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Interview d’Alice Tiendrébeogo, ancienne ministre et député : « J’ai refusé de faire des courbettes aux grands du régime… »

Publié le dimanche 21 avril 2013 à 19h33min

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Interview d’Alice Tiendrébeogo, ancienne ministre et député : « J’ai refusé de faire des courbettes aux grands du régime… »

Elle a disparu de la scène politique depuis une dizaine d’années. En 2002, au nom de « l’alternance », les responsables de son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), parti au pouvoir, avaient refusé sa candidature sur la liste du Kadiogo alors qu’elle n’était qu’à son premier mandat. Pour elle, ce n’était qu’un prétexte pour l’écarter parce qu’elle n’est pas « alignée » dans un des clans du régime.

Après avoir dirigé le ministère de l’Enseignement de base de 1988 à 1995, puis celui de la Promotion de la Femme de 1997 à 1999, Alice Tiendrébeogo née Kaboré a vu donc sa carrière politique stoppée à l’aube du troisième millénaire. Elle en a profité pour s’investir dans l’alphabétisation et la scolarisation des filles à travers des structures comme le Fonds national pour l’éducation non formelle (FONAENF) et le FAWE. Professeur d’Histoire, elle a aussi pris le temps du recul pour analyser ses parcours académique, professionnel et politique. Son livre vient de paraitre et relate ces différentes péripéties de son existence : les souvenirs du père non connu, Philippe Zinda Kaboré, l’engagement syndical auprès de son regretté mari Issa Tiendrébeogo dans les années 70, son militantisme sous la révolution et sa carrière politique sous Blaise Compaoré et ses rapports houleux avec les barons du régime, etc. Son franc-parler rend son récit intéressant. Le journal Mutations est allé à sa rencontre. Lisez…

Votre livre est une sorte d’autobiographie. Pourtant, vous l’avez intitulé « Etre femme et ministre au Burkina Faso ». Pourquoi focalisez-vous sur cette fonction ?

J’ai voulu montrer qu’à cause des pesanteurs sociologiques, il était difficile pour une femme de réussir en tant que ministre. Dans notre contexte, être femme suppose beaucoup de contingences : assumer les rôles d’épouse, de mère, etc. A quel moment a-t-on le temps de se consacrer à la politique et comment les gens vous perçoivent dans votre charge de ministre ? C’est tout cela le sens du titre de ce livre.

Pourtant, pour le commun des Burkinabè, être ministre est un privilège, et femme ministre encore plus vu le statut général des femmes dans la société.

Effectivement, cela peut paraitre comme un privilège. Il est considéré comme tel par beaucoup de gens qui se battent pour accéder à ce poste. Mais il y a des années, être femme ministre n’était pas beaucoup accepté. Je me rappelle que même au siège de l’UNESCO, on m’appelait « Madame le ministre ». On avait du mal à admettre la féminisation du titre. Pour beaucoup, c’est un titre qui appartient aux hommes. Certaines femmes ont aussi intégré cette perception au point que nommées ministres, elles n’appréciaient pas qu’on les appelle « Madame la ministre ». Pour elles, c’était moins valorisant. Voyez aussi que les femmes ministres sont beaucoup plus critiquées que leurs collègues hommes alors que parfois, elles sont plus compétentes et efficaces. C’est donc relatif.

Votre livre est aussi un prétexte pour parler du père que vous n’avez pas connu, Philippe Zinda Kaboré, décédé en mai 1947 quand vous n’aviez que 11 mois. Son image traverse tout le livre et sa figure est omniprésente dans votre récit. Vous semblez privilégier la thèse de son empoisonnement. Au-delà des colons de l’époque, qui dérangeait-il au point qu’une conspiration du silence soit décrétée, selon vous, autour de sa mémoire ?

C’est sûr qu’il dérangeait les colonisateurs puisqu’à l’époque, le Rassemblement démocratique africain (RDA) dont il appartenait était allié au Parti communiste à l’Assemblée nationale française. Mais au-delà des colons, il dérangeait aussi la féodalité. Il a eu des démêlés avec les chefs traditionnels au cours de sa carrière politique. On m’a rapporté qu’au retour du Niger où il avait accompagné le président Vincent Auriol, il a été convoqué au palais du Moogho-naaba pour se voir reprocher ses propos anti-chef. On lui attribuait d’avoir dit que « les chefs vont courir si vite qu’ils vont perdre leurs sandales ». Au niveau du palais du Moogho-naaba, on n’était pas du tout content de lui, surtout que lui-même était issu de la féodalité, et de ce fait, choisi par le Moogho-naaba. Pour moi, c’est la conjonction de ces deux faits qui l’ont perdu.

Comment est-il mort ?

On a dit qu’il est mort de crise cardiaque à Abidjan. Mais en fait, il était malade avant d’arriver à Abidjan. Cette information m’a été confirmée par Maurice Yaméogo qui l’a bien connu et côtoyé. Ma mère aussi me l’a dit. Elle raconte qu’il lui a dit avant de bouger qu’il a été empoisonné, mais qu’il a pris un contrepoison. Ma mère l’a dissuadé de partir, mais il l’a rassuré que ça allait mieux.

Après sa mort, y a-t-il eu une autopsie, une enquête pour déterminer les causes de sa mort ?

Non, pas du tout. Les Français ont dit que c’est une crise cardiaque, donc c’est fini. En fait, ils étaient contents de se débarrasser de lui. Ils allaient enfin pouvoir le remplacer par quelqu’un de plus malléable. La conspiration du silence a pu se faire parce que ses amis politiques voltaïques qui font partie des fondateurs du RDA (Ali Barraud, Joseph Ouédraogo et autres) ont été mis à l’écart par la suite pour laisser la place à d’autres qui n’avaient pas intérêt à parler de lui. Son courant politique au sein du RDA ayant été laminé, les nouveaux dirigeants du RDA ont tout fait pour bannir son nom dans l’espace public. Certains ne voulaient pas qu’on cite son nom parmi ceux qui ont fait partie de la délégation voltaïque au congrès historique du RDA en 1946. C’est la même conspiration qui fait qu’on dit qu’il était contre la reconstitution de la Haute-Volta. Pourtant, les archives témoignent que c’est lui qui a déposé le projet de loi à l’Assemblée nationale française. Certes, il était panafricaniste, donc peu favorable aux micro-Etats, mais il estimait qu’il était de son devoir de lutter pour la reconstitution du territoire voltaïque puisqu’il a été mandaté par ses populations. Les archives existent pour attester de ses positions pour la reconstitution. Cela n’a pas empêché qu’on déverse beaucoup de mensonges sur lui. La seule personne qui a continué à honorer sa mémoire, à parler de lui, c’est Maurice Yaméogo.

Justement à propos de Maurice, vous dites : « Je me demande si sans Maurice Yaméogo, on se serait souvenu de mon père. » Pourtant, le plus grand lycée du pays porte son nom et il a été fait héros national aux côtés de trois autres illustres personnages de ce pays. Pour vous, sa réhabilitation reste incomplète ?

Justement, c’est le président Maurice Yaméogo qui a donné son nom au lycée. C’est lui aussi qui lui avait attribué le square en face de l’hôtel de ville devenu jardin du maire. Sa reconnaissance comme héros national est intervenu plusieurs années après. C’est en 1991 que le président Blaise Compaoré l’a consacré héros. Mais généralement, quand vous écoutez les discours des gens du RDA, ils oublient de parler de Philippe Zinda. Par exemple, ils associent rarement son nom dans la délégation qui est allée au congrès constitutif du RDA à Bamako en 1946.

Les gens du RDA ne sont plus au pouvoir depuis longtemps. Ceux qui gèrent le pouvoir depuis plus de deux décennies sont vos camarades politiques. Le maire de la capitale a baptisé des rues au nom des personnalités, mais Zinda semble encore oublié. Malgré votre proximité avec les premiers responsables du pays, on dirait que sa réhabilitation ne semble pas également être leur préoccupation.

Je pense que la génération qui est là ne le connait pas assez. Dans les livres d’histoire, il n’y a pas de chapitre consacré aux pères des indépendances. On ne dit presque rien de Ouezzin Coulibaly, de Nazi Boni, de Philippe Zinda, etc. Nous les historiens sommes peut-être en faute. Notre génération a eu ses modèles, mais je ne suis pas sûr que la vôtre en a. Les modèles peuvent exister, mais si on ne fait pas un travail pour les faire connaitre davantage et mieux par les plus jeunes, c’est difficile après de demander à ces derniers de s’identifier à eux. C’est ce travail que les historiens, et de manière générale, les intellectuels devraient faire.

Vous avez été ministre de l’Education nationale pendant huit ans. Pourquoi ce travail de mémoire n’a-t-il pas été fait pour enseigner aux élèves ces modèles dont vous citez et d’autres qui sont venus s’ajouter ?

J’avais essayé de travailler avec certains historiens. Georges Madiega peut témoigner. Mais le problème, c’est souvent l’absence de documents. Pour le cas de mon père, presque tous les documents le concernant avaient disparu après sa mort. C’est un véritable obstacle. Pour ne plus avoir à subir ça, j’ai décidé, pour mon mari (Issa Tiendrébeogo, homme politique) de confier tous les documents sur lui au centre national d’archives de manière à ce que celui qui souhaite écrire sur lui dispose de documents. Il faut que de plus en plus, on ait ce réflexe.

Vous dites qu’il n’y a pas de documents sur certains pères des indépendances, comment avez-vous fait alors pour sortir un livre sur votre père Philippe Zinda Kaboré ?

Il y a même un autre livre qui a été publié sur lui. Il s’agit de l’ouvrage de Désiré Kaboré, le fils de son ami Dominique. Ce sont des lettres que moi je n’avais jamais vu par exemple. Elles étaient certainement dans les malles de son ami Dominique. Maurice en avait également. D’autres ont été amenés dans son village avec ses effets après sa mort. C’est parmi ceux-ci que j’ai puisé pour écrire le livre qui porte son nom.

En dehors de toute enquête, est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que Philippe Zinda Kaboré a été assassiné pour ses idées politiques ?

En dehors de toute enquête, je ne saurais le dire dans ces termes.

Mais est-ce que cette opinion de son assassinat politique serait fondée ?

Si je me réfère à ma mère qui n’était pas politique, il a été empoisonné. Il est donc mort pour ses idées politiques. Il était taxé de communiste, d’anti féodal. Pour certaines personnes, c’était inacceptable, de surcroit de la part d’un fils de chef.

Ce sort réservé à votre père a-t-il déterminé par la suite votre engagement politique ?

Je ne crois pas vraiment. Moi j’ai baigné dans l’Association des élèves voltaïques en France (AEVF) et la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) quand j’étais étudiante à Bordeaux. De surcroit, j’avais choisi une branche, l’Histoire, où on parlait beaucoup de révolution. C’est plutôt cet environnement qui a forgé mes convictions politiques.

Bien avant que vous ne soyez étudiante, votre mère vous a probablement bercé des récits sur votre père et sa tragique fin.

Je ne sais vraiment pas si cela a eu une influence ou pas. C’est possible. Ce qui est sûr, ma mère voulait que je ressemble à mon père, c’est pourquoi, elle voulait que je fasse la Pharmacie comme lui. Mais je ne l’ai pas suivie. J’ai préféré des études en histoire et je ne le regrette pas. Nous avions des chapitres consacrés aux grandes révolutions. J’avais donc beaucoup de sympathie pour les révolutionnaires. On se disait qu’en tant que boursiers, nous avions une dette vis-à-vis de notre pays. Travailler pour le pays ne s’arrêtait pas pour nous à être professeur d’histoire, c’est également s’intéresser à la vie politique du pays. Quand je suis rentrée en 1969, j’ai été contactée par le RDA, mais j’ai refusé d’adhérer à ce parti, parce que pour moi, il ne correspondait plus aux idéaux de progrès insufflés par ses pères fondateurs. J’ai préféré le Mouvement de libération nationale (MLN) dirigé par le Professeur Ki-Zerbo.

Il y a une autre figure qui vous tient à cœur, celle de votre grand-mère maternelle, Hadja Koutouga Diallo. Pourquoi ?

C’est elle qui m’a éduquée. Ma mère étant occupée à son travail, nous passions plus de temps avec la grand-mère. Ce qui fait qu’adulte, quand je devais prendre de décision importante, je la consulte d’abord. Quand pour la première fois, on m’a proposé d’être ministre, c’est à elle que je suis allée me confier. C’était juste après le coup d’Etat du 15 Octobre. C’était une décision difficile à prendre. Je suis allée demander son avis et elle m’a convaincue d’accepter. C’est vrai, je parle beaucoup de mon père, mais je crois que je suis issue de famille de femmes combatives. Quand ma mère est née, son père, un militaire français, voulait repartir avec elle en France. Quand ma grand-mère a appris ses intentions, elle a mis sa fille au dos et elle a fui. Elle est revenue quand elle s’est rassurée que le Français avait pris son avion. C’était vraiment une femme combative. Ma mère aussi n’était pas malléable. Quand son mari est décédé, on a voulu lui donner en remariage au frère de mon père. C’était la coutume. Elle a catégoriquement refusé. L’affaire a fait l’objet de deux jugements. Le tribunal coutumier a dit qu’elle devait épouser le petit frère de mon père. Elle a fait appel devant le tribunal français parce qu’elle avait le statut de citoyenne française. Ce tribunal a tranché en sa faveur. Elle a été par la suite menacée. On disait qu’elle et son enfant allaient mourir si elle n’acceptait pas la décision du tribunal coutumier. Harcelée, elle a préféré s’exiler à Dakar.

A l’époque, ce n’était pas évident de faire face à ces différentes pressions, mais ces femmes ont eu le courage de les affronter, de refuser de se soumettre.

Vous affirmez dans le livre que vous êtes devenue ministre par hasard parce que cela n’a jamais fait partie de votre plan de carrière. Peut-on dire cela quand on sait vos liens de famille avec l’épouse du chef de l’Etat ?

Mais toutes les cousines de Chantal n’ont pas été non plus ministre. Si vous voulez parler d’influence, peut-être il faudrait ajouter le fait que j’ai été le professeur d’histoire du président Blaise Compaoré à l’Ecole normale. Je le connais depuis longtemps, bien avant qu’il n’épouse ma cousine.

Vous êtes appelée au gouvernement juste au lendemain du coup d’Etat du 15 octobre 1987. Qu’est-ce qui vous a déterminé à accepter cette proposition dans un contexte si chargé ?

Je ne peux pas dire que j’ai vraiment travaillé directement avec le président Thomas Sankara, mais j’ai eu des contacts avec lui à plusieurs reprises. Il a eu à me féliciter quand j’ai écrit un livre sur l’instruction civique à l’école. Il avait aussi pris ma défense quand certaines personnes voulaient me faire dégager quand j’étais directrice du lycée national des jeunes filles. Des élèves dont des déléguées CDR avaient été renvoyées pour insuffisance de résultats. Elles voulaient que j’annule la décision du Conseil des professeurs. Je n’ai pas accepté et elles sont allées se plaindre au secrétariat national des CDR. On a donc proposé de me sanctionner. Mais le président Sankara a pris soin de se renseigner davantage sur le problème. Après avoir recoupé toutes les informations, il a dit que la décision de leur renvoi est maintenue et que je reste à ma place. C’est quelqu’un qui croyait en ce qu’il disait et faisait ce qu’il croyait. Il était profondément convaincu tout comme les autres chefs historiques de la révolution. Malheureusement, il y a eu les événements du 15 Octobre et j’étais profondément peinée. J’étais d’autant plus peiné que j’étais aussi proche de Blaise Compaoré. Mais que fallait-il faire ? J’ai estimé qu’il fallait lui apporter mon soutien à cette période si difficile.

On sait que votre mari était conseiller de Blaise Compaoré au lendemain de sa prise du pouvoir. Cela a peut-être compté dans votre nomination.

C’est possible.

Vous semblez en vouloir terriblement à certains anciens caciques du régime. Vous ne les nommez pas, mais on reconnait aisément un certain Salif Diallo. Pourquoi le courant ne passait-il pas entre vous ?

Peut-être qu’il faut lui poser la question. Le courant ne passait pas parce que pour certains grands du régime, il fallait leur faire des courbettes. Pour eux, ils étaient fondés à vous donner des ordres et il fallait les exécuter. Selon eux, il y avait les ministres, c’est-à-dire eux-mêmes, et les autres qu’ils appellent « membres du gouvernement ». Ce sont eux les vrais ministres qui nomment les autres membres du gouvernement. Vous n’êtes donc pas sur le même pied d’égalité. Moi je ne me considérais pas comme simple membre du gouvernement. Je suis ministre et j’assume toutes les charges qui y sont liées, mais aussi toute la dignité liée à la fonction. Mais certains ne l’entendaient pas ainsi. Ils tenaient à montrer qu’ils sont politiquement forts.

Pourtant, vous avez été ministre avant lui.

Vous oubliez qu’il appartenait déjà au cabinet du ministre délégué à la présidence chargé de la Justice depuis le CNR. Au lendemain du 15 Octobre, il était directeur de cabinet à la présidence avec rang de ministre. Mais je pense que c’est surtout lié à son caractère.

Vous semblez lui imputer l’échec de certains projets qui vous tenaient à cœur comme le projet Zanu.

Pour le projet Zanu, je l’ai conçu avec une démarche pédagogique vis-à-vis des bailleurs qui étaient réticents à financer l’alphabétisation. Pour les gagner avec nous, j’avais proposé d’aller par étape. On expérimente d’abord les centres d’alphabétisation dans un nombre réduit de provinces et les résultats obtenus nous serviraient à convaincre les partenaires techniques et financiers de nous soutenir pour généraliser sur l’ensemble du territoire. Cette idée a été combattue. On a voulu faire 8 000 villages, 8 000 centres d’alphabétisation, mais cela n’a pas pris parce que les bailleurs n’ont pas accepté accompagner le projet. Finalement, le projet a échoué. Notre différend était qu’on n’avait pas le même objectif. Pour moi, ce qui m’intéressait d’abord, c’est l’alphabétisation alors que d’autres voyaient le projet comme un instrument politique pour résorber pour un temps le chômage des jeunes. Je n’étais pas contre leur idée, j’ai simplement dit qu’il ne fallait pas le dire ouvertement parce que sinon, les bailleurs de fonds ne marcheront pas. Ils n’ont pas accepté. Il y a eu beaucoup d’incidents là-dessus. On m’a dit que je faisais le malin. La même personne a dit que je saurais que c’est eux qui nomment les ministres. Après je suis partie du gouvernement et le projet a foiré. Le problème, c’est que moi je n’appartenais à aucune cour. Cela les énervait. Ils voulaient que je m’aligne, or moi, ce n’est pas dans mon éducation. La plupart d’entre eux ont été mes élèves ou auraient pu l’être. Je me vois mal en train de faire des courbettes à des gens qui sont mes petits frères de loin. Moi je préfère la discussion. Dans un parti, il doit avoir des débats où les différents courants d’idées peuvent s’exprimer. Mais ici, les gens préfèrent qu’on leur fasse des allégeances.

Avec Salif Diallo, on sait que vous n’aviez pas de bons rapports, qu’en était-il avec Roch Marc Christian Kaboré ?

C’est quelqu’un de très bien éduqué. Il est courtois avec tout le monde. C’est pourtant quelqu’un qui a du caractère aussi. Mais il est tellement poli envers vous que vous ne saurez jamais ce qu’il pense réellement.

Vous avez eu du plaisir à travailler avec lui quand il était Premier ministre ?

(Hésitations…) Nous avons eu des conflits dans la gestion du projet Education III. Quand je suis arrivée au ministère de l’enseignement, j’ai trouvé que ce sont les enseignants qui s’occupaient de la vente des livres. J’ai voulu y mettre fin, mais on m’a dit que c’est ainsi, je devais laisser la situation comme telle. Après, il y a eu des malversations et on m’accuse d’être laxiste, de protéger les enseignants. On a amené l’inspection générale pour enquêter. Elle a effectivement épinglé des gens. J’ai alors décidé de dresser la liste de tous les fautifs et de faire des retenues sur salaires. On m’a accusé de vouloir les protéger. Pour eux, on devrait les traduire en justice. Je n’ai pas trouvé d’inconvénient. Pour certains barons du régime, j’étais très ami-ami avec les enseignants et leurs syndicats. Avec le rapport de l’inspection, ils pensaient pouvoir me mettre en difficulté avec les enseignants. Mais quand ils ont vu le nom de certains militants du parti dont un ancien député dans la liste de ceux qui ont commis les malversations, ils ont rangé vite le dossier. Ils m’ont traité de vilaine et mauvaise femme qui veut les mettre en conflit avec les militants du parti.

Est-ce que le positionnement de votre mari dans l’opposition n’a pas également joué en votre défaveur quand on sait d’ailleurs que votre départ définitif du gouvernement coïncide avec l’affaire Norbert Zongo où Issa Tiendrébeogo a joué un rôle important auprès du Collectif contre l’impunité ?

De toutes les façons, je savais qu’ils ne m’aimaient pas comme ils n’aimaient pas non plus mon mari. Certains le détestaient parce qu’il était très indépendant. Ils disaient qu’il les insultait sur la place publique. Ils ne supportaient donc pas que je sois toujours ministre alors que mon mari appartenait à l’opposition dite intransigeante. Ils sont allés dire au président que ce n’est pas possible que je reste encore au gouvernement. Ils ont argumenté pour dire qu’il est possible que je sois même une espionne pour l’opposition. Mais le président n’a rien dit. Vous savez, il est difficile de savoir ce qu’il pense. Est-ce qu’il en a tenu compte, je ne le sais pas. Je sais que le fait d’avoir dénoncé la corruption à l’Assemblée nationale en 2001 et demandé qu’on s’y attaque véritablement a concouru à ce qu’on ne me place pas sur la liste du parti lors des législatives de 2002.

Justement votre carrière politique s’est arrêtée en 2002.

Je ne connais pas les raisons, on a simplement dit qu’il faut faire l’alternance. Je ne connais pas une femme qui est député depuis 1992, mais les hommes, il y en a. Donc l’alternance s’applique uniquement aux femmes. Vous avez suivi l’épisode Saran Sérémé, on lui demande de céder la première place à un homme parce qu’elle a déjà fait deux mandats alors que celui qui lui dit ça est député depuis la première législature. Il y a quelle logique dans ces agissements ? En 2002, on était deux femmes qu’on a demandé de s’écarter. L’autre était Marie Madeleine Ouédraogo.

Vous dites que vous étiez le maillon faible dans le système. Pourquoi ?

D’abord parce que je n’étais pas au départ ODP/MT. Ils estimaient donc que je prenais la place d’une des leurs. Ensuite, dans mon parti de l’époque, le GDP, j’avais aussi des problèmes parce que je ne nommais pas leurs militants au ministère. Je préférais travailler avec des technocrates sans tenir compte de leur couleur politique. Donc au GDP, j’étais incomprise et au CDP aussi, j’étais mal perçue. Je n’étais soutenue par personne sauf le président.

C’est le plus grand soutien.

Oui c’est le plus grand soutien. Mais ce n’est pas aisé. Quand il m’a confié le ministère de la Promotion de la femme, ils ont dit qu’il a créé le ministère de toute pièce pour sa belle-sœur, c’est Chantal qui favorise sa cousine, etc. Ce sont les gens du système qui propageaient ces ragots. Ils ont vraiment mis mal à l’aise le président. Vous savez, ce n’est jamais facile quand on en vient à personnaliser ainsi les choses.

Justement, votre livre rend également hommage au président Blaise Compaoré. Vous lui reconnaissez beaucoup de qualités à la différence de certains de ses proches collaborateurs. Comment expliquez-vous les dérives que le pays a connues malgré la stature que vous lui donnez ?

Vous voulez parler de quelles dérives ?

Notamment la corruption dont vous avez dénoncé et qui vous a valu des remontrances et les crimes politiques de ces deux dernières décennies.

Par rapport à la corruption, il y a eu des commissions qui ont produit des rapports. Mais je crois qu’il reste beaucoup à faire. Il faut donner des suites à ces rapports et sanctionner ceux qui sont fautifs. Les gens attendent des actions fortes. Je fais confiance au Premier ministre pour gérer à bien les dossiers de corruption.

Vous avez encore confiance au Premier ministre malgré ses promesses qui tardent à se concrétiser ?

Tant qu’il est aux commandes, je pense qu’il peut encore mener de grandes actions contre la corruption.

Vous avez eu l’opportunité de mettre en œuvre vos idées et projets dans les domaines de l’éducation et de la Promotion de la femme. Quelles ont été vos plus grandes réussites dans ces deux secteurs ?

Dans le secteur de l’enseignement de base, c’est surtout d’avoir élaboré la politique d’alphabétisation, la politique de promotion de l’éducation des filles et la valorisation du corps des enseignants. Quand je suis arrivée, le ministère de l’Education ne faisait pas d’alphabétisation.

Dans le domaine de la promotion de la femme, j’ai mis en place la commission nationale pour la promotion de la femme et les points focaux dans les ministères.

Vous dites que « Le MPF a été ma plus grande déception ». Pourquoi ?

C’était une coquille vide. J’ai élaboré des plans d’actions que je n’ai pas eu le temps de bien conduire. C’est avec Céline Yoda que la promotion de la femme a eu vraiment un sens. Elle était ma Secrétaire Générale quand j’étais ministre et dès qu’elle a pris le ministère après une autre, elle a continué le travail selon l’orientation initiale quand on était ensemble. Je dis toujours que la promotion de la femme est différente de l’animation féminine. Si je prends le cas des maisons des femmes, c’est un concept qui date de la fédération des femmes voltaïques, mais en tant que ministre, je n’ai pas pu les mettre en œuvre. Mais j’avais préparé leur conception qui a été mise en œuvre après mon départ dans le cadre du PPTE, pays pauvres très endettés en mettant en œuvre la construction et en oubliant tout le concept : alphabétisation, centres de rencontres, etc. Ce que la ministre Céline Yoda a ajouté dès qu’elle est arrivée. Ce n’est pas la partie bâtiment qui est importante, mais la conception d’un complexe polyvalent, fédérateur des activités des femmes.

Dans l’opinion, on pense que c’est une idée de madame Chantal Compaoré ?

C’est peut-être parce qu’elle a beaucoup soutenu leurs constructions. Mais l’idée date vraiment du temps de la Fédération. C’est un concept bien pensé par les femmes des différentes associations. On voulait que ces maisons soient les lieux de rencontres, de formation et d’apprentissage pour les femmes de toutes catégories et sensibilités.

Avez-vous l’impression que les maisons des femmes répondent à cette orientation aujourd’hui ?

C’est maintenant qu’elles répondent à cette orientation. Sinon quand j’ai quitté le ministère, les maisons étaient fermées. C’est madame Yoda qui est venue les réanimer. L’actuelle ministre, madame Nestorine Sangaré, continue dans la bonne direction. Elle est vraiment compétente et très battante.

Après tant d’années de lutte, pensez-vous que la situation des femmes a fondamentalement changé ?

Nous avons les concepts et les outils, il faut maintenant travailler à changer les mentalités. C’est le plus difficile. C’est pourquoi, je continue de penser que la promotion de la femme passe par l’éducation.

Pourtant, dans l’enseignement, on fait peu cas de la promotion de l’égalité femme-homme.

Nous luttons pour introduire des modules dans ce sens avec le FAWE. Nous avons déjà élaboré un manuel de formation genre pour les enseignants. Il y a près de trois milles enseignants qui ont déjà suivi ce programme de formation. On travaille avec les ENEP et les associations des mères éducatrices. Le problème se situe au niveau des intellectuels qui, dans leurs discours, sont pour la promotion de la femme, mais dans leur cœur, n’ont pas changé.

Vous dites que « les femmes ne doivent pas cesser d’être des femmes parce qu’elles sont dans la politique ». Que voulez-vous dire par là ?

Les femmes politiques ont tendance à vouloir imiter les hommes. Elles veulent se comporter comme eux avec une bonne dose d’autoritarisme quand elles ont une parcelle de pouvoir. Je pense que ce n’est pas la bonne méthode. Si nous réclamons des quotas pour reproduire le même style de gouvernance, je ne vois pas le supplément d’âme que nous apportons. Si nous utilisons les mêmes armes de médisance, de calomnie et de mensonges, on est plutôt dans la boue que dans la réflexion. On devrait critiquer les idées, les arguments que de s’attaquer à la personne. Or, dans notre politique actuelle, on nage dans le subjectivisme. Quand certains ne savent pas sur quoi vous attaquer objectivement, ils se rabattent sur votre style vestimentaire, votre vie privée, sur des mesquineries. On organise la compétition entre femmes pour les neutraliser. Quand une femme veut être ministre, généralement, elle commence par attaquer celle dont elle vise le poste. Au lieu de faire la politique de la soustraction, je pense plutôt que les femmes devraient soutenir celles qui sont déjà aux affaires pour les amener à faire de bons résultats qui plaideront pour augmenter le nombre de femmes aux responsabilités.

Dans une interview qui date de très longtemps, bien avant votre carrière gouvernementale, vous disiez ceci : « Je suis fondamentalement contre l’injustice. Et je crois que seul un système politique approprié peut mettre fin à l’injustice. » Au Burkina Faso, les inégalités sociales s’aggravent d’année en année, on ne parle plus de fracture sociale, mais de fossé entre les riches et les pauvres. Il y a une crise de confiance entre les populations et les institutions. Le système actuel est-il vraiment approprié pour résorber les problèmes des Burkinabè et les nombreuses injustices qu’ils subissent ?

C’est quoi vous appelez système actuel ?

Le système politique en place.

L’interview dont vous évoquez date d’avant la révolution. C’est pourquoi, quand elle est arrivée, j’y ai adhéré promptement parce que pour moi, c’était le meilleur système pour nous sortir de l’ornière. J’étais militante CDR de mon secteur et j’ai apporté ma contribution. Il nous fallait un régime plus à gauche pour transformer les conditions de vie de nos compatriotes. Je constate avec amertume que certains « grands révolutionnaires » qui ont fait condamner des gens aux TPR sont devenus de grands bourgeois.

N’est-ce pas le système politique lui-même qu’il faut questionner dans ce cas ?

Nous sommes dans un contexte néolibéral et je pense que c’est ce qui a même amené le changement d’orientation du parti qui est devenu socio-démocrate. Mais plus personne ne maitrise l’économie de son pays. Même si nous continuions avec la révolution, je pense qu’on se serait bloqué à cette réalité du monde. Les événements du 15 Octobre sont venus devancer les choses. L’ultra-libéralisme allait faire échouer la révolution. Malgré tout, la question demeure : que pouvons-nous faire ? Pour moi, il existe de petites marges de manœuvre. Scolariser tous les enfants du Burkina Faso, accéder à un bon système de santé restent possibles et ce serait justice sociale. Nous avons les cadres et les politiques, il reste à les appliquer. Je trouve qu’il n’y a pas assez de suivi de ces politiques. Si vous prenez les soins de première nécessité et les soins obstétricaux néonataux d’urgence (SONU) qui sont en principe gratuits, mais sur le terrain, ce n’est pas sûr que c’est appliqué. Je trouve qu’on ne soutient pas assez le président Conpaoré.

Pourtant, il y a beaucoup de gens derrière lui, ils se bousculent même pour être à ses côtés.

Mais est-ce qu’ils sont sincères ? La plupart des gens se battent pour obtenir des postes et puis après, ils font ce qu’ils veulent. D’autres font de faux rapports au président. Il y a des années par exemple que la situation se détériore à l’université, lui-a-t-on fait de vrais rapports ? Je ne pense pas.

Le président a d’autres mécanismes pour s’informer en dehors des rapports officiels. Même la presse peut lui renseigner sur beaucoup de choses que ses collaborateurs auraient voulu lui cacher. Est-ce qu’on n’est pas plutôt en face des limites objectives de sa gouvernance qui demande à être remplacée.

C’est vrai qu’il dispose d’autres mécanismes pour s’informer… Ce n’est pas pour excuser, mais je pense que les choses sont beaucoup plus complexes que ça. Le système démocratique dans lequel nous sommes demande souvent d’être patient dans les procédures. Je me dis aussi que nous n’avons pas pour le moment une bonne culture politique et civique qui aurait pu, si elle existait, nous prémunir de certains travers. Il y a vraiment un travail à faire. On parle d’introduire l’instruction civique à l’école, mais moi je dis que l’instruction civique commence dans la rue. Si les adultes se comportent bien, les enfants vont les imiter, mais on a beau enseigner théoriquement des bonnes pratiques, si elles ne sont pas vécues par ceux qui les professent, rien ne va changer. Les partis politiques ne font aucun travail de formation avec leurs militants non plus. Il y a des députés qui nous demandent de venir ouvrir des centres d’alphabétisation dans leurs villages alors qu’ils ont les moyens de le faire. Si chaque député se donnait cet objectif d’ouvrir ces centres dans quelques villages de sa circonscription, on ferait un bond qualitatif dans l’éducation des populations.

Vous êtes toujours membre du CDP ou bien vous êtes revenue dans le parti de votre défunt mari ?

Je suis toujours au CDP, membre du bureau politique. Mais comme je n’ai pas les bonnes idées, on ne me consulte pas. Je préfère donc me taire (rires).

Que pensez-vous de ce débat interminable sur l’article 37 de la constitution ?

Moi je ne débat pas sur l’article 37. Je pense que le président n’a jamais dit qu’il a envie de le modifier. Pour moi, tous les acteurs doivent travailler à asseoir une véritable culture politique démocratique dans toutes les instances. Dans combien de partis politiques fait-on la promotion de débats contradictoires, de discussions ? Combien de dirigeants acceptent faire l’alternance après des années passées à la tête des partis ? Même quand ils échouent aux élections, ils sont toujours accrochés. L’alternance doit être cultivée à plusieurs niveaux en même temps. Je pense qu’au CDP, on pratique plus l’alternance que dans les partis politiques de l’opposition. Depuis l’ODP/MT, plusieurs présidents se sont succédé à la tête du parti au pouvoir.

Est-ce que l’alternance dans le parti au pouvoir n’est pas une fausse alternance quand on sait que c’est le même homme, Blaise Compaoré, qui décide de son orientation et de l’équipe à sa tête ?

Je pense tout de même que cela vaut mieux que rien. Il faut que les opposants aussi fassent la même chose. Mais je vous dis qu’ils se détestent plus qu’ils ne détestent Blaise. Le travail est à leur niveau.

On le dit malade et fatigué. Ne pensez-vous pas qu’il doit se reposer après son dernier mandat ?

J’ai aussi eu vent de cette rumeur, mais je n’en sais rien. Mais le connaissant assez patriote, s’il se sentait fatigué, il allait demander à partir.

Vous affirmez à propos des révolutions en Afrique : « A mon avis, les raisons pour lesquelles les révolutions échouent en Afrique, c’est parce que les révolutionnaires ne vont pas jusqu’au bout de leur engagement. Beaucoup se disent communistes, marxistes ou socialistes, mais j’ai plutôt l’impression que c’est un jeu intellectuel. C’est du snobisme. » Pensez-vous avec le recul que la révolution burkinabè a aussi été victime de ce snobisme ?

Pour les dirigeants de la révolution, ce n’était pas du snobisme. Je vous ai déjà dit que Sankara, c’est quelqu’un qui croyait en ce qu’il disait et faisait. Maintenant, peut-on dire cela de tous les autres, surtout les intellectuels civils qui étaient derrière et qui exacerbaient les tensions entre eux ? D’ailleurs, regardez ce qu’ils sont devenus aujourd’hui. Combien sont restés révolutionnaires ? Ceux qui ont organisé les TPR, on ne les entend plus défendre les idéaux de justice, de la gestion transparente des ressources du pays. Finalement, je me dis que les dirigeants de la IIIème République qu’on a trainés devant les TPR vivaient plus modestement que ceux d’aujourd’hui, anciens révolutionnaires, qui tiennent coûte que coûte à faire la différence dans leur train de vie. S’ils ont ainsi changé facilement, c’est qu’ils ne croyaient pas aux idéaux de la révolution.

Interview réalisée par Abdoulaye Ly

MUTATIONS N° 26 du 1er avril 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)

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