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Côte d’Ivoire : Centenaire de l’arrivée en pays Alladian du prophète noir William Wadé Harris

Publié le lundi 29 avril 2013 à 20h00min

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Côte d’Ivoire : Centenaire de l’arrivée en pays Alladian  du prophète noir William Wadé Harris

L’histoire des hommes, en Côte d’Ivoire, est aussi (j’oserais dire : d’abord) une histoire religieuse. C’est l’histoire de l’Islam, bien sûr, et il faut avoir vu, non loin de Korhogo, l’époustouflante mosquée ronde, sans minaret, construite à Kasombarga au XVIIème siècle ; il faut avoir écouté les Timités, à Bondoukou, dans l’Est du pays, à la frontière avec le Ghana, raconter la longue migration de la famille (qui a donné une douzaine d’imams à la ville) depuis le Soudan (actuel Mali).

C’est l’histoire du catholicisme aussi que raconte le grand vitrail, à droite en entrant, de la cathédrale Saint-Paul à Abidjan, dans le quartier du Plateau : on y voit l’arrivée, le 28 octobre 1895, à Grand-Bassam, des pères Hamard et Bonhomme, des Missions africaines de Lyon, considérés comme étant à l’origine du mouvement d’évangélisation en Côte d’Ivoire. Mais on ne peut pas évoquer l’histoire des religions dans ce pays en faisant l’impasse sur cette personnalité qu’a été William Wadé Harris, fondateur d’une église qui revendique plusieurs centaines de milliers de fidèles en Afrique de l’Ouest.

L’histoire de William Wadé Harris, prophète noir, est liée à celle de la propagation du catholicisme en Côte d’Ivoire. Les tentatives de conversion menées dès le XVIIème siècle, sur la côte, par des capucins puis des dominicains, avaient tourné court* ; Il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour que l’Eglise catholique puisse s’implanter durablement (après plusieurs essais infructueux, les fièvres ayant raison des missionnaires). En 1856, avait été fondée la Société des missions africaines de Lyon par Melchior-Marie-Joseph de Marion Brésilac (mort le 25 juin 1859 à Freetown, en Sierra-Leone, où il venait de débarquer).

Les ambitions missionnaires concordaient avec les ambitions coloniales. Louis-Gustave Binger, venu de Kong (parti de Dakar, il avait gagné Bamako puis Ouagadougou) pour s’installer à Grand-Bassam, sera désigné, le 10 mars 1893, gouverneur de la nouvelle colonie de Côte d’Ivoire. Binger était protestant. Mais il va favoriser les missions catholiques pour des raisons géopolitiques. « Il faut faire de la propagande religieuse parce que c’est de la propagande française et quelles que soient nos sympathies, nous n’avons pas le choix de la religion à proposer, car l’islam nous fait des rivaux et des ennemis et, sur le continent africain, le protestantisme fait des sujets anglais ». C’est ainsi qu’en 1895 vont débarquer à Grand-Bassam les pères Hamard et Bonhomme. Mais les conversions seront peu nombreuses : quelques unités ou dizaines de baptêmes par an dans chaque mission. La guerre de 1914-1918 va stopper le processus d’évangélisation : tous les missionnaires du Nord et dix sur les seize du Sud sont mobilisés.

C’est alors qu’apparaît dans la région le personnage le plus extraordinaire de cette histoire des religions en Côte d’Ivoire : William Wadé Harris. Originaire du Liberia, il débarque à Kraffi, aux portes du pays alladian, en 1913 en un temps où les missionnaires ont, en quasi-totalité, quitté la colonie. Les Alladian sont les populations implantées à une vingtaine de kilomètres à l’Ouest d’Abdjan, à Jacqueville, cité coincée entre l’océan Atlantique et la lagune Ebrié. Enrichis par le commerce des produits du palmier à huile, ils ont développé un mode de vie spécifique. Pourtant, l’Eglise catholique y fera une percée remarquable et l’ordination des prêtres Alladian sonnera le glas du monopole de la Société des missions africaines de Lyon.

Henriette Diabaté (ex-secrétaire générale du RDR et ancien ministre), auteur de “Eglise et société africaine, paroisse Saint-Pierre de Jacqueville, un siècle d’apostolat” (Nouvelles éditions africaines, Abidjan, 1988) – préfacé par Philippe-Grégoire Yacé, figure emblématique des années Houphouët, originaire du pays Alladian auquel il a consacré son mémoire de fin d’année à l’Ecole normale William-Ponty en 1940 – a raconté (à partir du témoignage de ceux qui l’ont connu) ce qu’a été l’action de Harris. « Harris était autrefois, de son propre aveu, un féticheur, et de la pire espèce. Sur ce terrain rugueux, Dieu a voulu planter la foi ; il l’a investi d’une mission : détruire les fétiches en surnombre sur le littoral ». L’Eglise catholique, essentiellement « blanche », réservera un accueil cordial, si ce n’est favorable, à ce prophète « noir ». Sa hiérarchie reconnaîtra que « si les prêtres blancs n’ont pas été écoutés, c’est parce qu’ils sont blancs ».

L’enseignement de Harris sera une traînée de poudre sur tout le littoral : il apparaissait comme la porte d’entrée des « noirs » dans l’univers des « blancs ». Il n’était guère dérangeant, ni pour les Ivoiriens, ni pour les autorités civiles et religieuses. Sa lutte était menée contre les fétiches. Ses règles n’étaient pas susceptibles de choquer les uns ou les autres : respect du repos dominical ; interdiction du meurtre et de l’adultère (la polygamie était tolérée - Harris l’était - mais la monogamie était recommandée) ; condamnation des faux témoignages ; obéissance aux autorités quelles qu’elles soient ; obligation de gagner par le travail ce qu’on envie chez les autres. N’instaurant pas alors un culte, mais conduisant ceux qu’il évangélisait à l’Eglise catholique, il était son meilleur agent recruteur. Quand les missionnaires reviendront d’Europe, la guerre finie, ils trouveront dans leurs églises des milliers d’Ivoiriens convertis par la parole de Harris. Mais les relations du prophète noir avec l’administration et la hiérarchie catholique vont se gâter ; les harristes vont prendre leur autonomie.

A Abidjan, en bord de mer, dans le quartier de Petit-Bassam (commune de Port-Bouët), se trouve l’église du prophète William Wadé Harris, construite, dit-on, de son vivant et considérée comme le premier lieu de culture harriste. Mais c’est à Bingerville, à moins d’une vingtaine de kilomètres à l’Est d’Abidjan, que se trouve le QG des harristes : un vaste bâtiment à l’architecture de « mosquée catholique » si, bien évidemment, ce type de construction pouvait exister. C’est là qu’en 1990 j’ai eu l’opportunité de connaître John Ahui, « légataire universel du prophète », que l’on disait centenaire, l’homme qui avait été initié par Harris lui-même et lui avait succédé ; il avait relancé le culte en Côte d’Ivoire.

Aujourd’hui, les harristes font partie du paysage religieux ivoirien. Leur Eglise a été « magnifiée » en 1964, à l’Assemblée nationale, par Félix Houphouët-Boigny qui avait reconnu alors ce que le prophète avait apporté au pays par le combat contre les croyances fétichistes qui, disait-on alors, retardaient l’évolution du pays, permettant l’émergence d’une société plus épanouie. Si les harristes se revendiquent chrétiens, Félix Tchotche Mel, qui était président du Comité national harriste de Côte d’Ivoire, me disait alors : « Mais comme les doigts d’une main, nous avons chacun une longueur différente ». Il ajoutait, et cela fait toute la différence, au sujet de ses « fidèles » : « Les gens reviennent à leurs sources : ils ne sont pas des voyageurs sans bagages ».

Ahui est mort peu de temps après, en 1992 me semble-t-il. Harris, quant à lui, est mort le 23 avril 1929. Il y a quelques jours, dans l’église de Petit-Bassam, Nanguy Adjaco Faustin, patriarche président de l’église Harris, a célébré le 84ème anniversaire de la mort de son fondateur. Cérémonie exceptionnelle dès lors que cette année 2013 est celle du centenaire de la fondation de l’église harriste. « Que Dieu conduise la Côte d’Ivoire sur la voie de la paix et que la Côte d’Ivoire soit la terre de l’amour partagé » a souhaité le patriarche Nanguy. Il a raison : son appel à Dieu est plus sûr que l’espérance que les Ivoiriens peuvent mettre dans la commission « dialogue, vérité et réconciliation ».

* En 1687, le roi d’Assinie va confier deux garçons, Aniaba et Banga, aux dominicains. Ils seront élevés en France. Anabia sera baptisé le 1er août 1691 par Bossuet, en la chapelle du séminaire des Missions étrangères, à Paris. Il avait pour parrain Louis XIV. Il reviendra ensuite en Côte d’Ivoire mais la mission tournera court.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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