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Côte d’Ivoire 2013 : Le RDR, parti présidentiel, survivra-t-il à la… présidence d’Alassane D. Ouattara ?

Publié le jeudi 17 janvier 2013 à 00h51min

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Côte d’Ivoire 2013 : Le RDR, parti présidentiel, survivra-t-il à la… présidence d’Alassane D. Ouattara ?

Chacun le sait : ce n’est pas sa tasse de thé. Alassane D. Ouattara peut bien avoir des qualités de chef d’Etat et aimer à présider la République de Côte d’Ivoire, il n’a jamais été un leader politique stricto sensu. Les images de son accession à la présidence du RDR, le Rassemblement des Républicains, le 1er août 1999, sont probantes à cet égard. Ce n’était pas du désintérêt ; pas de l’ennui non plus ; mais l’accès à un univers dont il avait bien du mal à comprendre la finalité.

Pour lui, le RDR n’était alors qu’un rassemblement… d’hommes et de femmes mus par un « militantisme » dont l’exacte finalité lui échappait, le tout dans une « atmosphère délétère ». Rien d’étonnant à cela : ni le gouvernorat d’une banques centrale, ni le FMI ne préparent vraiment à cela. Par ailleurs, ce n’est pas une tare : Charles De Gaulle, qui a fait une belle carrière politique, avait laissé à d’autres le soin de gérer « l’intendance ». Et Jacques Foccart a très bien fait le job, au-delà, d’ailleurs, des espérances de De Gaulle.

Le problème, pour Ouattara, n’est pas que Foccart soit mort. Mais que le RDR soit issu d’une scission du PDCI alors que Henri Konan Bédié présidait la Côte d’Ivoire, que le parti ait pris des coups pendant tout le temps de la mise en œuvre de la politique « d’ivoirité », que le coup de force militaire de 1999 ait été considéré comme réalisé sur mesure pour lui mais qu’il n’a pas su ou voulu en profiter, que la victoire du candidat du FPI, en 2000, l’ait un peu plus ghettoïsé, qu’à nouveau les événements du 18-19 septembre 2002 aient été présentés comme un opération « pro-Ouattara » sans que pour autant la position du RDR ne s’améliore, bien au contraire (même si des cadres du parti ont su profiter de cette transition).

Pendant près de deux décennies, le RDR n’a pas gouverné et est apparu comme le parti qui voyait passer les trains du pouvoir mais ne montait pas dans la locomotive : au mieux dans un wagon de 1ère classe, subissant les événements politiques avec une résilience exceptionnelle. Pendant ce temps, le PDCI a prouvé qu’il était plus « costaud » nationalement qu’on ne le pensait mais, surtout, qu’il avait des cadres politiques d’expérience et que le mauvais coup subi en 1999 n’avait pas entamé sa capacité d’action. Le FPI, parti militant, s’il vit douloureusement son échec de 2010, trouve dans l’ostracisme qu’il subit l’énergie lui permettant d’envisager de se reconstruire. Energie d’autant plus forte que le RDR n’occupe pas autant le terrain qu’on pourrait le penser ; certains disent même, au sein du parti, que le seul terrain qu’il occupe est un désert.

Le RDR est une des deux composantes majeures du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix. L’autre est le PDCI. Ni l’un ni l’autre ne peut revendiquer une quelconque majorité. N’ayant pu gagner la présidentielle 2010, le PDCI s’est allié au RDR pour faire perdre le FPI. Sans que, pour autant, la réconciliation soit vraiment à l’ordre du jour entre les deux formations aujourd’hui au pouvoir : le ressentiment de l’une par rapport à l’autre est fort et la perception est faible, désormais, au sein du PDCI que le RDR soit dans une position telle que la prochaine présidentielle (dans moins de trois ans désormais) lui soit acquise sans coup férir. S’ajoute à cela, la désagréable impression que le pouvoir a besoin des cadres du PDCI pour gérer la boutique sans que, pour autant, cette nécessité soit reconnue comme un partenariat « donnant-donnant ».

La présidence de la République occupe tout l’espace du pouvoir en Côte d’Ivoire. Si le président préside, le gouvernement ne gouverne pas (enfin, pas vraiment) et le parlement ne parlemente pas. C’est pourquoi Jeannot Ahoussou Kouadio, l’homme-clé du PDCI (cf. LDD Spécial Week-End 0463/Samedi 13-dimanche 14 novembre 2010) s’est fait éjecté de la primature voici quelques mois au profit d’un homme-lige de Ouattara (qui a été, aussi, l’homme-lige de Bédié, ce qui facilite les carrières… politiques) : Daniel Duncan Kablan. Ahoussou Kouadio pensait sans doute devoir agir dans le cadre non pas d’un staff managérial mais d’une coalition politique PDCI-RDR. Erreur. Sauf que la politique, tout comme la nature, a horreur du vide. Et que le RDR n’étant guère présent sur le terrain, l’homme qui a été sorti par la porte… principale est revenu par la porte de service. Un décret du 9 janvier 2013 stipule que « Monsieur Jeannot Kouadio Ahoussou est nommé ministre d’Etat, auprès du Président de la République ». Avec, dit-on, pour mission de renouer le dialogue politique entre les partis.

C’est que si la Côte d’Ivoire ne se porte pas trop mal, la République de Côte d’Ivoire, elle, n’est pas vraiment en grande forme. L’année 2012 s’est achevée sur un malentendu « social » qui résonne encore durement aux oreilles des populations ; se faisant l’écho de ces Ivoiriens qui se plaignent que « l’argent ne circule pas », Ouattara leur a rétorqué qu’au contraire cet argent, lui, « travaille » (cf. LDD Côte d’Ivoire 0386/Jeudi 3 janvier 2013). Point de vue de banquier ; pas d’homme politique. L’année 2013 a débuté plus mal encore avec « les morts de la Saint-Sylvestre ». Duncan Kablan avait promis de faire l’éclairage sur ce drame (qui a quand même fait plus de 60 morts) dans les 72 heures. Quinze jours plus tard, rien : ni coupables, ni responsables. Le Dr. Cheick Diop, président d’Avocats sans frontières Côte d’Ivoire (ASF-CI), qui assure la défense des familles des victimes, souligne que « ces défaillances présagent l’inscription dans la continuité des prédécesseurs, alors que semblait souffler, depuis l’élection dernière, un vent d’espoir et de changement, et que l’on croyait révolu le temps de l’irresponsabilité ». Dans le même temps, les élections couplées du 24 février 2013 semblent se préparer dans la plus totale…

impréparation : à la date officielle de clôture du dépôt des candidatures (10 janvier 2013), la Commission électorale indépendante (CEI) était toujours dans l’attente des dossiers. Et ce n’est pas sur les sites officiels de la présidence, du gouvernement, du RDR (le PDCI ne fait pas mieux) qu’il faut aller chercher une information « politique » ou « électorale ». Tout cela fait désordre dans un pays qui se veut pourtant un modèle de rigueur, de bonne gouvernance et de modernité. A quelques semaines de ces élections municipales et régionales, Duncan Kablan en était encore à évoquer, hier soir (lundi 14 janvier 2013), la nécessité « d’un dialogue politique apaisé » à l’issue d’une rencontre avec… le RHDP, membre de la coalition gouvernementale. C’est dire que « l’apaisement » ne coule pas de source… !

Le retour de Kouadio Ahoussou dans les coulisses de la présidence de la République (il était présent hier soir lors de la rencontre avec le RHDP du côté gouvernemental et non pas du côté du PDCI) est l’expression du désenchantement politique que traverse actuellement la Côte d’Ivoire. Le RDR, parti au pouvoir, n’assume pas son rôle de proposition, d’intermédiation entre la population et le pouvoir, de direction du débat politique... Ses cadres sont dans une démarche « perso » (le site officiel du gouvernement ne parle pas, d’ailleurs, de responsables politiques mais de « ténors ») et tentent déjà de se placer pour la présidentielle 2016 à laquelle la vieille génération (Bédié, Gbagbo, Ouattara) ne participera pas. Des préoccupations bien éloignées de celles des populations ; c’est dire que les élections couplées risquent fort de se dérouler dans la plus totale indifférence « politique » (mais les « primes » sont les bienvenues).

Le RDR a raté son ancrage politique (hors de sa cible ethnique) : le score de Ouattara au deuxième tour de la présidentielle 2010 en est la preuve. Et son affaiblissement électoral pourrait inciter le PDCI à se « pacser » avec un FPI rénové pour gagner la prochaine présidentielle. Dans ce contexte, Kouadio Ahoussou, promoteur du « dialogue républicain » a une carte majeure entre les mains : quand, autour de lui, on ne se préoccupe que de la gestion de sa « carrière » personnelle, il peut refonder le paysage politique ivoirien en jouant de ses différentes composantes. A son profit ?

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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