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Zéphirin Diabré : Construire une opposition qui s’oppose ! Une opposition apte à gouverner ?

Publié le jeudi 25 avril 2013 à 21h37min

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Zéphirin Diabré : Construire une opposition qui s’oppose !  Une opposition apte à gouverner ?

On pouvait le penser plus technocratique que politique. Or, voilà que Zéphirin Diabré, promu chef de file de l’opposition politique au Burkina Faso (CFOP-BF dans le jargon burkinabè qui n’aime rien tant que les acronymes), nous réserve une divine surprise : un parti ce n’est pas seulement un truc au nom duquel on ambitionne d’être un jour au pouvoir ; c’est aussi un outil qu’il convient de forger pour s’opposer au pouvoir dans la perspective de le conquérir.

Il est vrai que la Haute-Volta a été une pépinière de partis en un temps (idéologique) où chacun était convaincu qu’ils étaient une structure obligée pour tout individu tenté par l’action politique, y compris dans un système parlementaire momifié. D’où la profusion de groupuscules dans les années 1970-1980. La « Révolution » puis la « Rectification » ont changé la donne.

Enfin, la restauration d’un Etat de droit et le retour au « parlementarisme » ont nécessité la recomposition du paysage politique : un parti présidentiel « ramasse tout » et une opposition « ramasse miettes ».

Dans ce paysage, plus que des partis, ce sont des leaders qui ont émergé (ou tenté d’émerger). Sans jamais convaincre (la meilleure preuve en est qu’il n’y a pas eu d’alternance au Burkina Faso depuis le 15 octobre 1987) ; et, à l’occasion, faisant le yoyo entre l’opposition et le pouvoir (enfin, plus exactement, son arrière-salle, l’attribution d’un titre ronflant n’étant pas gage de prise en considération).

Ouaga a, depuis le 25 avril 2000 (chapitre II de la loi portant statut de l’opposition politique), officialisé la fonction de « chef de file de l’opposition politique ». Sa désignation résulte de l’adoption d’une résolution par le bureau de l’Assemblée nationale. Ce n’est pas qu’un titre, c’est aussi une institution qui établit un rapport annuel, dispose d’un siège et d’un budget et possède son cabinet. Les choses n’ont pas été simples.

La fonction a été occupée par Me Gilbert Ouédraogo, leader de l’ADF/RDA puis, à compter de 2009, par Me Bénéwendé Stanislas Sankara, leader de l’UNIR/PS. Mais il n’était pas évident que le CFOP-BF soit, autant qu’on était en droit de le penser, un « opposant ». En fait, ce job aurait pu s’apparenter au Shadow Cabinet britannique s’il n’y avait pas une flopée de partis d’opposition (plus de 50 adhèrent au CFOP-BF) dont beaucoup ne sont que des groupuscules (et parfois c’est beaucoup dire). Quoi qu’il en soit, cette initiative est jugée, par l’opposition elle-même, comme une « avancée démocratique » et la reconnaissance que « l’opposition doit avoir un statut ».

Le problème c’est que dans les Etats où le parti unique (pour ne pas dire le parti-Etat) a longtemps prévalu (ce n’est pas le cas du Burkina Faso d’ailleurs), être dans l’opposition c’est être nulle part. Et aucun leader politique n’aime cela. Du même coup, la reconnaissance d’une opposition peut être perçue comme l’expression d’une connivence avec le pouvoir (c’était le cas au temps de Gilbert Ouédraogo). C’était, pour Zéphirin Diabré, désigné CFOP-BF le 9 avril 2013, un handicap initial dans la mesure où il venait du sérail : député de l’ODP/MT ( le parti présidentiel), ministre du Commerce, de l’Industrie et des Mines puis de l’Economie, des Finances et du Plan, président du Conseil économique et social (CES), conseiller économique de Blaise Compaoré et directeur de sa campagne dans la province du Centre-Sud, avant de se consacrer à une carrière internationale (PNUD) puis multinationale (AREVA).

Après un parcours gouvernemental, entrepreneurial (il demeure consultant, notamment dans le domaine minier, expérience chez AREVA oblige), international, intellectuel (via notamment son think tank : IAM – cf. LDD Burkina Faso 0208/Vendredi 19 mars 2010), Diabré a refait surface sur la scène politique burkinabè. Tout d’abord au sein du Rassemblement populaire des citoyens (RPC), qui ne se voulait rien d’autre qu’un parti de « propositions », avant de créer, le 1er mars 2010, l’Union pour le progrès et le changement (UPC), un parti qui se voulait alors de « l’opposition républicaine » avec un programme qui tenait en trois mots : « améliorer, corriger, réaliser » (cf. LDD Burkina Faso 0206/Mercredi 17 mars 2010).

Pas de quoi susciter l’enthousiasme. Sauf que trois ans plus tard, Diabré se retrouve CFOP-BF. Une fonction officielle qu’il voudrait bien transformer en fonction militante : aujourd’hui, il est « désigné » comme le leader de l’opposition ; demain, il voudrait être « reconnu » comme tel. Pas évident. A l’Assemblée nationale, 13 partis sont représentés mais le parti présidentiel (CDP) détient 70 sièges tandis qu’au-delà c’est l’émiettement : 19 sièges pour l’UPC de Diabré ; 18 pour l’ADF/RDA de Ouédraogo ; 5 pour l’UPR de Coulibaly ; 3 pour l’UNIR/PS de Sankara ; 1 seulement pour chacun des 8 autres partis politiques. Et parmi ces autres élus, vingt-cinq appartiennent à la mouvance présidentielle.

C’est dire que Diabré se retrouve être le chef d’une… file de « leaders » qui n’entendent pas tous marcher du même pas dans la même direction. Et surtout pas au profit de l’un d’entre eux. Ce que l’opposition n’est pas parvenue à réaliser au cours du quart de siècle passé – son unité –, ce n’est pas à la veille de la prochaine échéance qu’elle le réalisera ; échéance où, dans le contexte constitutionnel actuel, le président sortant ne pourra pas se représenter.

L’objectif de Diabré, c’est une véritable alternance (pas seulement de leader mais aussi de parti) qui ne soit pas pour autant une rupture et qui, du passé, ne fasse pas table rase. Il sait aussi que cette alternance est une espérance de l’électorat burkinabè, non pas que le bilan de Compaoré soit majoritairement contesté (si on en juge par les résultats électoraux) mais parce que « on ne peut pas être et avoir été », que la démocratie revendiquée par le régime en place c’est aussi cela, et surtout parce qu’il est un moment où la confluence entre le monde politique et le monde des affaires devient un frein (c’est un euphémisme) à la nécessaire évolution des sociétés humaines (et l’évolution, quand elle n’est pas seulement une agitation, caractérise la société burkinabè).

Diabré sait aussi que pour gouverner, il faut un appareil partisan qui soit à la hauteur de la tâche. On le compare régulièrement à Macky Sall, actuel président du Sénégal. Comparaison n’est pas raison. Et Diabré – qui, ne l’oublions pas, a été formé au management des hommes en école de commerce – a conscience que le rejet de l’autre et le rassemblement concomitant d’une myriade de candidats frustrés autour de sa propre candidature peuvent permettre de gagner une élection présidentielle, pas de gouverner ! D’où son souci de n’être l’otage de personne ; ni dans le passé, ni dans le présent et encore moins dans l’avenir. D’où aussi un programme en tant que CFOP-BF structurant bien plus que protocolaire. Pas un programme de « leader » comme on en voit trop mais d’authentique chef de parti : ancrage institutionnel de l’opposition : organisation de cette opposition « au-delà de la loi qui l’institue » ; implantation nationale de cette opposition ; organisation de son financement hors du pouvoir ; conception et rédaction d’un « programme alternatif » à celui du pouvoir.

Diabré a évolué au cours des trois dernières années. Manifestement, il a observé, appris et, semble-t-il, retenu certaines leçons. Moins technocratique ; plus politique. Normal : il était alors excessivement l’un et bien peu l’autre. Reste à savoir s’il a, effectivement, l’ambition d’accéder, un jour prochain, au pouvoir (ce qui devrait être, quand même, l’objectif d’un CFOP-BF) et pas seulement de redevenir, au Burkina Faso, une tête d’affiche.

Reste à savoir aussi s’il a les gens qu’il faut autour de lui pour mener à bien sa tâche ; et pas que des opportunistes. Une certitude : le succès électoral de l’UPC est l’expression d’une espérance d’alternance de la part des électeurs ; d’une alternance authentique et totale. L’opposition doit être à la hauteur de cette espérance ; et le pouvoir en place en prendre, lui aussi, conscience.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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