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Togo : La voie étroite vers un dialogue politique apaisé entre Faure Gnasssingbé et « l’opposition » (2/2)

Publié le jeudi 7 mars 2013 à 21h05min

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L’opération était intitulée : « Les derniers tours de Jéricho ». En 1493 avant J-C, les Hébreux ayant entrepris de conquérir Jéricho, dans le pays de Canaan, avaient défilé sept fois autour de la ville, pendant sept jours, tandis que sept prêtres faisaient retentir sept chofars. A l’issue du septième jour, les murailles de la ville s’étaient effondrées et les Hébreux purent alors la raser.

« Maudit soit devant l’Eternel l’homme qui se lèvera pour rebâtir cette ville de Jéricho » avait alors proclamé Josué. Je ne sais qui a été chercher cette histoire pour en faire, imparfaitement, le remake togolais, Jéricho symbolisant, semble-t-il, le président Faure Gnassingbé et le Collectif Sauvons le Togo (CST) jouant le rôle des Hébreux. Trois jours seulement – 10, 11 et 12 janvier 2013 (mais la suite numérique est belle : 10-11-12-13) – et six villes seulement (Lomé, Dapaong, Kara, Sokodé, Atakpamé, Aného) devaient accueillir les marches visant à réclamer « l’arrêt du processus électoral unilatéralement engagé par l’attelage RPT/UNIR/UFC et la résolution définitive de la crise sociopolitique à laquelle s’est ajoutée la crise institutionnelle à l’Assemblée nationale suite à la fin du mandat des députés ». Politiquement pas très « bandant ». « L’Eternel » étant sans doute occupé au Mali (et ailleurs), « les derniers tours de Jéricho » n’ont pas abattu les murailles. Pourtant, selon l’hebdomadaire Chronique de la Semaine, « une délégation du CST aurait procédé à des rituels et sacrifices fétichistes aux fins d’implorer la bénédiction des dieux pour la réussite de l’opération ». Un féticheur serait venu du Bénin et deux marabouts du Mali et du Sénégal pour procéder au sacrifice de cinq bœufs tandis qu’un sixième aurait été enterré vivant.

« Les derniers tours de Jéricho » ont été les victimes collatérales des incendies des marchés de Kara et d’Adawlato à Lomé, à 48 heures d’intervalle (cf. LDD Togo 039/Mardi 5 mars 2013). Ils n’ont pas été les seuls. 3.106 commerçants sinistrés, près de 6 milliards de francs CFA de pertes subies, le procureur Essolissam K. Poyodi va, dans les jours qui suivent, faire interpeller le président national des jeunes de l’ANC. Poyodi va évoquer, « sans aucun doute », un attentat « manifestement » criminel, résultant d’une « action concertée », les deux marchés ayant été détruits selon un « mode opératoire identique ». Un mois après les faits, 24 personnes « sur qui pèsent des présomptions graves » auront été interpellées et déférées au Parquet. Dès le 16 janvier 2013, l’immunité parlementaire d’Agbéyomé Kodjo, leader d’OBUTS, parti membre du CST, sera levée permettant son interpellation et son placement en garde à vue. Le 25 février 2013, il sera remis en liberté provisoire avec retrait de titre de voyage. Au lendemain de cette libération les trois « coordonnateurs » du CST (et par ailleurs avocats) : Jil-Benoît Afangbédji, Raphaël-Kpandé-Adzaré et Zeus Ajavon, seront inculpés « de complicité de destruction de biens publics et de groupement de malfaiteurs » mais resteront « libres de leurs mouvements ».

La mise en cause d’Agbéyomé Kodjo ne va pas chagriner grand monde. Surtout pas Georges Dougueli qui, dans Jeune Afrique (20 janvier 2013), évoquera « l’ombre d’un doute » sur sa responsabilité. « L’entourage de ce personnage complexe et imprévisible ne le soutient que du bout des lèvres », écrira-t-il au sujet d’un homme dont il disait, quelques mois plus tôt (9 septembre 2012) : « Cet ex-sécurocrate converti à l’opposition radicale avait servi le père du chef de l’Etat avec un zèle qui n’a d’égal que sa détermination à combattre le fils ».

Agbéyomé Kodjo n’a jamais été nuancé dans le propos. Membre du BP du RPT et directeur général du Port autonome de Lomé (1993-199), au temps de Gnassingbé Eyadéma, il disait de celui-ci : « Nous savons que notre Président, le Sage de l’Afrique, a su, dans la tempête, nous guider au mieux des intérêts du pays et des citoyens, et qu’il a toujours répondu présent aux pires heures des troubles et des provocations. Son sang-froid et sa patience ont permis de préserver l’unité nationale ». Agbéyomé Kodjo, qui sera président de l’Assemblée nationale (1999-2000) et premier ministre (2000-2002) – et présenté comme dauphin d’Eyadéma – n’avait pas aimé le Discours de la Baule prononcé par François Mitterrand (20 juin 1990). Il dira qu’il « fut un coup de poignard dans le dos, instrumentalisé par des idéologues dans le seul but de déstabiliser, au profit d’aventuriers, les pays africains en général, le Togo en particulier, qui étaient parvenus à des succès notables et dont les progrès alarmaient les afro-pessimistes ».

Le Parti socialiste français, qui n’avait pas archivé ces propos, s’est fendu, le mercredi 13 février 2013, d’un communiqué de Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national à l’Europe et à l’International, et Axelle Lemaire, secrétaire nationale aux droits de l’homme, dénonçant « l’arbitraire manifeste [c’est moi qui souligne] de ces arrestations » et appelant « les autorités togolaises à permettre la relance d’un dialogue sincère et inclusif ». Cette évocation « d’arrestations d’opposants politiques orchestrées [c’est encore moi qui souligne] depuis un mois par le pouvoir en place » va hérisser UNIR, le parti présidentiel alors que Paris négociait (via Michel Scarbonchi*, radical de gauche, ex- député européen, qui, dit-il, « collabore à des notes et propositions sur l’Afrique dont il est devenu un spécialiste reconnu » ; il est d’ailleurs officier de l’Ordre du Mono !) le rapatriement en France de Loïc Le Floch-Prigent, incarcéré à Lomé depuis septembre 2012 pour une sombre histoire de complicité d’escroquerie.

Le problème du Togo, aujourd’hui, c’est qu’on y fait de moins en moins de politique et de plus en plus de célébrations. Pas un jour sans Dieu. « Quand je me rends à la messe, je prie pour ceux qui de près ou de loin ont participé à cette cabale », disait déjà Agbeyomé Kodjo début 2009, alors qu’il se disait persécuté par le régime en place. Au lendemain de sa libération, le 27 février 2013, il s’est rendu à une séance de prière. Ce qui n’est en rien critiquable. Sauf à être être soucieux qu’un leader politique qui aspire à gouverner puisse justifier son comportement en assurant : « Nous avons en nous la crainte de Dieu et nous sommes incapables de tels actes ». Plus encore qu’il puisse affirmer « qu’il y a une solution spirituelle pour tous les problèmes et nous allons prier pour la libération de nos frères qui sont injustement gardés en prison ». Il a également « exhorté tous ses concitoyens à la prière pour libérer le pays des chaînes de la servitude dans lequel il se trouve ». « Dieu a déjà commencé son œuvre et n’arrêtera pas » a-t-il ajouté ce jour-là. O.K. ! Mais il serait bon que les leaders politiques fassent de la politique. Et que l’opposition s’oppose au lieu d’attendre que les murailles de Jéricho ne s’écroulent par la grâce du souffle de « l’Eternel ».

Le drame des oppositions africaines c’est que, trop souvent, elles estiment n’avoir pas d’espace d’action dès lors qu’elles ne sont pas… au pouvoir. Et que, par définition, elles sont multiples quand le pouvoir, lui, est unique. « Nous échouons depuis 1990 parce que nous y allons en rangs dispersés » dit l’avocat Dodji Apévon, coordinateur d’Arc-en-Ciel et président du CAR qui, par ailleurs, est ouvert au dialogue proposé par Faure (et réitéré en juillet 2012) mais refusé par les leaders du CST : « Contrairement au CST, commente Apévon, nous sommes des partis politiques et nous aspirons à gouverner » (cité par Georges Dougueli – Jeune Afrique du 9 septembre 2012).

* Michel Scarbonchi avait été invité, en août 2011, par la fille de Mouammar Kadhafi à se rendre à Tripoli, avec l’ancienne ministre chiraquienne Margie Sudre, alors que la France était engagée dans le cadre d’un mandat de l’ONU dans une opération militaire en Libye. D’origine corse, Scarbonchi serait un petit-cousin de Bernard Squarcini, patron de la DCRI (ex-DST) au temps de Nicolas Sarkozy. Il était également proche du diplomate libyen, et éminence grise de Mouammar Kadhafi, Bashir Saleh, qui l’a reçu dans son « ranch » au Sud de Tripoli en juin 2011 afin de négocier un « départ en douceur du Guide pour éviter le chaos ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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