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Ouaga résolu à aller au bout de sa médiation malgré les tergiversations de Bamako et Kidal (4/4)

Publié le jeudi 13 juin 2013 à 18h52min

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Mardi 11 juin 2013. C’est le jour d’après. La date limite du 10 juin, fixée par Paris, n’aura pas été tenue. Mais l’essentiel n’est pas là. Qui se souvient, d’ailleurs, que cette négociation devait se dérouler, initialement, le… 10 janvier 2013, un mois après la première rencontre de Ouagadougou mais que la situation sur le terrain avait changé la donne ?

Le problème était alors de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie dans le Nord-Mali, autrement dit entre les « groupes rebelles maliens » et les « organisations terroristes (AQMI et MUJAO) ». La résolution 2085 du Conseil de sécurité votée à l’unanimité des quinze membres le jeudi 20 décembre 2012 avait même souhaité l’organisation dans « des conditions pacifiques », de la présidentielle et des législatives « crédibles et sans exclusive », d’ici avril 2013 « où, à défaut, dès qu’elle sera possible techniquement ». La MISMA était alors créée et la mission EUTM Mali était en charge de former l’armée malienne. Ce scénario a volé en éclats dès lors que le clan Sanogo a perdu son coup de poker foireux en provoquant les « islamistes » du côté de Konna : ce sont les Français qui ont remporté la mise le 11 janvier 2013 en déclenchant l’opération « Serval ».

Du même coup, le terrain a été déblayé. Mais ce n’est pas pour autant que le problème de fond a été réglé. Quel pouvoir à Bamako pour quelle coopération avec un Nord-Mali qui veut plus d’autonomie à défaut d’une indépendance inconcevable ? Le pire a, jusqu’à présent, été évité. ATT est parti faire des pâtés de sable sur la plage de Dakar et Sanogo s’interroge sur quel coup fourré il pourrait bien imaginer pour revenir sur le devant de la scène. Après avoir beaucoup tangué, Dioncounda Traoré a pris des coups puis ses habitudes à Koulouba. Tiébilé Dramé, son conseiller spécial, est devenu l’interface de ceux qui ont à connaître ce dossier et se complait dans ce rôle d’homme providentiel autour duquel gravite désormais la presse malienne (ce qui n’est pas la pire des choses quand on est candidat à la… présidentielle).

Le 10 juin est passé et le 28 juillet se profile à l’horizon. Mais, compte tenu de l’enjeu que représente le Mali, il convient de se focaliser sur la résolution de la crise plutôt que sur le temps qui passe. Même s’il passe. A Ouaga, chacun sait, par expérience, que les médiations ne résolvent rien : elles évitent le pire, calment le jeu, permettent de faire émerger de nouveaux acteurs, délimitent l’échiquier politique et font avancer chacun des pions en fonction de la valeur qui est la leur. Pour le reste, la sortie de crise est toujours l’expression d’un rapport de forces. Au Mali, il n’est pas favorable aux Touareg : ils ont perdu la « guerre » contre Bamako après l’avoir déclenchée ; ils ont été débordés, sur un territoire où ils se veulent souverains, par des « islamistes » et des « terroristes » et pourraient l’être à nouveau demain. Il ne sera pas favorable non plus à Bamako si l’équipe au pouvoir se refuse à prendre en compte que le problème Touareg doit être résolu dans le dialogue et la concertation plutôt que par l’affrontement.

Il ne faut pas se leurrer. Bamako traîne les pieds pour une solution négociée et aimerait régler leur compte aux Touareg : la réconciliation n’est pas pour demain ; pas plus qu’elle n’a été voulue hier et avant-hier. Les Touareg, quant à eux, n’abandonneront jamais l’illusion d’un Azawad qu’ils veulent être leur territoire exclusif dont on se demande bien, d’ailleurs, ce qu’ils pourraient en faire sauf un QG pour « terroristes », « mafieux » et « islamistes ».

Ce que les Maliens ne sont pas capables de faire seuls, la communauté internationale s’efforce de le leur imposer. Djibrill Y. Bassolé, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, ne cesse de le répéter : la communauté internationale est politiquement et militairement impliquée dans la résolution de la crise et est présente sur le terrain. Autrement dit, à Bamako comme à Kidal, on peut bien penser avoir quelques cartes en main, c’est New York, Bruxelles, Paris et Ouaga qui les distribuent. Et, le cas échéant, les reprennent. Alors « oui » à quelques mouvements d’humeur, histoire de prouver que l’on existe encore, mais attention à ne pas pousser trop loin le bouchon. Bassolé a fixé la limite : « On ne peut pas accepter le principe de l’intégrité territoriale et la continuité de l’Etat malien et refuser que l’armée malienne se déploie sur toute l’étendue du territoire ». Ou alors il faut refuser toute médiation et reprendre les armes ; mais alors-là « bonjour les dégâts ».

Après l’accord préliminaire obtenu hier, lundi 10 juin 2013, une « trêve » (pour reprendre le qualificatif du quotidien gouvernement Sidwaya) a été décidée. Officiellement pour rendre compte. En fait, après trois journées marathon (samedi/dimanche/lundi), il s’agissait d’évacuer la pression et de permettre à chacun de prendre pleinement conscience des enjeux. Pour le Mali mais aussi pour la région et le monde « occidental » préoccupé par la facilité avec laquelle ATT est tombé et le Nord-Mali mis en coupe réglée par les « islamistes » et autres « terroristes ». Ceux qui pensaient que les Touareg, souverainistes et laïcs, seraient un barrage efficace contre la montée en puissance d’AQMI et autres groupuscules (au prix de concessions sur les pratiques mafieuses) sont revenus à une vision moins idyllique des « hommes bleus ».

Finalement, à Ouaga, il n’y a pas grand-chose à négocier. Il s’agit, simplement, de formaliser la volonté des uns et des autres de vivre ensemble, au moins jusqu’à la tenue de la présidentielle 2013. Après, inch’Allah ! Kidal peut bien encore évoquer l’Azawad mais les groupes armés qui ont mené la rébellion n’ont pas été capables de sauvegarder leur souveraineté sur ce territoire conquis les mains dans les poches mais perdu face aux « islamistes » et autres « terroristes ». Ils n’existent encore aujourd’hui que par la volonté de Paris qui entend limiter l’hégémonie de Bamako et sauvegarder l’autonomie du peuple Touareg dans le « corridor sahélo-saharien », histoire d’éviter l’émergence d’un mouvement rebelle structuré de la Mauritanie jusqu’aux confins du Tchad. Se refusant à « injurier l’avenir », les Touareg ont rapidement donné leur approbation au « projet d’accord préliminaire ».

Bamako tergiverse. Et évoque la nécessité de quelques amendements. Dramé annonce son retour, avec ce texte amendé, dès demain, si « Dieu le veut ». Lundi 10 juin, Mardi 11 juin, Mercredi 12 juin 2013. Le temps passe. Il faudra, encore, discuter des amendements introduits qui viseront, à n’en pas douter, à obliger les Touareg à boire le calice jusqu’à la lie. Normal : ils ont déclenché la guerre ; ils l’ont perdue. Pour Bamako, peu importe que ce conflit ait eu des raisons légitimes ou non.

2012/2013. Une « guerre » ; un coup d’Etat ; une junte militaire ; un président intérimaire ; une occupation du Nord-Mali par les « islamistes radicaux » ; une « guerre » encore : étrangère cette fois encensée par le pouvoir et acclamée par les populations… La « société civile » malienne, autrefois portée aux nues par « l’Occident », aura été tout autant absente que les intellectuels du débat. Elle n’est pas présente non plus à Ouaga. On dit que les uns et les autres, représentants de la « société civile » et « intellectuels » seront à… Alger dans quelques jours pour une conférence internationale de soutien au peuple malien. Un « peuple » malien bien oublié jusqu’à présent dans cette course au pouvoir. Un des initiateurs de ce réseau (qui veut être le réseau de leaders de la société civile de la région sahélienne), le Dr Ayachi Said dit à ce sujet : « Nous ne sommes pas un contre-pouvoir, nous sommes une force de proposition, des sentinelles des pouvoirs publics qui doivent apprendre à compter avec nous ».

La « société civile » peut-elle se réapproprier le processus de paix et de réconciliation alors que les élites politiques ont failli en la matière ? Il est plus facile de poser la question que d’y répondre. Souvenons-nous cependant qu’au début de la décennie 1990, la rue avait fait chuter le régime totalitaire et répressif de Moussa Traoré mais il avait fallu, pour cela, que l’armée bascule de son côté !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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