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Mali : Paris muscle son dispositif humain afin de mieux gérer le risque lié à son engagement militaire

Publié le jeudi 7 février 2013 à 17h26min

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Mali : Paris muscle son dispositif humain afin de mieux gérer le risque lié à son engagement militaire

Ils sont plus de 4.000 militaires français engagés sur le terrain. Soit pratiquement 1 militaire pour chaque Français inscrit au Mali sur le registre mondial des Français établis hors de France (ils sont 4.800 !). La sécurité de ses expatriés est une préoccupation pour Paris, même si nos troupes sont engagées, actuellement, dans une « vraie guerre » (dixit le ministre de la Défense, ; Jean-Yves Le Drian) au Nord-Mali.

D’autant plus que la France est en pointe sur le terrain. Et que le fol enthousiasme des Maliens à l’égard de François Hollande (cf. LDD Spécial Week-End 0570/Samedi 2-dimanche 3 février 2013) a donné plus de visibilité politique à notre engagement militaire. Pour Hollande, au Mali, la France n’a pas encore « terminé sa mission » et ce n’est la frilosité de l’engagement de l’Union européenne, réunie hier à Bruxelles pour examiner le dossier malien avec l’ONU, l’UA, la Cédéao et la Banque mondiale, qui changera la donne.

Pascal Canfin, ministre délégué au Développement, peut bien déclarer que « l’objectif est maintenant de gagner la paix », il est évident que : 1 - la guerre n’est pas encore gagnée ; 2 - qu’elle ne le sera jamais* ; 3 - que la paix que s’efforceront d’instaurer sous les auspices des Nations unies les puissances « occidentales » ne sera longtemps encore qu’une paix armée. Tiéman Coulibaly, le ministre malien des Affaires étrangères, le reconnaissait hier, mardi 5 février 2013 dans un entretien avec François Hugeux de L’Express : « On sait bien qu’il est plus difficile de construire la paix que de gagner la guerre. La paix demande des concessions, du dialogue, la recréation d’un espoir ». Autant dire que cela va prendre du temps, beaucoup de temps et que « le jour d’après » reste un jour à risques majeurs. Les « bandits terroristes » et « narcotrafiquants » (puisque c’est de ceux-là qu’il s’agit désormais) n’hésiteront pas à employer tous les moyens dont ils disposent (terrorisme + corruption) pour déstabiliser les « puissances étrangères » engagées sur le terrain militaire aujourd’hui et politique demain.

Car « le jour d’après » sera politique et Olivier Roy le dit clairement (cf. note ci-dessus) : « Derrière la géostratégie de pacotille qui domine ‘l’expertise’ depuis dix ans, démentie par les faits, mais seule grille de lecture de politiciens, journalistes et militaires, les vrais problèmes vont revenir : comment gérer l’incurie de certains Etats face à des demandes politiques qui sont légitimes ? ». Eh oui, nous en sommes là. Et pendant l’année écoulée, il n’est guère apparu que les « Maliens post-ATT » étaient plus à même de s’engager dans « le dialogue politique » que les « Maliens ATT ». Coulibaly limite « l’erreur d’appréciation » d’Amadou Toumani Touré (ATT) à n’avoir « pas saisi à un moment donné l’urgence qu’il y avait à déclencher une guerre totale contre AQMI. Peut-être n’a-t-il pas senti les soutiens prêts à l’épauler dans ce combat ? Il y a lieu de regretter que cette guerre n’ait pas été engagée plus tôt ».

Pas un mot sur la revendication politique des Touareg du MNLA qui n’entendent pas, pourtant, y renoncer. Par contre, le ministre malien des Affaires étrangères « n’oublie pas de rappeler que les premières [exactions] ont été commises envers des soldats maliens, notamment à Aguelhok** ». Réduire la « crise malo-malienne » à une l’agression de « bandits terroristes, de narcotrafiquants lourdement armés, une véritable armée du Mal » n’en facilitera pas la résolution (George W. Bush en a fait la démonstration en Afghanistan). La classe politique malienne vient de sauver ses fesses grâce à l’intervention de la France ; le reste, elle semble s’en foutre totalement.

C’est dans ce cadre que Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères (qui annonce une diminution des effectifs militaires français « à partir de mars si tout se passe comme prévu ») a nommé ce jour, mercredi 6 février 2013, un diplomate à la tête de la mission « Mali-Sahel » (MMS) afin de « coordonner l’ensemble de notre action dans cette zone, aux plans politique, diplomatique, sécuritaire et de développement ». Un pro-consul français à Bamako ? Le titulaire du job a tout ce qu’il faut pour cela !

A 52 ans, Gilles Huberson a un beau parcours derrière lui, même si les zones d’ombre sont nombreuses. Officier supérieur, il a été formé au sein de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr dont il est sorti en 1983 (mais à laquelle il reste très attachée). Il est également titulaire d’une licence d’histoire et d’un brevet de l’enseignement militaire suprême et a été auditeur de la dixième session (1998-1999) de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI). Ayant rejoint la diplomatie, il a été notamment en poste à Kuala-Lumpur et à Singapour ainsi qu’à Ottawa (2002-2005) en tant que deuxième conseiller. Il sera nommé sous-directeur de la sécurité et de la protection des personnes au Quai d’Orsay (un poste sensible en connexion avec les « services » français de renseignement et d’intervention), il quittera l’administration pour rejoindre le groupe LVMH – numéro un mondial de l’industriel du luxe – comme directeur des affaires générales, en charge notamment de toutes les opérations liées à la contrefaçon.

Huberson est considéré comme un spécialiste des questions liées au terrorisme, il s’est intéressé à la piraterie maritime contemporaine (et à collaboré, dans ce cadre, avec le Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité, le CEPES, au sein de l’université du Québec à Montréal quand il a été en poste au Canada). Le 7 novembre 2009, il sera nommé conseiller diplomatique de Marie-Luce Penchard, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur (Brice Hortefeux), chargée de l’Outre-mer (Penchard, fille de Lucette Michaux-Chevry, figure politique controversée de l’outre-mer, verra sa carrière politique s’achever avec l’échec de Nicolas Sarkozy à la présidentielle 2012 : elle échouera aux législatives en Guadeloupe, son île d’origine). Le 1er juillet 2012, il sera nommé conseiller des Affaires étrangères hors-classe. Il sera alors détaché auprès de l’ambassadeur de France à Bamako où il vient de passer les six derniers mois, au contact avec les acteurs de la « crise malo-malienne ».

Placé « auprès » du directeur d’Afrique et de l’océan Indien, Jean-Christophe Belliard, qui est très loin d’être un diplomate ampoulé (cf. LDD Spécial Week-End 0563/Samedi 15-dimanche 16 décembre 2012), Gilles Huberson apparaît comme un supra-ambassadeur. Mais, militaire de carrière, il n’est pas dépaysé dans la zone sahélienne : à Bamako, Christian Rouyer, fils d’un officier général, diplomate ayant fait carrière dans la préfectorale, sans être un ambassadeur « musclé » sait être un homme de terrain (cf. LDD Mali 008/Mercredi 26 janvier 2011). Et à Ouagadougou, c’est le général Emmanuel Beth, ancien patron de la force « Licorne » qui est en poste (cf. LDD Burkina 0230/Mercredi 18 août 2010). Un carré d’as qui permet à Paris d’avoir les gens qu’il faut à la place qu’il faut pour que l’évolution favorable de la situation militaire au Nord-Mali ne s’accompagne pas d’une évolution désastreuse de la situation politique à Bamako. Comme on dit chez moi : « Comme on connaît ses saints, on les honore ».

* Olivier Roy, professeur agrégé de philosophie, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et de recherche au CNRS, a publié dans Le Monde daté du 5 février 2013 un long papier sur la « vaine stratégie française au Mali ». Il y explique notamment que, faute d’un « Etat malien central stable, solide et reconnu […] l’intervention française redonne le pouvoir à une faction peu soucieuse de le partager, et aggrave donc les tensions ethniques ». S’ajoute à cela la « confusion sémantique » qui ne « permet pas de distinguer entre des acteurs légitimes, avec qui on peut et doit négocier, même s’ils s’opposent à l’Occident, et des terroristes dont le seul objectif est la confrontation, et qui n’ont aucune base sociale ».

** C’est le ministre de la Coopération, Henri de Raincourt, qui, le 13 février 2012, a dénoncé sur RFI le massacre de près d’une centaine de militaires maliens lors de l’offensive des rebelles touareg contre Aguelhoc, dans le Nord-Est du Mali, attaque qui se serait déroulée le 24 janvier 2012. A la suite de ces déclarations, l’armée malienne a confirmé que des exécutions sommaires de soldats et de civils avaient été effectivement commises. Le « massacre d’Aguelhoc » va être le facteur déclenchant d’une chasse aux « peaux blanches » à Bamako et dans les grandes villes maliennes.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 8 février 2013 à 14:57, par Le Grèc En réponse à : Mali : Paris muscle son dispositif humain afin de mieux gérer le risque lié à son engagement militaire

    Juste une chose que je voudrais comprendre. Où vont ces rebelles que l’on dit chaque fois qu’ils ont été repousés.On enttend rarement qu’un nombre important de rebelles sont tués. le plus souvent, les armées nationales et étrangères arrivent dans les villes soit disantes occcupées par ces térroristes, et ne trouvent que que des traces laissées par ces dernier. Là où ils se rendent n’est autre lieu que sur la terre africaine. N’est-ce pas sant objet que de repousser ces gens là qui vont se reconstituer tôt ou tard pour encore semer la pagaille dans nos cités ? La soulution n’est pas de les repousser hors des frontières maliènnes, mais de les anéantir.

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