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L’Union africaine, 50 ans après : il faut réaffirmer la centralité des droits humains selon Amnesty International

Publié le lundi 3 juin 2013 à 22h43min

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L’Union africaine, 50 ans après : il faut réaffirmer la centralité des droits humains selon Amnesty International

Un peu plus de dix ans après la formation de l’Union africaine (UA), dont l’objectif est de bâtir « une Afrique intégrée, prospère et en paix, dirigée par ses citoyens et constituant une force dynamique sur la scène mondiale » et alors qu’elle fête le 50e anniversaire de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), il y a lieu de placer les droits humains, la paix et la sécurité, ainsi que la justice internationale parmi les premières priorités. Les chefs d’État ont déclaré 2013 l’Année du panafricanisme et de la renaissance africaine.

Amnesty International craint fort que les préoccupations en matière de droits humains qui ont motivé la création de l’UA (et de son prédécesseur, l’OUA), et dont un grand nombre n’ont toujours pas été examinées, ne passent au second plan alors que nous abordons le prochain demi-siècle. Amnesty International prie les dirigeants africains de profiter de cet anniversaire pour placer les droits humains au premier plan des priorités et pour mettre en application leurs promesses et leurs engagements.

L’Acte constitutif de l’UA adopté en 2000 témoigne de la détermination des États membres à « promouvoir et à protéger les droits de l’homme et des peuples, à consolider les institutions et la culture démocratiques [et] à promouvoir la bonne gouvernance et l’État de droit » conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Toutefois, malgré cela et malgré les engagements formulés par la suite, notamment dans le document du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), dans la Déclaration sur la gouvernance démocratique, politique, économique et des entreprises, dans le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, et dans le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, la réalisation intégrale et effective des droits humains ne sont toujours qu’une lointaine éventualité pour la majorité des Africains.

De l’avis d’Amnesty International, la célébration du 50e anniversaire donne aux dirigeants africains une nouvelle occasion d’adopter un plan d’action, avec un calendrier clair, en vue de la mise en application intégrale des promesses et engagements auxquels ils ont délibérément souscrit en matière de droits humains. Elle leur permet en outre de renforcer et de rendre opérants les différents mécanismes qu’ils ont créés pour protéger et promouvoir les droits humains à travers la région. Les recommandations ci-après mettent l’accent sur certains domaines dans lesquels l’Assemblée et le Conseil exécutif de l’UA et les gouvernements d’Afrique en général devraient envisager d’agir s’ils veulent relever efficacement les défis énormes auxquels fait face le continent.

I. L’UA et les instruments relatifs aux droits humains

Il appartient à l’UA d’encourager ceux de ses États membres qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et d’autres instruments relatifs aux droits humains.

Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (le Protocole), entré en vigueur le 25 janvier 2004, a à ce jour été ratifié par seulement 26 membres de l’UA ; seuls cinq membres (le Burkina Faso, le Ghana, le Malawi, le Mali et la Tanzanie) ont fait une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour permettre aux particuliers et aux ONG de la saisir directement. La contribution de la Cour à la protection des droits humains en Afrique restera limitée tant que tous les 54 États membres de l’UA n’auront pas adhéré au Protocole et ne l’auront pas ratifié, et accepté en même temps, en faisant la déclaration requise, la compétence de la Cour concernant les particuliers.

Amnesty International prie instamment l’Assemblée et le Conseil exécutif de l’UA de veiller d’urgence à ce que :
-  les gouvernements africains qui ne l’ont pas encore fait ratifient sans plus tarder le Protocole (et le Protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, qui doit remplacer la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples). En outre, les États – y compris ceux qui l’ont déjà ratifié – devraient faire une déclaration acceptant la compétence de la Cour pour permettre aux particuliers et aux organisations non gouvernementales (ONG) de la saisir directement ;
-  les gouvernements africains revoient leur législation et leur pratique afin de s’assurer qu’elles sont entièrement conformes au Protocole et à la Carte africaine.

Amnesty International demande également à l’UA d’exhorter ceux de ses États membres qui ne l’ont pas encore fait de ratifier un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits humains, ou d’y adhérer sans réserves, notamment les traités suivants :
- la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Protocole facultatif s’y rapportant ;
- le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et son Protocole facultatif ;
- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Deuxième protocole facultatif s’y rapportant ;
- la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;
- la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et le Protocole facultatif s’y rapportant ;
- les deux Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant ;
- la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ;
- le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) ;

II. L’UA et les mécanismes de protection des droits humains

En tant qu’instances dirigeantes, les gouvernements d’Afrique et l’UA doivent fonder leurs actions sur des principes d’éthique et, en particulier, être prêts à user de leur influence. Ils doivent aussi, le cas échéant, être disposés à critiquer ouvertement les États membres qui commettent des violations des droits humains. La « solidarité africaine » doit servir à améliorer le bilan des gouvernements africains en matière de droits humains, et non pas à protéger les auteurs d’atteintes à ces droits. Sinon, la capacité de l’UA à faire changer les choses dans le domaine des droits humains continuera à n’inspirer que du scepticisme.

Il appartient à l’UA et aux gouvernements africains de soutenir politiquement et financièrement les institutions africaines de droits humains déjà existantes afin de les renforcer et de les rendre plus efficaces. Depuis que l’Organisation de l’unité africaine (OUA) est devenue l’Union africaine (UA), en 2002, les dirigeants d’Afrique ont mis sur pied un certain nombre d’institutions de défense des droits humains telles que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant, le Comité économique, social et culturel (ECOSOC) de l’UA, et le Conseil de paix et de sécurité. À maintes reprises des dirigeants de pays d’Afrique ont fait des promesses et se sont engagés à renforcer la principale institution de défense des droits humains de l’UA, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).

Cependant, les promesses et les engagements non tenus ont sérieusement ébranlé la capacité des institutions africaines des droits humains à respecter leurs mandats. Dans quelques autres cas, les facteurs négatifs ont été le manque d’indépendance et de transparence, la non-participation de groupes larges de la société civile à des organismes comme l’ECOSOC, et la non-application des recommandations par les institutions des droits humains.

La mise en place d’institutions chargées de surveiller le respect des droits humains en Afrique est certes une bonne chose, mais les dirigeants du continent doivent répondre aux expectatives en mettant à la disposition des institutions des droits humains de l’UA les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires. Pour pouvoir mettre pleinement en œuvre leurs obligations de bonne foi aux termes de la Charte africaine, les États membres de l’UA doivent aussi veiller à ce que les décisions de la Commission africaine et d’autres organes similaires soient pleinement et réellement appliquées.

Amnesty International invite fermement l’UA à appliquer pleinement toutes les décisions de la CADHP et à veiller ainsi à ce que les droits humains dans tous les États membres soient dûment protégés. La CADHP a adopté un certain nombre de résolutions clés qui doivent encore être mises en application. Amnesty International demande à l’UA de respecter ces résolutions dans leur intégralité.

III. L’UA et la justice internationale

L’une des principales tâches auxquelles doit s’atteler l’Union africaine est de respecter l’engagement qu’elle s’était donné de mettre fin à l’impunité pour violations graves des droits humains et, entre autres, de supprimer les tensions avec la Cour pénale internationale (CPI). Dans un acte essentiel, 34 États d’Afrique se sont engagés à l’égard de la justice internationale en ratifiant le Statut de Rome de la CPI et ils ont l’obligation de coopérer pleinement avec la Cour. Cela correspond totalement avec la mission de l’UA. Ces dernières années, cependant, l’UA est devenue une tribune servant à affaiblir le soutien à la CPI et la coopération avec elle.

Amnesty International est particulièrement consternée par le fait que l’UA ait cherché à empêcher ses membres de respecter leurs obligations juridiques d’arrêter le président du Soudan, Omar el Béchir, accusé de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis au Darfour. Amnesty International encourage vivement les États membres de l’UA, en particulier ceux qui sont parties au Statut de Rome, à ne pas donner suite à des décisions de l’UA qui viseraient à affaiblir la coopération avec la CPI ou le soutien qui lui est accordé, mais à veiller, en lieu et place, à ce que l’UA défende la primauté de la loi et la justice pour les victimes africaines.

IV. L’UA et les droits économiques, sociaux et culturels en Afrique

Les expulsions forcées en Afrique

La CADHP garantit les droits économiques, sociaux et culturels tels que le droit à un logement convenable ; cependant, le manque de volonté politique de nombreux gouvernements africains pour faire respecter ces obligations a fait perdurer les violations de ces droits fondamentaux.
Le non-respect de ces droits est illustré par la pratique des expulsions forcées, qui a jeté hors de chez eux plus de trois millions d’Africains.

Des gens ont perdu leur logement et se sont retrouvés loin des points d’eau salubre et d’approvisionnement en nourriture, loin aussi de leurs moyens de subsistance, sans installations sanitaires et, la plupart du temps, sans être correctement indemnisés. Dans de nombreux pays d’Afrique, les expulsions forcées s’accompagnent souvent d’autres violations des droits humains, telles que l’utilisation d’une force excessive de la part des agents procédant aux expulsions, les arrestations arbitraires, les coups, le viol, la torture ou même des homicides.

Amnesty International prie l’UA de demander à ses États membres :
-  de mettre immédiatement un terme aux expulsions forcées ;
-  d’adopter et appliquer des lois qui prohibent les expulsions forcées et de mettre en place les garanties appropriées afin que toutes les expulsions qui ont lieu se fassent dans le respect des normes internationales et régionales en matière de droits humains ;
-  de prendre immédiatement des mesures afin d’offrir un degré minimum de sécurité d’occupation à toutes les personnes qui ne bénéficient pas d’une telle protection, après consultation des populations concernées ;
-  de veiller à ce que les habitants des bidonvilles aient accès, au même titre que le reste de la population, à l’eau, aux infrastructures sanitaires, aux soins médicaux, au logement et à l’éducation, et bénéficient d’un maintien de l’ordre juste et efficace ;
-  de veiller à ce que les habitants des bidonvilles aient véritablement voix au chapitre dans les décisions ayant des conséquences sur leur vie, y compris en ce qui concerne la réhabilitation des bidonvilles, la planification et l’élaboration de budgets.

Mortalité maternelle et droits sexuels et reproductifs en Afrique

Amnesty International se félicite du rôle moteur que l’UA a joué jusqu’à présent dans la lutte contre la mortalité maternelle et pour la santé sexuelle et reproductive en Afrique. Dans le cadre du Plan d’action de Maputo, lancé par l’UA, les États membres de l’Union se sont engagés à réorienter la planification familiale, à se pencher sur les besoins des jeunes en matière de sexualité et de procréation, à réduire le nombre d’avortements pratiqués dans des mauvaises conditions (y compris en fournissant des services permettant d’avorter dans des conditions sûres dans le respect total de la loi), et à offrir des services de qualité à des coûts abordables afin de promouvoir des maternités sans risque.

Les mesures visant à réduire, lorsqu’elles peuvent être évitées, la mortalité et la morbidité maternelles en Afrique devraient en reconnaître les causes premières. Dans toutes les régions du monde des femmes et des filles sont exposées à la violence, à la discrimination, à la pauvreté et aux inégalités, et tous ces facteurs diminuent leur capacité à revendiquer le respect de leurs droits et occasionnent des morts et des problèmes de santé maternelle que l’on pourrait prévenir. Toute démarche effective visant à réduire la mortalité et la morbidité maternelles doit s’accompagner d’un engagement sans faille à l’égard des droits fondamentaux des femmes et des filles et de l’égalité de genre.

Amnesty International prie l’UA et ses États membres de :

- promouvoir les droits sexuels et reproductifs des femmes, y compris l’accès universel à la santé maternelle et en matière de procréation et de sexualité.
- respecter un cadre relatif aux droits humains dans toutes les orientations et tous les programmes de l’UA ainsi que dans les politiques nationales. Dans le contexte de la santé maternelle, ces initiatives doivent inclure des mesures de soutien pour :
-  l’élimination de tous les obstacles empêchant l’accès aux services de santé maternelle, notamment les barrières financières et géographiques ainsi que la nécessité d’obtenir le consentement de tiers pour les soins liés à la sexualité et à la procréation ;
-  la réforme des lois et des politiques discriminatoires à l’égard des femmes, dont celles qui n’empêchent pas les mariages précoces ou les violences domestiques, ou qui érigent l’avortement en crime.

Le cadre de l’après-2015

Amnesty International prie instamment l’UA de participer pleinement aux processus de discussion et d’élaboration du cadre relatif à l’après-2015, aux niveaux national, régional et international. Amnesty International demande que ces processus soient :

-  inclusifs – c’est-à-dire qu’ils facilitent avec anticipation la prise en compte des groupes marginalisés ;
-  transparents – c’est-à-dire qu’ils rendent les informations sur les processus et sur la teneur des délibérations disponibles et accessibles aux organisations de la société civile et à toute autre partie prenante concernée, dont les groupes marginalisés ;
-  participatifs – c’est-à-dire qu’ils permettent aux personnes vivant dans la pauvreté, à leurs représentants et à d’autres organisations de la société civile d’y participer de manière significative du début à la fin ;
-  éclairés par les normes relatives aux droits humains – c’est-à-dire qu’il y soit tenu compte des apports et de la participation des organismes de défense des droits humains, des experts en droits humains et des acteurs de la société civile.

Le cadre de l’après-2015 doit servir d’outil pour donner aux gens les moyens de surveiller les gouvernements, les entreprises, les États tiers, les institutions internationales et d’autres acteurs du développement et de les responsabiliser face aux droits et devoirs existants dans le domaine des droits humains, y compris ceux qui sont à caractère extraterritorial. Le cadre du développement post-2015 doit s’inspirer des droits humains de toutes les personnes qui vivent dans la pauvreté et permettre la réalisation de ces droits.

Pour cela, l’UA doit en particulier demander à ses membres de :
- s’engager à garantir la conformité des politiques et des programmes de développement avec les obligations en matière de droits humains et avec la primauté de la loi ;
-  veiller à ce que les objectifs et les schémas de développement soient basés sur le droit international relatif aux droits humains ;
-  s’engager à renforcer les mécanismes de responsabilisation résultant des obligations existantes en matière de droits humains et à les intégrer dans le cadre du développement post-2015 ;
-  s’engager à faire en sorte que le développement soit inclusif, mette un terme à la discrimination, garantisse l’égalité des genres et donne la priorité aux groupes défavorisés ;
-  réaffirmer le droit d’être informé et de participer.

L’UA et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) est entré en vigueur le 5 mai 2013. Organe de l’ONU, il apporte les fondements juridiques essentiels à ces éléments de base de la vie humaine. Cependant, alors qu’il s’agit d’un instrument contraignant, aucun État ou presque, même parmi les plus riches, ne se conforme à la lettre – et encore moins à l’esprit – du Pacte dès qu’il s’agit de veiller à ce que tous ses habitants puissent jouir de ces droits dans toute leur dimension.

Ce Protocole donne aux personnes la possibilité d’obtenir réparation si elles estiment que ces droits essentiels ont été bafoués. Il s’agit d’un accord secondaire du Pacte, qui met en place un mécanisme international de dépôt de plainte destiné aux particuliers. Le Protocole crée un outil vital pour les populations, notamment pour celles vivant dans la pauvreté, qui renforcera en particulier l’obligation faite aux États de rendre des comptes.

Il y a un an, en mars 2012, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples adoptait une résolution faisant part de son soutien au Protocole. Près d’un tiers des pays qui ont formellement signé le Protocole sont des pays d’Afrique. Il ne leur reste qu’une seule étape pour le ratifier.

Il est extrêmement décevant qu’aucun pays africain n’ait franchi ce pas. C’est l’une des régions du monde où les populations pourraient le plus bénéficier de la possibilité de demander réparation en cas de violation des droits énoncés dans le PIDESC. C’est surprenant, compte tenu du ferme soutien que de nombreux pays d’Afrique ont manifesté lors du processus d’adoption du Protocole. Plusieurs de ces pays ont été au premier rang pour demander la reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels.

Nous prions instamment tous les membres de l’Union africaine de ratifier le Protocole, véritable jalon pour les droits humains, afin que les peuples puissent vivre le plus possible dans la dignité.

V. L’UA et la paix et la sécurité en Afrique

La République démocratique du Congo

Le 24 février, 11 États d’Afrique ainsi que l’UA, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et l’ONU se sont engagés à faire cesser les cycles de violence en République démocratique du Congo ; ces promesses doivent maintenant sans délai être traduites en actes afin de protéger les droits humains. Des groupes armés, notamment les milices locales maï-maï et le FDLR, le FNL et l’ADF/NALU, auraient continué à attaquer la population, y compris en lui faisant subir des homicides illégaux, des viols, des enlèvements, des incendies et des pillages de biens. Après une trêve de six mois, les combats entre le M23 et l’armée nationale ont repris cette semaine à la périphérie de Goma, occasionnant de nouveaux déplacements de populations[1].

La Brigade d’intervention menée par l’Afrique et bientôt déployée au Nord Kivu, sous le commandement de la MONUSCO, devrait en priorité protéger les civils. À cette fin, la Brigade devrait, avant toute opération, consulter les composantes civiles de la MONUSCO et les agences humanitaires concernées afin d’évaluer les risques pour les civils et élaborer des plans spécifiques en vue de leur protection.

Les États africains doivent rejoindre la communauté internationale au sens large et faire pression avec elle sur le gouvernement de la RDC afin qu’il s’engage dans une réforme véritable de la sécurité, fasse en sorte que les FARDC soient tenues de rendre des comptes pour les violations des droits humains et du droit humanitaire commises, et mette en place des programmes réels de démobilisation et de réinsertion pour ceux qui quittent les groupes armés.

Soudan

Au Soudan, les civils des États du Kordofan du Sud et du Nil Bleu continuent à être les premières victimes du conflit qui a éclaté en juin 2011 entre l’armée régulière soudanaise et l’Armée populaire de libération du Soudan-Nord (APLS-N). L’armée soudanaise s’est rendue coupable d’attaques délibérées contre des civils ainsi que de bombardements aveugles qui ont blessé et tué un grand nombre de civils et détruit des biens civils. Ces actes pourraient constituer des crimes de guerre. L’APLS-N, de son côté, a arbitrairement arrêté des civils, procédé à des tirs de mortier sans discernement et mis en cause le caractère civil de certains camps de réfugiés au Soudan du Sud en déviant des approvisionnements en nourriture et en utilisant les camps pour recruter des combattants.

Le fait que le gouvernement du Soudan continue de refuser l’accès de l’aide humanitaire aux deux régions a eu des conséquences dramatiques pour les civils. Plus de 220 000 personnes ont dû se réfugier en Éthiopie et au Soudan du Sud en raison des graves pénuries de nourriture, du manque de médicaments, de personnel médical, d’eau salubre, d’installations sanitaires et d’autres services humanitaires. En outre, plusieurs dizaines de milliers de civils se retrouvent déplacés dans leur propre pays et vivent dans des conditions précaires, leur nombre croissant rapidement à mesure que le conflit s’étend à d’autres régions du Soudan, dont le Kordofan du Nord.

De plus, le gouvernement soudanais continue à arrêter ceux qui sont perçus comme soutenant le MPLS-N, l’aile politique de l’APLS-N, y compris des militants pacifiques et des juristes. D’après les informations reçues, 25 membres du MPLS-N ont été arrêtés entre le 1er et le 9 mai 2013. Parmi eux figurait Asma Ahmed, une avocate et militante pour les droits humains qui a défendu des prisonniers politiques et des prisonniers d’opinion. Elle est toujours détenue, sans inculpation et sans pouvoir consulter un avocat.

À Abyei, les tensions entre les groupes Dinka Ngok et Misseryia se sont nettement accrues après la mort du chef de la tribu des Dinkas Ngoks, Kuol Deng Kuol, et d’un Casque bleu, tués par balles le 4 mai 2013.

En mai 2011, les Forces armées soudanaises et les milices soutenues par l’armée avaient attaqué la ville, ce qui avait entraîné le déplacement de plus de 100 000 personnes. À ce jour, moins de la moitié ont pu rentrer chez elles. La structure du Comité de surveillance conjoint d’Abyei n’a fait l’objet d’aucun accord permettant de garantir un maintien de l’ordre efficace et le soutien administratif nécessaire pour que les civils puissent retourner à Abyei dans des conditions sûres. En outre, bien que la surveillance des droits humains ait figuré dans le mandat de la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abyei (FISNUA), ce mécanisme n’a pas encore été appliqué.

Amnesty International se félicite de ce que l’UA a condamné les meurtres du chef de tribu Kuol Deng Kuol et du Casque bleu de l’ONU et qu’elle a demandé l’ouverture d’une enquête sur ces faits ; aucune investigation n’a cependant été menée.

Les exactions et violations des droits humains demeurent répandues au Darfour, où les actes de violence se sont multipliés depuis la fin de l’année 2012 et ont occasionné le déplacement de plus de 200 000 personnes. Selon de nombreuses allégations dignes de foi, des membres des forces gouvernementales, en particulier de la police des frontières et de la Réserve centrale de la police, ont été impliqués dans de nombreuses attaques délibérées et à grande échelle lancées contre des civils dans le cadre de violences intercommunautaires.

Le 23 février 2013, des centaines d’hommes armés ont attaqué la ville d’El Siref, où 60 000 personnes déplacées s’étaient réfugiées. D’après des sources locales, l’attaque a fait 53 morts et 66 blessés parmi les habitants, dont une très grande majorité de civils. Le 9 janvier, 53 habitants du village de Martam Bay auraient été tués lorsque la population civile a été attaquée par des hommes armés de la tribu des Rizeigats dans la région du Djebel Amer. Dans les deux cas, des témoins ont nommément désigné des gardes-frontières comme étant impliqués dans les attaques, et mentionné l’utilisation d’armes lourdes que seules les forces gouvernementales pouvaient détenir.

Au lendemain de ces faits, Adam Sheikha, député du Parti du Congrès national (au pouvoir), aurait déclaré que les assaillants étaient arrivés à bord de véhicules gouvernementaux, qu’ils étaient équipés d’armes fournies par l’État et qu’ils étaient payés par l’État.

Au cours de l’année passée, le gouvernement soudanais a redoublé d’efforts pour réprimer la liberté d’expression, d’association et de réunion.

Entre juin et août 2012, le Service national de la sûreté (NSS) a procédé à l’arrestation de centaines de manifestants, militants et membres de la société civile, en réaction à une vague de manifestations en grande partie pacifiques qui avait déferlé sur tout le pays.

La plupart des personnes détenues n’ont pas été inculpées. Elles ont été régulièrement soumises à des traitements s’apparentant à la torture et à des traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants, dont des passages à tabac à l’aide de matraques et de tuyaux en caoutchouc ; des coups de poing ; l’obligation de se tenir debout dans une chaleur accablante plusieurs jours de suite ou d’adopter des positions douloureuses ainsi que la privation de nourriture, d’eau et de sommeil. Les femmes détenues ont subi des violences sexuelles, dont des viols et des « tests de virginité », qui s’apparentent à des viols.

Bien que le président Omar el Béchir ait annoncé le 1er avril 2013 que tous les prisionniers seraient libérés, le NSS continue d’arrêter et de placer régulièrement en détention des personnes sans qu’elles soient inculpées. Plusieurs dizaines sont toujours détenues sans jugement, dont un grand nombre sont originaires des États du Nil Bleu et du Kordofan du Sud.

Le 31 juillet 2012, au moins 10 personnes, des lycéens pour la plupart, ont été tuées lorsque des agents du NSS et de la Réserve centrale de police ont tiré sur des manifestants à balles réelles. Le 5 décembre 2012, quatre étudiants ont été tués à l’université de l’État d’Al Djazirah (à Wad Madani), lorsque le NSS et la Réserve centrale de la police ont dispersé une manifestation pacifique.

Fin décembre 2012, les autorités ont fermé au moins trois ONG : Arry, une ONG de défense des droits humains ; le Khatim Adlan Centre for Enlightenment (KACE) et le Sudanese Studies Centre (Centre des études soudanaises). Certains membres du personnel de ces organisations ont aussi été harcelés et interrogés.

Les médias continuent de subir de sévères restrictions et la censure quotidienne du NSS. Trois quotidiens ont été fermés en 2012 : Alwan, Rai al Shaab et Al Tayyar. Des rédacteurs en chef reçoivent tous les jours des visites, des appels et des SMS de la part d’agents du NSS qui veulent ainsi contrôler la manière dont ils couvrent l’actualité. Ils risquent aussi régulièrement d’être renvoyés ou de voir annulée l’autorisation de parution de leurs journaux. Il arrive également que le NSS confisque tous les exemplaires d’un journal, ce qui est extrêmement coûteux pour les organes de presse et menace même leur existence. Au cours de l’année écoulée, des journalistes, des photographes et des présentateurs de télévision ont été arrêtés, harcelés, torturés ou autrement maltraités par le NSS. Des journalistes locaux ont fait savoir que plusieurs dizaines de professionnels des médias ont été renvoyés ou licenciés depuis le raid de l’été 2012.

Amnesty International lance un appel au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine afin qu’il prenne des mesures sur le conflit qui sévit au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu. Elle le prie en particulier :
- d’exhorter le gouvernement soudanais à autoriser les organisations humanitaires et les observateurs internationaux indépendants chargés des droits humains à se rendre immédiatement et sans entrave dans ces deux régions ;
- de demander qu’il soit immédiatement mis fin aux attaques délibérées contre les civils par les autorités soudanaises et aux attaques menées sans discernement par les deux parties au conflit ;
- d’ouvrir une enquête indépendante sur les atteintes au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains que toutes les parties au conflit dans le Kordofan du Sud et le Nil Bleu auraient commises depuis juin 2011.

Amnesty International engage en outre l’UA à :
- enjoindre au Soudan de mener une enquête complète et approfondie sur les atteintes aux droits humains commises à Abyei en 2011, notamment sur les allégations faisant état d’homicides de civils et d’incendies et de pillages de biens civils, ainsi que d’autres violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains ;
- enjoindre au Soudan de mettre un terme au harcèlement des défenseurs des droits humains, des opposants politiques, des journalistes et des militants de la société civile et de garantir leurs droits à la liberté d’expression, de déplacement, d’association et de réunion pacifiques ; de respecter les obligations internationales qui sont les leurs aux termes des traités régionaux et internationaux et de faire cesser les violations des droits humains par le NSS.

Amnesty International prie l’UA de se pencher sur les graves infractions au droit international humanitaire et violations du droit international relatif aux droits humains qui sont toujours commises au Darfour, et en particulier de
- faire tout ce qui est en son pouvoir pour que le président el Béchir et d’autres personnes recherchées par la CPI soient arrêtés et remis à la Cour, et mettre en œuvre les recommandations du Groupe d’experts de l’ONU sur le Darfour ;
- exhorter le gouvernement du Soudan à prendre d’urgence des mesures pour faire cesser les attaques de civils par ses forces et à ouvrir sans délai des instructions sur ces présomptions d’attaques et de violations des droits humains.

Somalie

La transition politique d’août 2012 en Somalie a été une étape importante. Toutefois, les violations des droits humains et du droit international humanitaire commises dans le cadre du conflit armé entre les forces gouvernementales, les milices qui leur sont liées, la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et le groupe armé islamiste Al Shabab continuent à briser des vies dans le sud et le centre de la Somalie.

Alors que le président Hassan Sheikh Mohamoud a régulièrememt affirmé que l’une de ses priorités est la sécurité, la situation sécuritaire reste extrêmement instable. Après que le groupe Al Shabab a perdu le contrôle de certaines régions clés du sud et du centre de la Somalie, d’autres groupes armés ont rendu la protection des civils encore plus complexe. Des milices sont intégrées aux forces gouvernementales, et ces dernières sont elles-mêmes incapables de protéger les civils, quand elles ne les prennent pas directement pour cible. Les forces gouvernementales ont procédé à des arrestations massives de civils dans des zones où le gouvernement accuse la population de soutenir Al Shabab, cependant qu’Al Shabab commet des violences et des homicides contre la population qu’il accuse de soutenir le gouvernement et les forces alignées.

Les violences commises contre les civils, en particulier les viols et les pillages, sont monnaie courante et sont liées à la mauvaise discipline et au faible contrôle hiérarchique au sein des forces gouvernementales. C’est un problème majeur dans les zones où vivent des personnes déplacées. Les conditions dans les camps de personnes déplacées sont très mauvaises et l’on signale régulièrement des violences sexuelles et liées au genre commises contre des femmes et des filles. Les populations dans les camps sont principalement des femmes et des enfants, particulièrement vulnérables aux violations et à l’exploitation. De nombreux viols seraient commis par des membres des forces gouvernementales.

Les déplacements de population se poursuivent et constituent un problème grave. Les populations fuient avant ou pendant les hostilités, mais aussi en raison de leur crainte d’être recrutées ou accusées d’espionnage. Malgré la signature en août 2012, par le gouvernement fédéral de transition (GFT), d’un plan d’action visant à mettre un terme aux homicides et mutilations d’enfants, seules quelques mesures positives ont été adoptées pour que cesse l’enrôlement d’enfant dans les forces gouvernementales et les groupes armés alignés. Al Shabab et les groupes armés alignés continuent de recruter des enfants.

Les journalistes et les professionnels des médias somaliens sont toujours victimes d’attaques, d’actes de harcèlement et de manœuvres d’intimidation de la part des parties au conflit. Ainsi, depuis décembre 2011, au moins 23 journalistes ont été tués à Mogadiscio, dont trois en 2013. En novembre 2012, le président a annoncé la création d’une équipe spéciale chargée d’enquêter sur les meurtres de journalistes et d’identifier leurs auteurs. À ce jour, personne n’a encore été nommé dans l’équipe spéciale et aucune enquête sur les meurtres de journalistes n’a été ouverte. Les autorités du Puntland et du Somaliland continuent d’entraver la liberté de la presse de façon arbitraire.

Toutes les parties au conflit, y compris l’AMISOM, continuent à bénéficier de l’impunité pour les graves violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Cela donne l’impression aux auteurs de violations du droit international et du droit relatif aux droits humains qu’ils ne subiront pas de représailles et qu’ils n’ont guère de raison de craindre la justice.

Amnesty International appelle l’Union africaine à :
-  Soutenir le gouvernement fédéral de la Somalie afin qu’il prenne des mesures pour exercer un contrôle plus fort sur les actions de ses forces armées et forces associées, notamment en respectant le principe de la responsabilité hiérarchique.
-  Appeler toutes les parties au conflit à respecter le droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Cela implique que les parties respectent leur obligation de protéger les populations civiles des conséquences des hostilités et cessent de recruter ou d’utiliser des personnes de moins de 18 ans dans les forces armées ou dans les milices, conformément au plan d’action signé par le GFT en août 2012.
-  Insister pour que le gouvernement somalien conduise des enquêtes exhaustives et impartiales sur les violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains et respecte les engagements qu’il a pris en novembre 2012 d’enquêter sur les viols et violences sexuelles commis et d’en poursuivre les auteurs.
-  Prier instamment le gouvernement somalien de respecter son engagement de mettre en place une équipe spéciale chargée d’enquêter sur tous les homicides de journalistes. Appeler les autorités somaliennes à assurer la protection des journalistes en menant sans délai des enquêtes efficaces et impartiales sur les homicides, les attaques et le harcèlement, et en traduisant les responsables de ces actes en justice.
-  Veiller à ce que toutes les forces de l’AMISOM respectent le droit international humanitaire et le droit international relatif aux droits humains, y compris par la création d’un mécanisme permanent et transparent de surveillance, la cellule de suivi, d’analyse et d’intervention concernant les victimes civiles, chargée d’enquêter sur les allégations de fautes commises par leurs troupes et d’y remédier, conformément aux dispositions de la résolution 2093 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Côte d’Ivoire

Deux ans après la fin de la crise postélectorale qui s’est soldée par près de 3 000 morts, la Côte d’Ivoire, continue à être le théâtre de graves violations des droits humains commises contre les partisans réels ou supposés de l’ancien président Laurent Gbagbo. Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, l’armée nationale) et la police militaire sont responsables de nombreuses violations des droits humains, après avoir arrêté et détenu des personnes en dehors de tout cadre légal et souvent uniquement en raison de leurs origines ethniques ou de leurs motivations politiques.

Ces actes ont été rendus possibles par la multiplication des lieux de détention non reconnus, où des personnes soupçonnées de tentative de mise en danger de la sécurité de l’État ont été détenues au secret, souvent pendant de longues périodes et dans des conditions inhumaines et dégradantes.

Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, le dernier camp de personnes déplacées de Nahibly, près de la ville de Duékoué (à 450 km d’Abidjan), a été attaqué et détruit en juillet 2012 par des populations locales soutenues par un groupe de Dozos, une milice de chasseurs traditionnels soutenue par l’État et l’armée.

Amnesty International appelle l’Union africaine à :
- Veiller à ce que les forces de sécurité ivoiriennes cessent de cibler les individus en fonction de leur ethnie ou de leurs affiliations politiques et à ce que les autorités traduisent en justice tous les auteurs de violations des droits humains ;
-  Veiller à ce qu’une commission d’enquête internationale soit créée pour enquêter sur les exactions et violations des droits humains commises pendant et après l’attaque du camp de Nahibly le 20 juillet 2012.

Mali

Au Mali, depuis le début de la crise de janvier 2012, et plus encore depuis le coup d’État militaire de mars 2012, de graves exactions et violations des droits humains ont été commises par toutes les parties au conflit, y compris par l’armée malienne et les groupes armés d’opposition touaregs et islamistes qui contrôlaient le nord du pays jusqu’à l’offensive militaire de janvier 2013 menée par les armées française et malienne. L’armée malienne aurait commis de graves violations des droits humains dans les territoires reconquis, ciblant en particulier les Touaregs, les Arabes et plus généralement les personnes « à la peau claire » soupçonnées d’avoir des liens avec les groupes d’opposition armés.

Amnesty International appelle l’Union africaine à :

-  Veiller à ce que l’armée malienne cesse de mener des représailles contre des individus en raison de leur origine ethnique et contre les opposants politiques et les journalistes.
-  Veiller à ce que les troupes africaines composant la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), qui seront intégrées à une future force de maintien de la paix des Nations unies, soient sélectionnées de manière rigoureuse et que cette force ait une composante solide des droits humains, avec un nombre non négligeable d’observateurs des droits humains déployés à travers le Mali.

République centrafricaine

Amnesty International est profondément préoccupée par les informations faisant état d’atteintes graves et généralisées aux droits humains en République centrafricaine depuis que la Seleka, une coalition de groupes armés, a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État, le 24 mars 2013.

Comme dans le passé, ce sont les civils qui sont les principales victimes des atteintes aux droits humains. De très nombreux civils ont été tués, d’autres ont été torturés, des femmes et des filles ont été violées, des enfants ont de nouveau été enrôlés comme soldats, et des dizaines de milliers de civils ont été déplacés. L’organisation s’inquiète en outre de ce que non seulement les nouvelles autorités semblent n’avoir ni la volonté ni la capacité de prévenir ou empêcher les violations, mais que les principaux auteurs de ces actes semblent être des soldats de la Seleka.

D’autres informations ont fait état d’exactions, dont des homicides de civils et des incendies de maisons et d’autres biens civils, perpétrées par des bandits, des nomades armés et des braconniers. Les gouvernements qui se sont succédé en République centrafricaine n’ont pas correctement protégé les civils ni empêché que ces agents non étatiques commettent des exactions.

Le gouvernement a annoncé que des informations seraient ouvertes sur les violations des droits humains commises sous le gouvernement de l’ancien président François Bozizé, mais apparemment rien ne montre qu’il prévoie de traduire en justice ceux parmi ses propres soldats qui seraient auteurs d’actes similaires.

La capacité des organisations humanitaires à assister les civils qui ont désespérément besoin d’être secourus, notamment les enfants malades et en état de malnutrition, a fortement diminué. Cette situation est due à l’insécurité généralisée et aux pillages de véhicules, de matériel, de stocks de nourriture et de fournitures médicales des organisations humanitaires. Des soldats de la Seleka seraient responsables d’une grande partie des pillages et auraient créé un climat d’insécurité pour les travailleurs humanitaires.

La situation au regard des droits humains s’est dégradée malgré la présence de plusieurs forces internationales et missions de consolidation de la paix, dont le bureau de liaison de l’Union africaine en République centrafricaine. Le bureau de liaison de l’UA surveille la situation politique en République centrafricaine et apporte sa contribution au processus national de réconciliation.

La situation humanitaire et en matière de droits humains en République centrafricaine se trouve à un stade critique. Un prolongement de cette situation dans le temps, voire son éventuelle dégradation, serait intolérable. Déjà des pays voisins sont touchés, dont plusieurs souffrent eux-mêmes d’une grande instabilité et sont le théâtre de conflits armés et des crises pour les droits humains qui en découlent. Amnesty International exhorte fermement l’Union africaine à montrer, à l’occasion de ce 50e anniversaire, qu’elle est déterminée à prendre la tête d’un élan visant à ce que le gouvernement centrafricain prenne des mesures immédiates pour protéger les civils contre les violations des droits humains et mettre en œuvre l’État de droit.

L’Union africaine devrait user de son influence pour inciter les autorités centrafricaines à :
- condamner publiquement et sans ambiguïté les violations des droits humains perpétrées par les soldats de la Seleka ;
- suspendre immédiatement de toute fonction de première ligne les personnes soupçonnées d’être impliquées dans des violations des droits humains ;
- mettre sur pied, en consultation avec les organisations centrafricaines de la société civile, une commission indépendante et impartiale chargée d’enquêter sur les violations des droits humains commises en particulier depuis décembre 2012, d’identifier les auteurs de ces actes en vue de leur poursuite en justice, et de formuler des recommandations détaillées visant à faire obtenir réparation aux victimes et à leurs familles et à éviter la répétition de tels actes ;
- lorsqu’il existe suffisamment de preuves recevables, faire en sorte que les personnes soupçonnées d’infractions impliquant des violations des droits humains, y compris celles ayant des responsabilités hiérarchiques, soient jugées au cours de procédures respectueuses des normes internationales d’équité, sans recours à la peine de mort. Les autorités doivent veiller à ce que les victimes et les familles de victimes obiennent réparation ;
- faire en sorte que les défenseurs des droits humains, les travailleurs humanitaires et les journalistes puissent travailler sans crainte, et s’engager à ce que ceux qui s’en prennent à eux soient traduits en justice au cours de procès équitables.
- réorganiser et reconstruire le système judiciaire, notamment en accordant aux professionnels de la justice les ressources et la sécurité nécessaires pour leur permettre d’enquêter sur les violations des droits humains et d’en poursuivre les auteurs en justice ;
- désarmer et démobiliser immédiatement tous les enfants soldats et donner l’ordre à toutes les personnes occupant des postes de commandement de veiller à ce qu’aucun enfant ne soit enrôlé dans les forces de sécurité. Veiller à ce que les anciens enfants soldats soient correctement réinsérés dans la vie civile.
Amnesty International appelle l’Union africaine à :
- fournir le personnel et l’aide matérielle nécessaires pour permettre au gouvernement centrafricain de promouvoir et protéger les droits humains, notamment en enquêtant sur les violations des droits humains, en poursuivant les auteurs de ces actes en justice et en accordant des réparations aux victimes ;
- exhorter le gouvernement de la République centrafricaine à respecter, protéger et promouvoir les droits humains, notamment en mettant sur pied une commission chargée d’enquêter sur les violations des droits humains commises récemment ;
- veiller à ce que le bureau de liaison de l’UA en République centrafricaine bénéficie du soutien politique et des ressources nécessaires pour pouvoir collecter et publier des informations sur la situation des droits humains dans le pays, avec des recommandations spécifiques à l’UA concernant la protection et la promotion des droits humains en République centrafricaine.

Amnesty International

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