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Ouaga résolu à aller au bout de sa médiation malgré les tergiversations de Bamako et Kidal (1/4)

Publié le lundi 10 juin 2013 à 10h56min

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Ouaga résolu à aller au bout de sa médiation malgré les tergiversations de Bamako et Kidal (1/4)

Il faut être Burkinabè rodé aux dialogues « inter-machins » pour, en la matière, « supporter l’insupportable et accepter l’inacceptable ». Les adeptes des sports de combat aiment à citer le philosophe chinois Wang Yangming : « Posséder les arts de la paix mais non ceux de la guerre, c’est un manque de courage. Posséder les arts de la guerre mais non ceux de la paix, c’est un manque de sagesse ». Courage et sagesse ne manquent pas aux Burkinabè ; ils font défaut, jusqu’à présent, aux Maliens.

Mais quant à citer le vieux philosophe chinois du XVIème siècle, il conviendrait de rappeler un de ses principes fondamentaux : « Connaissance et action ne font qu’un ». Autrement dit, il ne sert à rien de savoir si ce savoir ne se traduit pas dans les faits. Si c’est du côté de l’Asie* que je vais chercher mes références, c’est qu’elle a érigé la patience en vertu et qu’il en faut pour mener la médiation inter-malienne. Qui, sous d’autres cieux et avec d’autres hommes, aurait capoté depuis longtemps. Non pas que les responsables burkinabè soient plus intelligents ou plus compétents que les autres, mais ils jouent « collectif » quand, trop souvent, en la matière, les autres pensent qu’il faut jouer « solo ».

A Ouaga, « connaissance et action ne font qu’un ». Après avoir suivi (et subi, du fait de la pression « alimentaire » exercée par les réfugiés maliens) les événements de l’année 2012, Ouagadougou a organisé le sommet de fondation du dialogue inter-malien le 4 décembre 2012. Il y avait là le MNLA et Ansar Dine. Tieman Coulibaly était ministre des Affaires étrangères de Cheick Modibo Diarra. L’Afrique, alors, majoritairement, voulait la guerre. Mais n’était pas capable de la faire. AQMI promettait de transformer le Nord-Mali en « cimetière » pour les soldats français s’ils s’avisaient d’y poser le pied.

Au-delà des déclarations des uns et des autres, il était évident qu’il y avait, au Mali, des « grandes gueules » mais pas beaucoup de « courageux » ni de « sages ». Au lendemain de cette médiation sans flonflon, Diarra sera dégagé par les sbires du capitaine Amadou Haya Sanogo et remplacé par Diango Cissoko. Face à un président intérimaire, Dioncounda Traoré, Diarra s’était efforcé de jouer sa carte en surfant sur sa réputation d’homme « mondial » sans passé politique. En cette matière, son présent sera bref et on peut douter de son avenir. A jouer « solo », Diarra s’est retrouvé sur la touche selon le principe mathématique établi par Michel Audiard dans les années 1960 : « Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ». Et un « con » avec une kalach, ça va loin… !

On connaît la suite. Un mal pour un bien. En Afrique, il faut un chef, un seul. A Bamako, ce sera Traoré, l’intérimaire de la politique malienne. Qui se rappelle que Cissoko est premier ministre ? Ce qui va propulser l’homme à l’écharpe blanche sur le devant de la scène politique, c’est son SOS à Paris. « Au secours, les méchants veulent conquérir Bamako ». Le 11 janvier 2013, à peine plus d’un mois après le sommet de fondation du dialogue inter-malien, « la Légion saute sur Kolwezi ». O.K., c’est Konna, mais c’est la même chose : la France sauve « les miches » d’un gouvernement africain au nom de la lutte contre « les terroristes ». Du même coup, dans l’euphorie de la victoire française sur les « islamistes radicaux », ex-mafieux Touareg, devenus par la grâce des bombardements aériens, des « terroristes », la médiation burkinabè est reléguée au magasin des accessoires.

Dans l’euphorie de l’implication militaire de la France, on « daubait un max » sur la médiation burkinabè. Un ratage ? Un truc inutile ? Cinq mois après l’implication militaire française à Konna, la réalité s’impose à tous : la guerre n’a pas résolu « la crise malo-malienne ». Il faut revenir au point de départ : la médiation. ATT a perdu le pouvoir et, du même coup, on l’a perdu de vue ; Sanogo n’est pas parvenu à le conquérir ; les Touareg posent toujours problème à Bamako mais il est vrai aussi qu’ils se posent bien des problèmes entre eux ; Diarra a dû céder son job à Cissoko ; Coulibaly n’est plus l’homme-clé de la négociation remplacé par Tiébélé Dramé ; l’UA et la Cédéao sont, comme d’habitude, à côté de la plaque ; Idriss Déby est devenu l’homme fort de l’Afrique de l’Ouest et, du même coup, le redevient au Tchad ; Abdellaziz Bouteflika va mourir mais on ne sait pas quand, l’agonie des présidents algériens frisant toujours l’éternité ; la guerre au Nord-Mali ne fait plus la « une » en France ni nulle part ailleurs ; plus personne ne se souvient de qui sont Ansar Dine et AQMI…

Du même coup, à Ouaga, Blaise Compaoré a repris du service. Djibrill Y. Bassolé, lui, n’a jamais dételé. Son ami Mohamed Sannè Topan, ambassadeur à Bamako (et à Niamey), ancien directeur de cabinet de Blaise, que j’ai connu député de Tougan (en pays Samo, au Sourou, de l’autre côté de la frontière avec le Mali), est, avec son habituel sens des nuances (plus important en Afrique sahélienne que le sens politique, même s’il maîtrise – avec diplomatie – l’un et l’autre), l’interface sur lequel on peut compter. Quand Paris s’exaspère des tergiversations de Bamako et de Kidal, il reste Ouaga, le « collectif ». Et une échéance à tenir : dimanche 28 juillet 2013. Pas facile. Alors, avant d’aller à Ouaga comme on va à Canossa, le gouvernement malien et les Touareg de Kidal ont marqué leur territoire. Face aux « islamistes » devenus des « terroristes », les « rebelles » Touareg maliens avaient fait pâle figure. Autant de chefs qu’il y a de grains de sable dans le désert. Un fief, Kidal, octroyé par les Français, pour faire pression sur Bamako que Paris n’aime pas et rappeler aux Bambara que celui qui tient la badine a le pouvoir. Les « terroristes » éradiqués par les Français et les Tchadiens, les Maliens se sont vu pousser des ailes.

Pour s’envoler jusqu’à Kidal où d’autres Maliens faisaient les malins. Ce sera la bataille d’Anefis (5 juin 2013), à une centaine de bornes de Kidal : on a les batailles que l’on peut ! Ce n’était pas Austerlitz ni Waterloo mais un coup de Trafalgar. Que le quotidien privé burkinabè L’Observateur Paalga a ainsi analysé ce matin (vendredi 7 juin 2013) dans son édito : 1 – « A force de pousser l’irrédentisme jusqu’à l’extrême, les rebelles touaregs ont fini par agacer toutes les parties prenantes à cette crise » ; 2 – « Il était temps. Temps pour qu’enfin les Français s’affranchissent de cette fascination et de cette commisération pour ces ‘hommes bleus martyrisés par les Bambara du Sud’. Un lieu commun derrière lequel se sont abusivement réfugiés les dirigeants touaregs comme derrière un bouclier impénétrable. Mais tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Ils ont mangé leur pain blanc français. Game over ! ».

Quelques jours auparavant, les Touareg, eux aussi, avaient entrepris d’exprimer leur bonne volonté. A l’instar de Bamako, ils entendaient démontrer que, tout danger écarté (enfin presque), ils avaient les moyens de leurs ambitions. A Ouaga, le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et le Front populaire de l’Azawad (FPA), s’efforçant de faire oublier le MNLA par qui le scandale est arrivé, ont constitué une « coordination des mouvements de l’Azawad ». « Notre position est celle de la paix, celle des retrouvailles, celle d’un Mali libre, d’un Mali où tout le monde se retrouve » a déclaré sans rire le colonel Hassane Ag Mehdi, secrétaire général du FPA. Chacun ayant marqué ainsi son territoire, on pouvait passer aux choses sérieuses : l’hospitalité burkinabè du côté de Ouaga 2000 entre le Palace Hôtel, le dernier-né des 5 étoiles ouagalais, et le Laico que hante encore le fantôme de Mouammar Kadhafi.

* « Accepter l’inacceptable et supporter l’insupportable » fait, bien évidemment, référence aux propos de l’empereur Hirohito,
le 9 août 1945, quand il lui a fallu se soumettre aux Américains à la suite de l’explosion des bombes nucléaires. Quant à la Chine, rappelons les propos du sinologue Léon Vandermeersh : elle est « sans doute le seul pays au monde où les philosophes ont toujours été plus honorés que les conquérants ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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