donc une différence d’au moins trois points entre les deux sexes. De même, 18,2% des chefs de ménage s’estiment gênés par des voisins d’une autre religion. Quand un tel sentiment est éprouvé par des chefs de ménage, il y a lieu d’y porter un regard averti afin d’empêcher la propagation d’une telle gêne dans tous le ménage.
Par ailleurs, même si les gênés sont plus nombreux en milieu rural qu’en milieu urbain, les données montrent que cette gêne est légèrement plus manifeste parmi ceux qui résident en ville que ceux du milieu rural.
Ce sont 22,3% des urbains qui se sentent gênés contre 21,4% parmi les habitants du milieu rural. De plus, six régions ont une proportion supérieure à celle nationale qui est de 21,7%. Dans ces régions, le voisin d’une autre religion paraît plus gênant que dans les autres régions du Burkina Faso.
Les Régions interpellées à plus d’efforts
Avec une proportion de 45%, c’est parmi les habitants de la région du Sahel qu’il y a plus de personnes qui éprouvent une gêne à l’endroit des voisins d’une autre religion. La région du Centre-Nord suit avec une proportion de 36,5%. Les quatre autres régions qui sont au dessus de la moyenne nationale ont une proportion comprise entre 27,7% et 25%. Ce sont respectivement les régions du Centre, des Cascades, du Plateau Central et des Hauts-Bassins. La nécessité d’étudier les spécificités sociales de ces différentes régions permettra de mieux orienter les actions de sensibilisation de sorte que ce qui relève actuellement de l’imaginaire ne se transforme en actes peu recommandables.
Selon l’appartenance religieuse, le constat révèle que c’est chez ceux qui déclarent n’appartenir à aucune religion que ce sentiment est faiblement exprimé. Soit 10% d’entre eux. Ce taux s’élève à 18,2% parmi les catholiques tandis qu’il est de 22% au niveau des protestants, 22,1% chez ceux de la religion traditionnelle et de 23,3% parmi les musulmans.
La nécessité de promotion de la tolérance religieuse au sein des différents groupes religieux s’impose afin d’atténuer ce phénomène qui, apparemment anodin, peut engendrer des situations non désirables à l’avenir.
L’éducation comme facteur de promotion de l’acceptation religieuse ?
Les données collectées ont aussi révélé que c’est parmi ceux qui n’ont pas fréquenté que la proportion de ceux qui se disent gênés est plus élevée par rapport à ceux qui ont fréquenté ; soit 22,7% contre 19,9%.
Est-ce une façon de comprendre que la fréquentation scolaire favoriserait la réduction de ce phénomène. Cela paraît d’autant plus pertinent que la majorité (67,7%) de ceux qui éprouvent ce sentiment est sans niveau d’instruction tandis que 15,4% d’entre eux sont de niveau primaire contre 13,8% de niveau secondaire et 3,1% qui sont du supérieur.
Ainsi, remarque-t-on que plus le niveau d’instruction est élevé moins on rencontre d’individus se sentant gênés par un voisin de religion différente. Ce qui peut traduire que c’est par ignorance qu’on éprouve de tels sentiments. D’où la nécessité de promouvoir des actions de sensibilisation dans ce sens et de relever le niveau d’instruction de la population burkinabè.
Cela montre que le fait religieux peut porter atteinte à la consolidation du vivre ensemble au Burkina Faso. Certes, cette proportion n’est pas alarmante. Toutefois, il y a lieu d’œuvrer à l’atténuer dans ce contexte d’instrumentalisation du religieux en vue de la maximisation des gains socioéconomiques et politiques dans la région ouest africaine et celle sahélienne aujourd’hui.
Il serait donc sage d’en chercher les raisons afin de travailler à l’atténuer ou l’éradiquer pour la promotion de la paix au Burkina Faso et ailleurs. Tel est l’esprit de la présente note qui milite pour que la religion soit facteur de paix entre les citoyens.
NANA Firmin
+226 78 86 08 54
nafirmin@gmail.com
N B : les données utilisées dans cette note sont issues de l’enquête sur les « valeurs » organisées en décembre 2010 par le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD)
– Les intertitres sont de la rédaction