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Quand Alassane D. Ouattara entonne l’air de : « Tout va très bien, Madame la Marquise »

Publié le mardi 30 avril 2013 à 16h01min

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Quand Alassane D. Ouattara entonne l’air de : « Tout va très bien, Madame la Marquise »

Mercredi 17 avril 2013. Marwane Ben Yahmed est reçu au palais présidentiel, au Plateau, dans le bureau du président Alassane D. Ouattara. Pour un long entretien. Il a été publié dans Jeune Afrique de ce dimanche 28 avril 2013. Il y a un bout de temps que le chef de l’Etat ivoirien ne s’est pas exprimé dans la presse panafricaine ou internationale.

Certes, il y a eu les messages officiels et les discours qui l’étaient plus encore. Mais, depuis deux ans qu’il a accédé officiellement au pouvoir, pas grand chose en matière de questions/réponses. Ce n’est pas l’exercice préféré d’ADO. En un quart de siècle, j’ai eu à l’interviewer à Washington, à Paris, à Abidjan et il n’est pas facile de le faire sortir de la réserve dans laquelle il se complait. Mais depuis plusieurs mois, la situation a notablement évolué en Côte d’Ivoire. Il y a eu la dissolution du gouvernement et la nomination d’un nouveau premier ministre. Les tensions de plus en plus exacerbées entre le RDR et le PDCI, les deux composantes majeures du mouvement des « houphouëtistes ».

Il y a eu, hélas, le drame de la Saint-Sylvestre : pas de responsables ; pas de coupables. Gbagbo est devant la CPI ; Simone pourrait s’y retrouver. Et puis Blé Goudé a fait sa réapparition (contraint et forcé) sur la scène abidjanaise. On dit que Hamed Bakayoko ambitionne un autre destin que ministre d’Etat. Soro est à la présidence d’une Assemblée nationale dépouillée d’une part de ses prérogatives. Les critiques des ONG sont de plus en plus acerbes : « justice des vainqueurs » ! La presse internationale s’intéresse aux connexions affairo-politiques de la classe dirigeante. Et puis les élections couplées, reportées une première fois, viennent, enfin, d’être « organisées » ; mais dans la confusion la plus totale. Autant dire que les sujets d’interrogation ne manquent pas.

Dans ce contexte, les sept pages d’entretien publiées par Jeune Afrique laissaient espérer que nous en saurions plus sur l’ambiance qui règne à Abidjan dans la sphère présidentielle. Pour Ben Yahmed fils, l’objectif était de faire « le point sur les nombreux chantiers » d’ADO : « Relance économique, sécurité, réconciliation, justice, FPI, Bédié, Soro, Wade, M6, Hollande… ». C’était oublier qu’ADO est peu enclin à se confier. Résultat, il va répondre aux questions (nombreuses : largement plus d’une quarantaine) de Ben Yahmed mais, souligne celui-ci, « à sa manière, déterminé mais prudent… ». Et dans ce commentaire, ce qui importe, ce sont les points de suspension. Marwane Ben Yahmed va ramer. J’ai fait le décompte des lignes consacrées aux questions et de celles consacrées aux réponses : en gros, près de 200 pour les questions et moins de 400 pour les réponses. Autrement dit ADO laisse Marwane parler.

Cet entretien du deuxième anniversaire se situe cependant dans une conjoncture médiatique particulière. Il y a deux semaines, dans son édition du 14 avril 2013, Jeune Afrique publiait une enquête de Pascal Airault intitulée : « Le patient ivoirien ». Et Marwane Ben Yahmed, en tant que directeur de la rédaction, était monté au créneau dans le même numéro pour la juger « pour le moins sévère » (un jeu de balancier dans lequel JA excelle du fait de sa longue pratique des présidences africaines). Airault était d’ailleurs, dans cette enquête, plus critique vis-à-vis de « la nouvelle classe dirigeante » que de son chef (cf. LDD Côte d’Ivoire 0400/Mardi 16 avril 2013). On pouvait donc penser que les problèmes soulevés par Airault auraient réponses par l’intermédiaire de Ben Yahmed. Espérance trahie.

Non pas que Marwane ne pose pas des questions. Mais ADO répond ce qu’il veut, sans être poussé dans ses retranchements, avec un sens de l’elliptique acquis dans les institutions internationales. Politiquement cela porte un nom : « Un filet d’eau tiède ». En 1935, en France, à la veille d’événements majeurs (Front populaire, lutte contre la montée du fascisme, etc.), l’orchestre de Ray Ventura avait illustré avec humour (sur une musique et des paroles de Paul Misraki) cette façon d’être : « Tout va très bien, Madame la Marquise ».
Comment va la Côte d’Ivoire ? : « Le pays est désormais en paix, sécurisé en grande partie, et en pleine expansion ».

Pourquoi les tensions RDR-PDCI ? : « Le président Bédié et moi-même avons exactement la même ambition : créer un mouvement unifié avec les partis qui composent le RHDP ».
Où en est la réconciliation nationale ? : « Elle nécessite de la patience, de la détermination et seul le développement du pays, équitablement réparti, peut en accélérer le processus ».

Quel bilan de l’action menée par la Commission dialogue, vérité et réconciliation ? : « Malgré ce que disent les mauvaises langues, elle travaille beaucoup, c’est une certitude ».

Et ces critiques sur la « justice des vainqueurs » ? : « Les critiques sont les bienvenues […] Il n’y a pas de justice des vainqueurs, il y a une justice que je souhaite indépendante ».

Simone Gbagbo sera-t-elle déférée devant la CPI ? : « Je n’ai rien décidé […] La justice ivoirienne est en train d’examiner la question […], j’attends ses recommandations ».
Faut-il s’inquiéter des attaques menées régulièrement dans l’Ouest ? : « Non, pas du tout […] Nous sommes et demeureront vigilants ».

Pourquoi avoir changé de premier ministre en 2012 ? : « Le choix d’un premier ministre doit correspondre, selon moi, aux objectifs que l’on se fixe à des périodes données ».

Faut-il gouverner par ordonnances quand l’Assemblée nationale est acquise au pouvoir exécutif ? : « Je ne suis pas le premier en Côte d’Ivoire à prendre des ordonnances […] Bref, il n’y a là vraiment rien d’extraordinaire ».
Pourquoi cette omniprésence de Dominique Ouattara ? : « Elle représente la Côte d’Ivoire de manière impeccable et je suis très fier d’elle ».

La situation au Mali ? : « Le Mali et les Maliens auront toujours tout mon soutien ».
Les élections maliennes pourront-elles se tenir en juillet 2013 ? « Oui, non seulement c’est raisonnable mais il le faut ».

La France est-elle omniprésente dans le calendrier politique malien ? : « Personne n’impose rien aux Maliens ».
Que faire du capitaine Sanogo ? : « La Cédéao a condamné le coup d’Etat et a indiqué qu’elle n’acceptera aucune interférence avec la transition […] C’est aux Maliens de régler leurs problèmes, et je leur fais confiance pour cela ».

Le risque terroriste en Côte d’Ivoire ? : « La menace existe, et pas seulement en Côte d’Ivoire ».
Bédié, Kablan Duncan, Soro, Wade, Condé, Sarkozy, Hollande, Bolloré, les Chinois, la présidente Sud-africaine de la commission de l’UA, etc., je pourrais poursuivre et illustrer ses propos par le titre du film de Jean Yanne, sorti en mai 1972 (autre époque de bouleversements sociaux, à la veille du premier choc pétrolier) : « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». La preuve ? ADO termine en assurant : « Je continuerai à tendre la main à ceux qui n’ont pas voté pour moi ». Et pour « convaincre ceux qui n’ont pas voté » pour lui, il leur dit : « Nous sommes sur la bonne voie ». S’il fallait trouver un élément de circonspection dans cet entretien, nous le trouverions dans cette affirmation : « A priori, je ne pense pas qu’il soit possible de redresser la Côte d’Ivoire comme je le voudrais dans les trois ans à venir ». D’où sa décision, annoncée, qu’il sera « vraisemblablement […] amené à solliciter un second mandat ». Il aura pas loin de 74 ans (il est né le 1er janvier 1942) lorsqu’il sollicitera ce nouveau mandat et près de 79 ans quand il le terminera ! Mais ça, comme il le souligne lui-même, ce sont « les mauvaises langues qui le disent ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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