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Charles Blé Goudé. Métamorphose du « Jeune Patriote » en apôtre de la « réconciliation » ivoirienne (1/2)

Publié le lundi 21 janvier 2013 à 17h24min

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Charles Blé Goudé. Métamorphose du « Jeune Patriote » en apôtre de la « réconciliation » ivoirienne (1/2)

Charles Blé Goudé est à Abidjan. Les responsables politiques ivoiriens ne communiquent pas, pour l’instant, sur ce transfert, du Ghana – où il a été arrêté le jeudi 17 janvier 2013 – à la Côte d’Ivoire, de la « tête d’affiche » du régime Gbagbo. On pouvait penser qu’il irait directement à La Haye, mais c’est dans un lieu de détention tenu secret que le leader des « Jeunes Patriotes » est actuellement détenu. Une vraie star ce Blé Goudé.

Nick Kaufman (cf. LDD Côte d’Ivoire 0388/Vendredi 18 janvier 2013) va coordonner sa défense et sera assisté d’un pool d’avocats parmi lesquels, dit-on, des Ghanéens, des Ivoiriens (dirigés par Me Félix Bobré), des Sénégalais, des Congolais et des Américains. Par ailleurs, un Comité de défense de Blé Goudé est constitué sous l’autorité de Patrice Kouté, président du COJEP-Europe et son représentant à Londres (pour l’ensemble de l’Europe) et de Me Seri Zokou, avocat à Bruxelles. Enfin Alain Toussaint, ex-conseiller de Gbagbo, est en charge, à Paris, des « relations médias » et du « lobbying politique et diplomatique » avec le concours de Topla Balié, directeur exécutif de Côte d’Ivoire Coalition (CIC), Inc. (USA) et d’une « assistante »*. Autant dire que les jours, les mois et, sans doute, les années à venir vont être l’occasion d’un formidable déballage qui sera, espérons-le, une contribution à l’histoire contemporaine de la République de Côte d’Ivoire et à ses dérives tout au long des deux décennies passées.

Le retour de Blé Goudé dans la capitale ivoirienne sera un test en vraie grandeur de la capacité du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Hamed Bakayoko, de maintenir l’ordre (sans casse) à Abidjan car on peut s’attendre à de sérieux débordements. Blé Goudé va jouer la carte du « résistant » à la tentative de coup de force du 18-19 septembre 2002, et surfer sur les « révolutions arabes » pour se positionner en opposant à un régime « dictatorial » qui s’est imposé au pouvoir grâce à l’armée française. Et tenter ainsi de justifier sa démarche politique au long des années passées, sans jamais oublier de rappeler que l’homme des « événements du 18-19 septembre 2002 », Guillaume Soro, siège, lui, pendant ce temps, à la présidence de l’Assemblée nationale.

Blé Goudé est né le 1er février 1972 à Kpogobré (il sera surnommé le « génie de Kpo » lors de ses années militantes à l’université), dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire, à quelques encablures du fief de Gbagbo. Dernier enfant d’une famille de dix, il a rejoint la faculté de lettres modernes de l’université d’Abidjan en 1992, à la veille de la mort du « Vieux ». En 1995, Henri Konan Bédié étant au pouvoir, il s’illustrera au sein de la Fédération scolaire et universitaire de Côte d’Ivoire (FESCI), ce qui lui vaudra l’attention particulière de la DST à la veille de la présidentielle (il affirmera avoir été torturé) avant de faire l’objet d’un mandat d’arrêt lancé par le ministre de la Sécurité le 29 mai 1999. Il changera alors d’orientation : il est toujours étudiant mais laissera entendre qu’il prépare une maîtrise d’anglais (mais sa licence aurait été invalidée pour fraude par le conseil de l’université).

En décembre 1998, il s’était imposé à la tête de la FESCI grâce à son bagout et, dit-on, à quelques coups de machette biens placés : il y prenait la suite de…. Soro ; il va, dit-on, banaliser la pratique de la violence au sein du mouvement étudiant. Passage par Manchester (juste un passage), en Angleterre, pour poursuivre des études (qu’il ne rattrapera pas), il s’illustrera surtout par sa capacité « à monnayer au plus offrant ses états de service » (il tentera même de « taper » Alassane D. Ouattara).

Hôtels de luxe, voitures de luxe, « filles » de luxe…, ce « nationaliste xénophobe » (« Je suis xénophobe, et après ? ») se prend pour Charles De Gaulle, s’est fait appeler « général de la jeunesse » et a revendiqué le « ministère de la rue ». Il ambitionnait de « retourner à Manchester pour terminer une thèse de troisième cycle » avant de « créer un cabinet de communication » (ce sera, en juin 2005, Leaders Team Association, LTA, aux Deux-Plateaux, pour assurer le marketing politique de Gbagbo à la veille de la présidentielle de… 2005 qui n’aura pas lieu).

Ce proche de Simone Gbagbo va trouver un job bien payé : le diable s’habille alors en « Jeune Patriote » et oppose « les républicains partisans de la démocratie aux rebelles et pro-rebelles adeptes de l’usage de la force armée ». Belle proclamation de la part d’un homme qui aurait affirmé (on ne prête qu’aux riches – lui nie être l’auteur de ce mot d’ordre) : « A chaque Ivoirien son Français » quand les tensions entre Paris et Abidjan ont atteint le point de rupture.

Après avoir lancé le mouvement « Tous contre Marcoussis », animé les journées des 4-6 novembre 2004 (affrontement avec les troupes françaises à Abidjan à la suite de l’attaque du QG français de Bouaké), Blé Goudé va soutenir les accords de Pretoria « signés en terre africaine » après une médiation de Thabo Mbeki… qui n’aboutiront à rien mais lui permettront de bavasser pas mal, ici et là. « Je suis au-dessus des clivages politiques. Je me bats… Les amis et moi, nous nous battons pour notre patrie, notre pays, sans coloration politique » (il affirme par ailleurs que son « maître » est Gbagbo de qui il tient « sa culture politique »).

L’homme qui voulait « être un condensé de Houphouët-Sankara-Gbagbo » (mais qui écrira, par la suite, que Houphouët-Boigny a « déstabilisé l’Angola, le Nigeria et le Burkina »), et rêvait que sur le passage de sa fille, Ange Carmen, on dise : « Voilà la fille de Blé Goudé » (Afrique Magazine – mars 2006), verra ses discours pris au mot et ses actes pris en compte par le Conseil de sécurité des Nations unies : le 7 février 2006, il a été sanctionné pour « faire obstacle à la paix » en dirigeant et participant « à des actes de violence, y compris des voies de fait, des viols et des exécutions extrajudiciaires ».

Blé Goudé prendra cette décision pour une consécration : « Je suis le président du Congrès panafricain des Jeunes patriotes [COJEP], qui est un groupe de pression […] Quand vous voyez des jeunes gens qui réussissent à couper des barbelés avec les dents, ou à détruire un mur à l’aide de simples bâtons, c’est que l’on est arrivé à un nouveau stade de détermination ».

Quand, le 7 août 2006, il fera lancer par Frat Mat Editions son livre : « Crise ivoirienne. Ma part de vérité », il trouvera l’ancienne ministre malienne Aminata Traoré pour le préfacer : « Je vois en lui un jeune homme comme des millions d’autres qui, à l’échelle du continent, attendent de leurs aînés écoute et accompagnement afin de se frayer un chemin dans un monde de plus en plus tourmenté, hypocrite et cynique […] Vivement le réveil des consciences en Afrique afin que nous cessions de nous tromper d’ennemis et de guerre ».

Blé Goudé – qui parle de lui à la troisième personne – passera son temps à mettre le feu et prétendra ensuite l’avoir éteint. « Mon credo a toujours été la non-violence. Mon arme, c’est la parole ; ma force, la mobilisation des masses. L’idée d’un Blé Goudé violent est une caricature imposée par les médias occidentaux. Je refuse toute surenchère de la violence » (Jeune Afrique – 13 août 2006). Il aime à ajouter des mots aux mots pour faire des phrases : « Je pense que si la crise ivoirienne a perduré, c’est que chacun des acteurs est resté attaché à son amour propre, à son moi […] Il faut que chacun de nous sache que sur cette terre, nous ne faisons que passer ». Il aime aussi à évoquer Mandela, Gandhi, Luther King, Lumumba, Nkrumah, Sankara…

* Patrice Koulé, dit « Zoubi », est un vieux copain de Blé Goudé. Installé à Londres depuis 2001, il s’est efforcé de mobiliser la diaspora ivoirienne en Europe autour de Laurent Gbagbo et a noué des liens avec des personnalités françaises (Jean-François Probst, chiraquien frustré, « éminence grise des Grands Noirs et des Petits Blancs », Laurent Valdiguié, alors au quotidien Le Parisien, aujourd’hui rédacteur en chef du Journal du Dimanche, qui a deux interviews majeurs à son actif : Mouammar Kadhafi le 5 mars 2011 et Robert Bourgi le 11 septembre 2011…). Simplice Seri Zokou est à Bruxelles le porte-parole du Comité de pilotage des actions de la diaspora ivoirienne (CPAD), organisateur des « marches » de soutien à Gbagbo. Me Félix Bobré, défenseur des membres du FPI, est notamment le conseil de Moïse Lida Kouassi. Topla Balié, qui se présente comme « banquier », est proche d’Alain Toussaint, conseiller et porte-parole de Gbagbo dès août 2001 : ils ont fondé CIC qui se veut groupe de pression « pro-ivoirien et panafricaniste ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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